Le candidat écologiste à l'élection présidentielle a répondu aux questions du Monde du Droit concernant ses propositions en matière de justice. Yannick Jadot s'engage à donner les moyens humains, matériels et financiers nécessaires pour faire fonctionner la justice. Dans cette perspective, il prévoit notamment d'augmenter le budget annuel de la justice d’un milliard d’euros d’ici à 2027 (hors administration pénitentiaire) et promet le recrutement de 3.000 magistrats supplémentaires et 8.000 agents de tribunaux.
Que pensez-vous de l'état de la justice en France dont les professionnels du droit fustigent le manque de moyens ?
Je suis pleinement solidaire avec les 7.500 greffiers et magistrats qui ont signé la tribune après le suicide de la jeune magistrate Charlotte.
« Juger vite mais mal, ou juger bien mais dans des délais inacceptables » : rendre la justice est devenu une mission impossible en France pour une raison aussi dogmatique qu’intolérable : l’austérité. La conséquence est que la défiance des citoyens à l’égard de la Justice ne cesse de croître. Son indépendance et la séparation des pouvoirs se retrouvent même menacées par des projets politiques qui piétinent les principes au fondement de l’'État de droit.
La justice est un pilier de notre République. Un bien commun pour notre démocratie. C’est la responsabilité d’un Président de le préserver, quoi qu’il en coûte. Je m’engage à lui donner les moyens humains, matériels et financiers nécessaires pour faire appliquer la loi et rendre la justice.
Les magistrats, les avocats et les greffiers enchaînent les dossiers. Le matériel est obsolète, les prisons surpeuplées, la charge mentale exacerbée. Les arrêts maladie se multiplient et la santé mentale se dégrade au moment même où la tension sociale est palpable après deux années de pandémie. Notre système judiciaire craque de partout, se clochardise, sauvons le avant qu’il ne s'effondre en même temps que l'hôpital public.
Faut-il réformer l'institution judiciaire dans son ensemble ? Faut-il davantage de magistrats ?
La priorité est d’avoir les moyens humains de rendre la justice correctement en France.
J'engagerai le recrutement de 3.000 magistrats supplémentaires (soit + 30%) et 8.000 agents de tribunaux, ce qui nous mettra au niveau des autres pays européens comparables.
Par ailleurs, la justice ne joue pleinement son rôle que si elle est indépendante. J’assurerai l’indépendance du parquet en alignant la procédure de nomination des procureurs sur celle des magistrats du siège et en mettant un terme aux remontées d’informations des parquets vers la Chancellerie.
Est-ce que les États généraux de la Justice lancés par Emmanuel Macron peuvent apporter des réponses selon vous au manque de moyens et au mal-être des magistrats, fonctionnaires de greffe ?
Les critiques formulées à l’encontre du système judiciaire sont connues de longue date : manque de moyens et d’effectifs, défiance, sentiment de laxisme, lenteur des procédures, recours quasi-systématique aux peines d’emprisonnement plutôt qu’aux peines alternatives...Ces États généraux mettront en lumière des problèmes bien connus depuis des années. Les solutions sont également très bien connues. Ce n’est qu’une manière pour le gouvernement d’acheter du temps.
Je suis d’accord avec les nombreux magistrats qui ont refusé de participer à ces États généraux jugés « illusoires », aussi bien qu’« inutiles et inefficaces ».
Que ferez-vous des conclusions des États généraux de la justice ?
Je ne veux occulter aucune des difficultés soulevées par les professionnels du droit et les justiciables qui sont les usagers de ce service public essentiel. Je souhaite tirer toutes les leçons de ces dernières années, écouter les revendications de tous les acteurs et apprendre des conclusions de ces États généraux pour engager toutes les réformes nécessaires.
En définitive, quelles sont vos principales propositions en matière de justice ?
Je favoriserai la réinsertion des détenus et réduirai la criminalité et la récidive en procédant à une révision générale des peines, notamment en réexaminant les peines de prison de courte durée au profit des dispositifs de travaux d’intérêt général et des peines alternatives. Je développerai les dispositifs comme la justice restaurative qui tendent à responsabiliser les auteurs d’infractions pénales.
Je déploierai une justice des mineurs centrée sur l’éducation, le soin et une réelle protection de l’enfance.
Je créerai une police de l’environnement dont les effectifs seront spécifiquement formés, ainsi qu’un pôle environnement, composé d’au moins trois magistrats formés, au sein des parquets de tous les tribunaux judiciaires.
Je légaliserai le cannabis. L’État encadrera ainsi la production et la vente du cannabis, ce qui participera à faire baisser la criminalité, désengorger tribunaux et prisons, et concentrer l’ensemble du personnel de justice sur d’autres missions prioritaires.
Quelles sont vos propositions pour les professionnels du droit ?
Afin de permettre les recrutements cités plus haut, le budget annuel de la justice sera augmenté d’un milliard d’euros d’ici à 2027 (hors administration pénitentiaire).
Je donnerai aux juridictions d’application des peines et aux services pénitentiaires d’insertion et de probation les moyens pour une politique d’accompagnement social et psychologique, la meilleure façon de réduire la criminalité et la récidive, ainsi que pour garantir l’effectivité du principe constitutionnel d’individualisation des peines. Il nous faut redonner du sens aux sanctions et, donc, à la politique carcérale.
J’accorderai plus de moyens à la Justice des mineurs, aux juges des enfants et aux services sociaux. De plus, 20.000 postes d'éducateurs spécialisés, d’assistants sociaux et de psychologues seront créés dans le cadre d’un plan d’urgence pour l’éducation et la prévention. Je donnerai les moyens aux collectivités d’assurer leurs missions d’aide sociale à l’enfance. L’assistance par un avocat des mineurs impliqués dans des procédures sera systématisée.
Je garantirai la formation des personnes travaillant en foyer et mettrai des moyens dans les contrôles par l'État de ces foyers. Je donnerai un véritable statut aux familles d'accueil.
Propos recueillis par Léa Verdure et Arnaud Dumourier