Lutte contre le piratage des retransmissions d’évènements sportifs : le bilan du dispositif « d’injonctions dynamiques »

Décryptages
Outils
TAILLE DU TEXTE

La lutte contre le piratage de retransmission de contenus sportifs s’est renforcée avec l’adoption en octobre 2021 de l’article L. 333-10 du Code du sport. Vivement souhaité par l’écosystème sportif (organisateurs et diffuseurs), en peine de solution efficace pour stopper l’hémorragie financière causée par le piratage, le dispositif a immédiatement montré son efficacité. L’analyse menée par De Gaulle Fleurance présente les modalités pratiques de mise en œuvre de ce dispositif, et revient sur les chiffres démontrant son efficacité pour lutter contre le piratage.

LES ENJEUX DE LA LUTTE CONTRE LE PIRATAGE

Dans son étude publiée le 2 décembre 2020[1], l’HADOPI dressait une liste alarmante des conséquences notamment financières du piratage sportif :

  • il concernerait plus de 11 millions d’internautes chaque mois ;
  • il conduirait à un manque à gagner d’1.03 milliard d’euros pour les secteurs audiovisuel et sportif ;
  • il générerait une perte de recettes fiscales de 332 millions d’euros pour l’Etat ;
  • il serait à l’origine d’une destruction de 2 650 emplois pour les filières concernées.

Face à ce constat, le législateur est intervenu, afin de promouvoir un nouveau dispositif de lutte contre ces pratiques illicites, prenant en considération les particularités des contenus audiovisuels sportifs en direct  :

  • il s’agit d’évènements ponctuels, diffusés sur une période délimitée (de quelques jours à quelques semaines) ;
  • contrairement à un contenu culturel, la valeur du contenu sportif diffusé en direct est éphémère et limitée à la durée de l’évènement ;
  • la diffusion illicite en direct d’une manifestation sportive par un site pirate cause aux détenteurs des droits un préjudice substantiel, immédiat et irréversible[2].

UN DISPOSITIF ADAPTE

L’objectif de l’article L. 333-10 du code du sport est double :

  • permettre dans un premier temps aux détenteurs de droits et aux diffuseurs de faire cesser le plus rapidement possible l’atteinte grave et répétée à leurs droits et,
  • assurer ensuite la protection de ces droits dans le temps en prévenant toute forme de récidive[3].
  • Qui peut agir?

Le nouveau dispositif est institué au profit de deux catégories de requérants :

  • les organisateurs de manifestations sportives[4], détenteurs des droits audiovisuels de la compétition (principalement les fédérations ou les ligues) et ;
  • les entreprises de communication audiovisuelle, cessionnaires des droits exclusifs d’exploitation de ces droits audiovisuels sur le territoire français et titulaires des droits voisins sur les programmes qu’elles diffusent (les diffuseurs)[5].

L’étude des décisions rendues depuis le 1er janvier 2022 montre que les requérants sont en majorité des diffuseurs[6] et que les fédérations et ligues professionnelles n’interviennent que pour confirmer la titularité des droits consentis aux diffuseurs. La seule exception recensée concerne l’action intentée par la Fédération Française de Tennis à propos de la diffusion illicite du tournoi de Roland Garros[7].  

Par ailleurs, compte tenu de la valeur attachée aux droits audiovisuels en cause, les principales disciplines concernées sont : le football[8], le rugby[9], et le tennis[10].

  • A quelles conditions?

Les requérants doivent justifier d’une atteinte grave et répétée à leurs droits exclusifs d’exploitation audiovisuelle. Pour ce faire, ils ont recours à des commissaires de justice (anciennement « huissiers de justice ») mandatés pour :

- identifier les noms de domaine des sites litigieux diffusant illicitement la compétition sportive concernée ;

- constater la récurrence des atteintes ;

- constater que les sites litigieux offrent un accès à la diffusion de ces compétitions au public[11];

- constater que les sites litigieux sont accessibles par le public français[12].

  • Comment ces conditions sont-elles appréciées par la jurisprudence?

