Le Legal Design, innovation juridique majeure, vecteur de transformation des entreprises (Seconde partie)

Décryptages
Outils
TAILLE DU TEXTE

Marie Potel-Saville, Vice-Présidente, Directeur Juridique EMEA, Estée Lauder Companies Europe explique comment le Legal Design peut être vecteur de transformation des entreprises.

marie potel savilleDans une première partie,  Marie Potel-Saville, Vice-Présidente, Directeur Juridique EMEA, Estée Lauder Companies Europe a présenté le Legal design. Dans cette seconde partie, elle met en exergue comment le Legal Design peut être vecteur de transformation des entreprises.

Quels bénéfices pour les directions juridiques et leurs clients ?

Quand on aime le droit, il peut être difficile d’exercer en entreprise. Structurellement, la technicité de la matière d’un service qui n’est pas au cœur de la création de valeur ni de la culture d’entreprise engendre des difficultés :
- d’application effective des préconisations,
- de perception de la Direction Juridique.

Il faut également reconnaître que l’héritage de modèles de contrats et de policies internes rédigés par des avocats pour des avocats ou des juges ne contribue à résoudre ni la première, ni la seconde des problématiques que nous venons d’évoquer.

Conjoncturellement, les Directions Juridiques doivent faire "toujours plus avec moins" : l’inflation législative multiplie les risques juridiques quand dans le même temps, la quatrième révolution industrielle suppose agilité permanente et frugalité des budgets.
Ainsi, l’espace pour l’implémentation réelle du droit et la réflexion sur les sujets juridiques de fond en entreprise peut paraître restreint.

Le Legal Design apporte des solutions concrètes et effectives.

- Centrant la conception et la rédaction de documents juridiques sur l’utilisateur, et permettant d’insérer d’inscrire les contraintes juridiques de façon fluide dans le un parcours utilisateur, le Legal Design permet l’application effective des solutions juridiques en entreprise. On constate par exemple que sur des sujets délicats et peu engageants par nature tels que les formations sur la compliance, les retours spontanés des opérationnels sont très positifs.
- Créant des contrats et documents juridiques faciles à comprendre et directement opérationnels, le Legal Design réduit le temps de négociation des contrats, limite les coûts et les risques de contentieux en assurant une meilleure implémentation des contrats. Ainsi, le Service Digital du gouvernement britannique affirme avoir réalisé 1.3 Mds de livres d’économies entre 2014 et 2015 en appliquant le Legal Design à ses contrats d’achat1
- Démarche intrinsèquement collaborative et pluridisciplinaire, et par nature agile puisque basée sur le prototypage et l’itération, le Legal Design révèle la Direction Juridique en tant que facilitateur de l’activité commerciale, soutien du changement et acteur de l’innovation. L’organisation et la modération d’ateliers de co-création avec les clients internes constitue un changement en soi, qui modifie rapidement les préconceptions.
- Approche centrée sur l’utilisateur, le Legal Design nous offre une Etoile du Nord pour nous guider au milieu de l’offre pléthorique de LegalTech et s’assurer que l’innovation demeure au service de l’humain, pas de la technologie. Par exemple, la nécessité d’automatiser la rédaction et mise à jour des CGV et politiques de traitement des données personnelles de sites en ligne lorsque la direction juridique en gère plusieurs centaines est assez évidente. Mais comment choisir le bon outil parmi les dizaines d’offres ? La conduite d’ateliers réunissant tous les utilisateurs et les juristes, ainsi que la définition précise du parcours utilisateur a mis en lumière un outil parfaitement adapté, et rapidement adopté.
- Appliquant la co-création, le Legal Design est un vecteur de confiance et de fluidité managériale au sein des directions juridiques.
- Enfin (et surtout ?), en abolissant le jargon juridique2 et en questionnant les modèles et clauses-types, le Legal Design offre aux juristes la possibilité de se réapproprier la réflexion sur leur cœur de métier.

 

Et la sécurité juridique ?

Bien évidemment, toute innovation génère interrogations et réticences. La première d’entre elles, en particulier pour une avocate formée pendant dix ans à l’école de la rigueur des cabinets Magic Circle et obsédée par la qualité, est la valeur juridique des nouveaux documents créés.

