CEDH : le droit de critique d'un avocat s'arrête la où commence la diffamation

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Faute d’une base factuelle suffisante, un jugement de valeur peut se révéler excessif.

Un procureur et une juge d’instruction ont libéré sous caution une personne qui avait agressé un avocat à son cabinet. L'avocat a alors insinué en audience et dans la presse que les deux magistrats étaient corrompus par son agresseur et a été condamné pour diffamation calomnieuse.
Alléguant une violation de l’article 10 de la Convention européenne des droits de l'Homme relatif à la liberté d’expression et de l’article 6 § 1 relatif au droit à un procès équitable dans un délai raisonnable, l'avocat saisi la Cour européenne des droits de l'Homme (CEDH).

Dans un arrêt du 30 octobre 2012, la Cour dit qu'il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention européenne des droits de l'Homme, mais pas de l'article 10.

Concernant l'article 6, la Cour rappelle que le caractère raisonnable de la durée d’une procédure s’apprécie suivant les circonstances de la cause et eu égard aux critères consacrés par sa jurisprudence, en particulier la complexité de l’affaire, le comportement du requérant et celui des autorités compétentes ainsi que l’enjeu du litige pour les intéressés. En l’espèce, la Cour note que la durée globale de la procédure, supérieure à dix ans pour trois instances, est a priori trop longue. Si la procédure devant le tribunal de première instance a duré onze mois et dix-huit jours, une durée qu’on ne saurait qualifier de déraisonnable, tel n’est pas le cas des procédures d’appel et de cassation. La Cour estime donc qu’en l’espèce, la durée de la procédure litigieuse est excessive et ne répond pas à l’exigence du "délai raisonnable".

Concernant l'article 10, la Cour estime qu’il y a lieu de distinguer selon que les déclarations litigieuses du requérant avaient comme destinataires les magistrats appelés ès-qualités à connaître de son affaire et intervenus dans l’enquête relative aux plaintes et à l’action de prise à partie, d’une part, et la presse d’autre part.
La divulgation dans la presse des déclarations litigieuses du requérant était de nature à faire croire au public que la décision du procureur et de la juge d’instruction était fondée sur une possible corruption de ceux-ci alors que ces déclarations, bien que voilées, étaient d’une gravité dépassant la limite du commentaire admissible, sans solide base factuelle. Si la plus grande partie des déclarations du requérant étaient effectivement des jugements de valeur et pouvaient se justifier par son droit légitime à l’indignation face à une décision qui lui semblait injuste, la Cour rappelle que faute d’une base factuelle suffisante, un jugement de valeur peut lui aussi se révéler excessif, d’autant que le requérant n’a jamais étayé les accusations du moindre élément de preuve.
Par ailleurs, l’action des tribunaux, qui sont garants de la justice et dont la mission est fondamentale dans un État de droit, a besoin de la confiance du public pour bien fonctionner. Aussi peut-il se révéler nécessaire de protéger celle-ci contre des attaques destructrices dénuées de fondement sérieux. Le requérant n’a pas pris ses précautions pour éviter d’employer des expressions prêtant à confusion et son indignation ne saurait suffire à justifier une réaction si violente et méprisante pour la justice de sa part.
Quant à la proportionnalité de la sanction, la Cour relève la cour d’appel a pris en considération l’état psychologique dans lequel se trouvait le requérant suite à l’agression dont il avait fait l’objet. S’il est indéniable que le montant de cette condamnation est important, il ne présente pas de caractère déraisonnable.
La Cour estime donc que les mesures prises contre le requérant n’étaient pas disproportionnées au but légitime poursuivi.


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