Les sources des journalistes : un secret en danger ?

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Interview de Gérard Davet, Journaliste au journal Le Monde à propos du projet de loi  sur le secret des sources des journalistes.

En quoi le projet de loi adopté le 12 juin dernier en Conseil des ministres sur le secret des sources des journalistes affaiblit-il celui-ci ?

Gérard Davet : A mon sens, le terme "intérêts fondamentaux de la nation" est trop vague et laisse la possibilité d'attenter aux sources des journalistes. En effet, il n'est pas très différent de l'expression "impératifs prépondérants d'intérêt public" qui avait été utilisée de manière très large par les pouvoirs publics - et à notre détriment - ces dernières années. La première mouture du texte, avant qu'il soit affadi par le conseil d'état, était beaucoup plus restrictive. Elle s'inspirait de la loi belge et protégeait réellement les journalistes. De plus, il semble que les conditions requises ne soient plus cumulatives, ce qui laisse la aussi un champ très large d'intervention pour les pouvoirs publics. On se retrouve avec un texte qui se trouve au milieu du gué, avec un léger progrès, mais sans réelle volonté de placer dans de vraies conditions de confort professionnelles "les chiens de garde de la démocratie" que nous sommes censés être. Bref, les chiens ont toujours une laisse.

Quelles seraient les modifications à apporter à ce projet pour que ce secret demeure bien ou mieux gardé à l’avenir ?

GD. : Il devrait déjà être prévu une sanction plus menaçante afin de nous permettre de déposer une plainte bien articulée. On s'est heurtés à cela dans l'affaire dite des "fadettes" où il nous a été impossible de nous appuyer sur la loi. M. Squarcini a été renvoyé sur le fondement de l'atteinte au secret des correspondances et pas sur la violation du secret des sources. Il n'est pas certain que le nouveau dispositif nous offre plus de latitude. Par ailleurs, il faudrait impérativement que les conditions requises pour porter atteinte au secret de nos sources soient cumulatives, afin de dissuader toute initiative déplaisante. Enfin, il me parait évident que le terme "intérêts fondamentaux de la nation" est bien trop vague. Et force est de constater que le projet initial de Christiane Taubira proposait un certain nombre d’avancées notoires. Cette première mouture du texte prévoyait ainsi que seuls deux motifs pouvaient justifier la levée du secret des sources d’un journaliste : « prévenir ou réprimer la commission soit d’un crime, soit d’un délit constituant une atteinte grave à la personne » ; il ajoutait deux conditions restrictives devant être remplies simultanément : l’« importance cruciale » des informations recherchées, lesquelles ne devant pouvoir « être obtenues d’aucune autre manière ». La reculade est évidente, et les ministères de l'intérieur et de la défense ont fait jouer leur influence.

Quels sont les principaux dangers auxquels ce secret est exposé aujourd’hui ?

GD. : On voit bien la tentation aujourd'hui de nos pouvoirs judiciaires de s'en prendre à nos sources. Elle perdure, quel que soit le régime en place. Ainsi, dans l'affaire DSK, des juges lillois ont voulu prendre connaissances des fadettes de journalistes du Monde. Le parquet leur a fort heureusement refusé ce droit, on voit bien que les magistrats, qu'ils soient du siège ou aux parquets ont cette tentation constante. En l'absence de réelle menace législative, nous évoluons sur un fil, à la merci d'initiatives désagréables. Seule avancée notable, la disparition du recel de violation du secret de l'instruction. Si cet article passe, alors c'en sera fini de cette hypocrisie qui nous permettait de faire état de pièces issues d'un dossier judiciaire - le journaliste n'est pas astreint au secret de l'instruction - sans avoir le droit de les posséder, si ce n'est pour se défendre devant les tribunaux. Les dangers demeurent nombreux. Par exemple, si un journaliste révèle des informations classées "secret défense", porte-t-il atteinte aux intérêts fondamentaux de la Nation ? La défense de l'intérêt public, du droit à l'information, prime-t-elle dans ce cas sur le "secret défense" ? Dans le cadre de l'affaire Merah, ou dans les affaires liées au trafic d'armes, on touche souvent à ce "secret défense". Et il y a fort à parier que les pouvoirs publics vont se servir du texte contre nos intérêts même si, et c'est heureux, un juge des libertés sera amené à se prononcer.


Propos recueillis par Denis Mazeaud, Professeur à l’Université Panthéon-Assas (Paris II)

 

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Cet article est extrait du n° 1 de la newsletter Le Monde du Droit Selon Capitant  (TELECHARGER LE NUMERO AU FORMAT PDF)

 

 


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