Pourquoi mettre en œuvre une convention judiciaire d’intérêt public ?

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Christian Naux, associé, et Clément Launay, Avocat, Cornet Vincent Ségurel reviennent sur l'intérêt de la CJIP.

La signature d’une CJIP entre la Procureure de la République de Paris et la société LVMH, dénoncée au début 2022 par le député François Ruffin partie civile, et la publication récente (16 janvier 2023) des nouvelles lignes directrices sur la mise en œuvre des CJIP, entendues comme la mise à jour des précédentes lignes directrices datées de juin 2019, ont mis en lumière la convention judiciaire d’intérêt public (CJIP), outil transactionnel à la disposition du Parquet Financier mis en place fin 2016

C’est l’occasion de revenir sur le régime de cet outil d’alternative aux poursuites pénales.

Prévue à l’article 41-1-2 du code de procédure pénale, la CJIP permet ainsi à toute personne morale (société, association …) mise en cause dans le cadre d’une enquête pour corruption ou trafic d’influence, actifs et passifs, de fraude fiscale (depuis 2018) ainsi que pour le blanchissement du produit de ces infractions, ou tout infraction connexe, de conclure avec le Procureur de la République, une convention mettant fin à l’action publique lui évitant alors une possible condamnation pénale à l’issue de l’enquête.

Un mécanisme similaire a depuis été mis en place, fin 2020, concernant les atteintes à l’environnement (article 41-1-3 du code de procédure pénale).

L’initiative de cette convention émane en application de l’article 41-1-2 du code de procédure pénale, du Procureur de la République qui tient compte des antécédents de la personne morale, du caractère volontaire de la dénonciation des faits, et du degré de coopération avec l’autorité judiciaire.

Toutefois, il est intéressant de relever que, selon les lignes directrices récemment publiées par la Chancellerie, la personne morale peut aussi être à l’initiative d’une CJIP ; les documents internes produits dans le cadre des discussions menées avec le Parquet ne sont pas versés au dossier d’enquête même en cas d’échec à la signature d’une CJIP.

Il conviendra toutefois d’être prudent puisque si les documents ne peuvent pas servir, en l’état, à l’enquête qui reprendrait son cours, leur existence et leur contenu a été porté à la connaissance du Ministère Public.

En contrepartie de l’absence de condamnation pénale, la personne morale s’engage à la réalisation de tout ou partie des obligations suivantes : le paiement d’une amende au trésor public, la mise en œuvre d’un programme de mise en conformité, le remboursement des victimes.

Les conditions de détermination de l’amende sont également encadrées afin d’éviter que les négociations n’aboutissent à des montants d’amende prohibitifs qui contraindraient à rejeter le principe de la CJIP : l’amende est plafonnée ainsi à 30 % du CA moyen réalisé sur les trois dernières années.

Ce montant d’amende peut toutefois être modulé selon des facteurs majorants, qui viennent sanctionner le mauvais comportement de l’entreprise avant ou pendant l’enquête, ou des facteurs minorants, bénéficiant aux entreprises de bonne composition, qu’elle se soit auto-dénoncée (-50 %) par exemple ou encore qu’elle fasse preuve d’une coopération active dans le cadre de l’enquête (-30 %).

À l’inverse, l’obstruction à l’enquête (+50%), l’implication d’un agent public (+30%) ou le caractère répété des actes (+50 %) … sont autant de sources à l’augmentation de l’amende ; c’est ainsi qu’AIRBUS, dans le cadre de la CJIP signée le 29 janvier 2020, s’est vu infliger un coefficient multiplicateur de +275 %, minoré toutefois de 50% du fait notamment d’une coopération exemplaire pendant les investigations, pour une amende d’intérêt public de 2.083.137.455 €, sans commune mesure avec les sommes encourues dans l’hypothèse d’une condamnation.

C’est ainsi que le principe de la CJIP, s’il est parfois critiqué en ce qu’il peut être compris comme un renoncement du Ministère Public au procès pénal, aboutit à des hypothèses d’amendes qui peuvent s’avérer importantes et contraignantes.

Or, la signature d’une CJIP, qui doit être entérinée par le Président du Tribunal Correctionnel dans le cadre d’une audience publique, n’est pas la conclusion nécessaire et automatique des discussions menées en amont et il est tout à fait possible, aussi bien pour le Parquet que pour la personne morale, de ne pas donner suite à celles-ci.

Enfin, il est important d’avoir à l’esprit que cette convention ne permet pas d’échapper à la publicité des débats qui ont lieu devant le Tribunal Correctionnel : la convention est évoquée lors d’une audience publique ou les parties, y compris la victime, peuvent être représentées et, surtout, le contenu de cette convention est disponible au public sur le site de l’AFA (Agence France Anticorruption) ou due Ministère de la Justice.

L’intérêt pour la personne morale est donc, à travers la disparition de tout risque de sanction pénale, d’échapper aux sanctions complémentaires spécifiquement prévues pour elles, notamment l’interdiction de soumissionner aux marchés publics[1], l’interdiction d’exercer certaines activités, la fermeture d’un ou plusieurs établissements, interdiction d’Offrir au Public des Titres Financiers…

Le fonctionnement de l’entité est ainsi préservé aussi bien dans ses capacités d’action et que dans la préservation de ses structures.

Précisons toutefois que contrairement à d’autre mode d’alternative aux poursuites (avertissement, composition pénale …), la signature d’une CJIP n’est possible qu’avec une personne morale : les lignes directrices de janvier 2023 rappellent ainsi que le Parquet garde l’opportunité d’engager des poursuites contre les personnes physiques, notamment les dirigeants, pour les mêmes faits, ce qui dans la pratique ne semble -heureusement- pas être mis en œuvre.

Christian Naux, associé, et Clément Launay, Avocat, Cornet Vincent Ségurel

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[1] L. 2141-1 du code de la commande publique


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