Il ressort des décisions analysées que :  

  • Le dispositif s’est avéré efficace quelle que soit la durée de la compétition concernée : des mesures de protection ont en effet été ordonnées à la fois pour des compétitions étalées sur plusieurs mois[13] mais aussi pour des tournois de courte durée[14];
  • le juge se fonde en moyenne sur 3 ou 4 constats d’huissier réalisés à des dates et portant sur des rencontres différentes, sans toutefois exiger expressément un nombre minimum de constats ;
  • le juge ne s’attarde pas sur la caractérisation de la gravité de l’atteinte aux droits : l’atteinte est caractérisée dès lors qu’elle est répétée ;
  • pour caractériser l’existence d’atteintes répétées aux droits, les requérants ont pu se fonder également sur de précédentes atteintes à d’autres compétitions dont les droits de diffusion étaient également détenus par les requérants[15];
  • La condition déterminante de l’atteinte est la diffusion sans autorisation, et non le caractère payant de l’accès à la compétition. Par conséquent, rien n’empêche un diffuseur de contenus en clair, d’agir à l’encontre d’un site diffusant cette compétition sur une plateforme sans son autorisation[16].
  • Les requérants intentent systématiquement leur action à l’encontre des fournisseurs d’accès à internet (« FAI »), lesquels peuvent mettre œuvre des mesures de blocage dans un contexte où il est très difficile, voire impossible, d’identifier les éditeurs ou de contraindre les hébergeurs de procéder au retrait du contenu litigieux, a fortiori lorsque ces derniers sont domiciliés à l’étranger.

LE ROLE DE L’ARCOM

L’efficacité de la mesure ordonnée tient aussi au caractère « dynamique » de l’ordonnance rendue par le juge. Les mesures coercitives sont en effet ordonnées pendant toute la durée de la compétition concernée, dans la limite d’une durée de 12 mois (Article L. 333-10 II du code du sport).

La nature « dynamique » de l’ordonnance permet à la fois de :

  • bloquer a priori les sites identifiés dans l’ordonnance,
  • et de bloquer, a posteriori, les sites non encore identifiés au jour de la décision mais qui diffusent illégalement pendant la durée d’exécution de l’ordonnance la compétition visée par l’ordonnance[17].

C’est à l’ARCOM qu’il revient d’assurer l’efficacité de ces ordonnances dans le temps : le requérant lui communique la liste des sites nouvellement identifiés et, après vérification du bien-fondé de cette transmission par ses agents habilités et assermentés, l’ARCOM transmet aux FAI les coordonnées des sites pirates[18].

Sous la supervision de l’ARCOM, un accord entre les FAI et les titulaires de droit sportifs a été conclu le 18 janvier 2023, afin de déterminer les bonnes pratiques à adopter en matière judiciaire, ainsi que la prise en charge des coûts de l’automatisation des mesures de blocage notifiées aux FAI par l’ARCOM[19].

Enfin, en vertu de l’article L. 333-11 du code du sport, le législateur permet aux agents habilités et assermentés de l’ARCOM de « constater les faits susceptibles de constituer des atteintes aux droits mentionnés à l'article L. 333-10 » en les dotant de la faculté de réaliser certaines actions utiles à l’identification des sites pirates[20].

L’EFFICACITE DE LA REFORME EN CHIFFRES

Le rapport de l’ARCOM sur « l’impact du blocage des services illicites de sport » publié en octobre 2022, souligne l’efficacité de ce dispositif.

On y relève que :

  • depuis le début de l’année 2022, 1 299 sites illégaux ont été bloqués ;
  • l’audience globale des sites illicites de live streaming sportif a baissé de 47%[21]en l’espace d’une année ;
  • 48% des consommateurs de sites illicites ont souscrit à une offre légale ou ont abandonné le recours à ces canaux de diffusion illégaux[22].

Sophie André et Smaïn Guennad, avocats chez De Gaulle Fleurance

 ______________________

[1] https://www.hadopi.fr/actualites/piratage-audiovisuel-et-sportif-un-manque-gagner-dun-milliard-deuros-en-2019

[4] Au sens de l’article L. 333-1 du code du sport : il peut s’agir soit directement des fédérations sportives, soit des ligues professionnelles, investies par la loi (Art. L. 333-2 et R. 333-2 du code du sport) d’une mission de commercialisation des compétitions qu’elles organisent.

[5] Sur le fondement de l’article L. 216-1 du Code de la propriété intellectuelle.

[6] Voir notamment en ce sens : TJ Paris 20 janvier 2022, n°22/50416 ; TJ Paris 28 janvier 2022, n°22/50583 ; TJ Paris, 7 février 2022, n°22/50582 ; TJ Paris, 17 novembre 2022, n°22/57820.

[7] TJ Paris, 25 mai 2022, n°22/53742.

[8] - TJ Paris 20 janvier 2022, n°22/50416 : à propos de la Coupe d’Afrique des nations 2021, organisée par la Confédération Africaine de Football (CAF) ;

- TJ Paris, 7 février 2022, n°22/50582 : à propos de la Champions League, organisée par l’Union of European Football Associations (UEFA).

