La durée des pactes d’associés à l’épreuve de la prohibition des engagements perpétuels

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Dans un arrêt du 17 décembre 2020, la Cour d’appel de Paris a jugé qu’un pacte d’associés conclu pour la durée d’une société fixée à 99 ans, est un engagement à durée déterminée qui ne contrevient pas au principe de prohibition des engagements perpétuels prévu à l’article 1210 du Code civil.

Au cas d’espèce, deux associés ont conclu diverses conventions afin d’organiser les termes et conditions de leur partenariat au sein de la société Y, en ce compris un pacte d’associés pour une durée égale à celle de la société, fixée à 99 ans. La clause de durée stipulait par ailleurs que « le Pacte se terminera de plein droit et par anticipation […] à l’égard de tout Actionnaire ayant cessé de détenir directement ou indirectement une ou des actions de la Société

Après que l’un des associés ait mis fin à la convention de conseil le liant à la société Y, son coassocié lui a alors notifié la résiliation du pacte aux motifs qu’il avait été conclu pour une durée indéterminée et qu’il était en conséquence résiliable à tout moment. L’associé concerné prétendait que l’éventualité de pouvoir dissoudre par anticipation ou proroger la durée de la société Y avait pour conséquence d’en rendre le terme indéterminé, ce qui contrevenait de facto au principe de la prohibition des engagements perpétuels visé par l’article 1210 du Code civil.

La Cour d’appel de Paris n’a pas suivi cette analyse et a au contraire considéré1, que les parties avaient entendu fixer un terme précis au pacte litigieux en faisant expressément référence à la clause statutaire de durée de la société fixée à 99 ans et qu’une telle durée ne pouvait être considérée comme excessive, notamment s’agissant de personnes morales. Elle a par ailleurs estimé, conformément à l’article 1124 du code civil, que la prorogation éventuelle de la durée de la société ne pourrait avoir pour effet de renouveler automatiquement le pacte, le renouvellement d’un contrat nécessitant l’accord préalable et exprès des parties.

Cet arrêt s’inscrit dans une série de contentieux relative à la résiliation de pactes d’associés fondé sur leur caractère indéterminé ou indéterminable.

C’est ainsi qu’il a été considéré, dans une solution très critiquée à l’époque, que ne stipulait pas une durée déterminée ou déterminable la clause fixant le terme d’un pacte d’associés au moment de la perte de la qualité d’associé, que ce soit consécutivement à la cession par une partie de ses actions ou par survenance d’un évènement pourtant inévitable tel que le décès en raison de l’incertitude quant à leur date de réalisation2.

L’arrêt de la Cour d’appel de Paris retient donc une approche qui semble diverger de la position de la Chambre commerciale de la Cour de Cassation mais qui fait écho à une autre jurisprudence de la Chambre civile de la haute juridiction qui a considéré que le droit réel de jouissance spéciale consenti sur la durée de vie de la personne morale bénéficiaire ne peut être considéré comme un droit réel perpétuel (lequel est prohibé), ce droit – calé sur la durée de vie de la personne morale bénéficiaire – ayant une durée limitée et étant, par conséquent, affecté d’un terme extinctif3. Ce qui vaut pour un droit réel doit a fortiori valoir pour un droit personnel ou un contrat. Dès lors, il serait logique, comme le fait la Cour d’appel de Paris, de considérer qu’un pacte d’associés dont la durée est alignée sur celle de la société (dont sont membres les signataires du pacte) est un engagement à durée déterminée. Toujours est-il que cette solution devra être confirmée par la Chambre commerciale de la Cour de cassation quant à son application à la durée d’un pacte d’associés ce qui pourrait donc être considéré comme un revirement par rapport à la position adoptée en 20074.

Les clauses de durée des pactes d’actionnaires doivent donc, comme tout contrat, faire l’objet d’une attention particulière de la part de leurs rédacteurs. Si l’on cherche à tirer des enseignements pratiques d’un courant jurisprudentiel paraissant encore parfois contradictoire, il nous semble qu’il est indispensable de prévoir une stipulation expresse prévoyant un terme certain et présentant un certain degré de fixité au pacte d’associés. Il n’est en effet pas encore certain, bien que souhaitable, que la position retenue par la Cour d’Appel de Paris soit confirmée en cas de pourvoi devant la Cour de cassation. On ne peut donc que recommander aux praticiens de demeurer à ce stade prudents en la matière en conservant la pratique actuelle qui fixe généralement le terme d’un pacte d’associés à une durée exprimée en nombre d’années, sans référence directe ou unique à la durée de vie de la société.

Thomas Bortoli, avocat associé, Yacine Niang, collaboratrice, avec la participation de Frédéric Danos, Of Counsel, PwC Société d'Avocats

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1 CA Paris, 15-12-2020 n°20/00220, ch. commerciale, GG France Holding c/ ANALYTIC PROJECT Inc.

2 CA Paris, 15-12-2006 n° 06-18133, SA Compagnie méridionale de participation (CMP) c/ SAS Compagnie générale de tourisme et d’hôtellerie confirmée par Cass. com., 6-11-2007 n°07-10.620 (pourvoi CA Paris, 15-12-2006 n° 06-18133).

3 Cass. 3e civ., 8-09-2016, n° 14-26953, RDC 01/2017, p. 123, note F. Danos

4 Cass. com., 6-11-2007 n°07-10.620, D. 2008, p.2104, note B. Dondero


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