Rien de tout cela n’a d’intérêt si les attributs essentiels du droit - précision, exactitude, exhaustivité - se diluent dans de "belles images". Mon expérience sur l’année écoulée est que l’on ne sacrifie rien à la qualité. Mieux, le Legal Design incrémente la sécurité juridique en assurant l’effectivité des contrats et…le caractère « éclairé » du consentement au titre du RGPD3 :

Certes, l’approche Legal Design requiert une solide compétence technique et une expérience pratique éprouvée4, pour parvenir à simplifier sans dénaturer. Il peut d’ailleurs s’avérer utile de mettre en place une forme de "contrôle qualité" des contrats une fois le processus itératif abouti : par exemple, vérification de chacune des obligations clés par rapport au modèle de base. A cette condition, le gain pour l’entreprise est réel: augmenter la sécurité juridique par des contrats qui sont tout simplement…signés et appliqués, quand les modèles initiaux sont si lourds qu’ils restent lettre morte.

Au-delà, dans certains domaines tels que la protection des données personnelles, lisibilité, clarté, intelligibilité et accessibilité des privacy policies deviennent des conditions de validité du consentement des consommateurs au traitement de leurs données, afin que celui-ci soit "éclairé". Les Lignes Directrices5 du G296 sont sans ambiguïté :

"Le RGPD institue plusieurs conditions pour que le consentement soit éclairé, essentiellement à l’article 7(2) et au considérant 32. Cela conduit à un standard plus élevé de clarté et d’accessibilité de l’information. Lors du recueil du consentement, les contrôleurs doivent s’assurer qu’ils utilisent un langage clair et simple dans tous les cas. Cela signifie que le message doit être facilement compréhensible pour une personne ordinaire et pas seulement pour des avocats. Les contrôleurs ne peuvent pas utiliser des privacy policies longues, illisibles ou des énoncés remplis de jargon juridique."7

Appliquer le Legal Design à une privacy policy donne le résultat suivant, par exemple :

legal design privacy policy

 Crédits : https://dot.legal/

A l’heure où les entreprises font de la simplification un enjeu stratégique, le Legal Design offre un outil puissant aux directions juridiques qui souhaitent innover. Car "La simplicité, c’est l’harmonie parfaite entre le juste, l’utile et le beau … "8  : la définition même de cette nouvelle approche.

Il permet aussi de créer – enfin - une "expérience utilisateur" du droit satisfaisante et efficace.

Marie Potel-Saville, fondatrice et présidente de www.amurabi.eu

 ________________

NOTES

1) https://digitalmarketplace.blog.gov.uk/2015/09/03/creating-simpler-clearer-contracts-for-the-digital-services-framework/
2) Sur ce sujet, le directeur juridique de GE Aviation a d’ailleurs récemment appelé à « tuer le jargon juridique » en revisitant de fond en comble les
modèles de contrat, sans rien perdre en sécurité juridique bien sûr : Harvard Business Review, Février 2018 : https://hbr.org/2018/01/the-case-for-plain-language-contracts
3) Règlement (UE) 2016/679 du Parlement Européen et du Conseil du 27 avril 2016 relatif à la protection des personnes physiques à l'égard du
traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données, et abrogeant la directive 95/46/CE (règlement général sur la
protection des données)
4) "Si vous ne pouvez expliquer quelque chose simplement, c’est que vous ne l’avez pas bien compris", Albert Einstein.
5) Guidelines on Consent under Regulation 2016/679, 17/EN WP259, Adopted on 28 November 2017, https://www.cnil.fr/sites/default/files/atoms/files/wp259_enpdf_consent.pdf
6) Article 29 Data Protection Working Party, http://ec.europa.eu/newsroom/just/item-detail.cfm?item_id=50083
7) Point 3.3.2 des Lignes Directrices, traduction libre, soulignement ajouté: "The GDPR puts several requirements for informed consent in place,
predominantly in Article 7(2) and Recital 32. This leads to a higher standard for the clarity and accessibility of the information. When seeking consent, controllers should ensure that they use clear and plain language in all cases. This means a message should be easily understandable for the average person and not only for lawyers. Controllers cannot use long illegible privacy policies or statements full of legal jargon.” Voir également, dans le même paragraphe : “Layered and granular information can be an appropriate way to deal with the two-fold obligation of being precise and complete on the one hand and understandable on the other hand.”
8) Franck Lloyd Wright.


Forum des Carrières Juridiques 2024 : interview de Vanessa Bousardo, vice-bâtonnière de Paris

Forum des Carrières Juridiques 2024 : Laure Carapezzi, DRH, Osborne Clarke

Forum des Carrières Juridiques 2024 : Blandine Allix, associée - Flichy Grangé Avocats