- TJ,Paris, 17 novembre 2022, n°22/57820 : à propos de la Coupe du Monde de football, organisée par la Fédération Internationale de Football Association (FIFA).

[9] TJ Paris, 28 janvier 2022, n°22/50583 : à propos du Top 14, organisé par la Ligue Nationale de Rugby.

[10] TJ Paris, 25 mai 2022, n°22/53742 : à propos du tournoi de Rolland Garros, organisé par la Fédération Française de Tennis (FFT).

[11] Permettant ainsi de le qualifier de « service de communication de public en ligne ».

[12] Le président du tribunal judiciaire s’assure que l’usage du site litigieux est « aisé pour des utilisateurs francophones » lorsque ce dernier est par exemple écrit en langue anglaise ou arabe (V. not. TJ Paris, 25 mai 2022, n°22/53742 ; TJ Paris, 7 février 2022, n°22/50582 ; TJ Paris 20 janvier, n°22/50416).

[13] Tels que le championnat de Top 14 de rugby (TJ Paris, 28 janvier 2022, n°22/50583) ou l’UEFA Champions League de football (TJ Paris, 7 février 2022, n°22/50582).

[14] Comme la Coupe d’Afrique des Nations (TJ Paris 20 janvier, n°22/50416) et la Coupe du monde de football (TJ,Paris, 17 novembre 2022), ou encore le tournoi de Rolland Garros (TJ Paris, 25 mai 2022, n°22/53742).

[15] TJ Paris 20 janvier 2022, n°22/50416. En l’espèce, le juge a caractérisé l’existence d’une atteinte grave et répétée aux droits détenus par Bein sport sur la Coupe d’Afrique des Nations en se basant notamment sur des atteintes portées aux droits de diffusion d’autres compétitions également détenus par Bein Sport :

« par un constat réalisé le 23 novembre 2021, il apparait que le nom de domaine <beinmatch.tv> donnait accès, à cette date, en direct, aux matchs de la Ligue des Champions, Dynamo Kiev c. Bayern de Munich, Villareal c. Manchester United, Barcelone c. Benfica Lisbonne, FC Séville c. Wolfsbourg et FC Chelsea London c. Juventus Turin (…) D'après un troisième constat réalisé le 13 décembre 2021, étaient disponibles en direct sur le site accessible par le nom de domaine <beinmatch.tv>, le match du Championnat d'Italie (Serie A) AS Roma c. Spezia et le match du Championnat d'Espagne (La Liga) Cadix c. Grenade (…)

Il ressort de l'ensemble de ces éléments que le site accessible par le nom de domaine <beinmatch.tv> porte des atteintes graves et répétées aux droits exclusifs de la société beIN Sports France au moyen d'un service dont l'un des objectifs principaux est la diffusion sans autorisation de compétitions sportives ».

[16] TJ Paris, 25 mai 2022, n°22/53742 : en l’espèce, la FFT avait agi à l’encontre de la diffusion illicite de Rolland Garros, diffusé en partie gratuitement sur France télévision.

[17] Rapport de l’Assemblée Nationale, n°4245, enregistré le 15 juin 2021, p. 58.

[18] Article L. 333-10, III, du code du sport.

[19] Fédération Française des Télécoms, « Signature de l’accord entre les fournisseurs d’accès à internet et les titulaires de droits sportifs visant à protéger les retransmissions sportives », communiqué de presse, 19 janvier 2023.

[20] Il leur est en effet permis, sans engager leur responsabilité pénale, de :

  • participer sous pseudonyme à des échanges électroniques susceptibles de se rapporter aux atteintes aux droits de retransmission des évènements sportifs ;
  • reproduire des manifestations ou des compétitions sportives diffusées sur les services de communication au public en ligne ;
  • extraire, acquérir ou conserver par ce moyen des éléments de preuve sur ces services aux fins de la caractérisation des faits susceptibles de constituer des atteintes aux droits ;
  • acquérir et étudier les matériels et logiciels propres à faciliter la commission des atteintes aux droits.

[21] ARCOM, « 40% des consommateurs de sport en live streaming confrontés à des blocages de sites illicites au premier semestre 2022 », communiqué de presse, n°3, octobre 2022. 

[22] ARCOM, « Impact du blocage des services illicites de sport », Rapport d’étude quantitative, octobre 2022, p. 32.


Paroles d'Experts : l’immobilier numérique

Lex Inside du 7 mai 2024 :

Lex Inside du 2 mai 2024 :