Accords de distribution en Europe : les nouvelles règles du jeu !

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Tribune de Natasha Tardif, associée, et Audrey Augusto, collaboratrice, département concurrence et droit européen du cabinet Reed Smith Paris sur la révision du règlement d’exemption par catégorie applicable aux accords verticaux (VBER).

La Commission européenne a entamé une période extrêmement riche en renouveau puisqu’elle revisite un certain nombre de ses textes fondamentaux en droit de la concurrence. Parmi ces textes, figure le bien connu règlement d’exemption par catégorie applicable aux accords verticaux, qui offre une sphère de sécurité à tous les accords de fourniture et de distribution lorsque les parties détiennent une part de marché inférieure à 30% et lorsqu’ils ne contiennent aucune des restrictions dites « caractérisées » qui sont considérées comme particulièrement nocives pour la concurrence.

Le 10 mai dernier, la Commission a donc adopté un nouveau règlement, accompagné de nouvelles lignes directrices qui viennent l’expliquer.

Le règlement est entré en vigueur le 1er juin 2022 et les entreprises bénéficient d’une période de transition, qui s’achèvera le 31 mai 2023, pour mettre leurs contrats existants en conformité avec ces nouvelles règles.

Sans fondamentalement révolutionner l’ancien régime, les nouvelles règles apportent des clarifications bienvenues et introduisent des changements visant notamment à tenir compte du développement du e-commerce et des nouvelles pratiques de distribution. 

Flexibilité accrue pour structurer les réseaux de distribution

Par principe, un fournisseur ne peut restreindre le territoire sur lequel son distributeur revend les biens ou les services contractuels, par exemple en lui interdisant de vendre dans des pays situés en dehors du territoire qui lui a été alloué par le contrat.

Certaines restrictions territoriales sont néanmoins autorisées, notamment lorsqu’elles visent à protéger un réseau de distribution sélectif ou exclusif. L’ancien régime s’était, à cet égard, avéré à la fois trop rigide par rapport aux besoins commerciaux des têtes de réseau et difficile à mettre en œuvre en pratique.

La Commission a pris note de ces écueils et le nouveau règlement accorde aux fournisseurs une flexibilité accrue pour structurer et protéger leurs réseaux de distribution.

En particulier, un fournisseur peut désormais interdire à tous ses revendeurs, y compris à ses distributeurs exclusifs, et à leurs clients, de vendre activement et passivement à des revendeurs non-agréés situés sur le territoire où il exploite son système de distribution sélective.

Il lui est également possible d’interdire à tous ses revendeurs, y compris à ses distributeurs sélectifs, et à leurs clients directs, de vendre activement sur le territoire alloué à titre exclusif à un ou plusieurs distributeurs.

Ce faisant, le règlement permet aux fournisseurs de combiner plus facilement distribution exclusive et distribution sélective sur différents territoires, sans craindre de porter atteinte à l’intégrité de leurs réseaux.

Enfin, le règlement autorise les fournisseurs à avoir recours à des exclusivités partagées, en nommant jusqu’à cinq distributeurs sur un même territoire.

Les mêmes règles sont applicables aux restrictions de la clientèle à laquelle les distributeurs peuvent revendre les biens et services contractuels.

Clarifications relatives aux restrictions des ventes actives et passives 

Les règles relatives aux restrictions territoriales et de clientèle, en particulier en matière de distribution exclusive, reposent sur la distinction subtile entre ventes actives et ventes passives.

Pourtant, l’ancien règlement ne contenait aucune définition de ces deux notions. Les indications données par les anciennes lignes directrices étaient utiles mais insuffisantes, en particulier au regard du développement du e-commerce.

Le règlement définit désormais ces notions et les nouvelles lignes directrices apportent des clarifications supplémentaires.

Elles précisent notamment que toutes les ventes en ligne ne sont pas des ventes passives. Le fait de proposer un site internet dans une langue différente des langues couramment utilisées sur le territoire où le vendeur est établi ou de sélectionner un pays déterminé dans le cadre d’un service de référencement payant, peut constituer une forme de vente active. Un fournisseur pourrait ainsi restreindre de telles pratiques lorsqu’elles ciblent un territoire alloué à des distributeurs exclusifs.

Plusieurs décisions récentes de la Commission européenne, visant par exemple les accords de licence pour la distribution de produits dérivés Nike et Sanrio, avaient rappelé que des restrictions des ventes actives ou passives pouvaient également résulter de mesures indirectes appliquées par le fournisseur. 

Les lignes directrices donnent de nouveaux exemples de restrictions indirectes qui pourraient faire perdre à l’accord le bénéfice de l’exemption, telles que le fait de soumettre les ventes en dehors du territoire alloué au distributeur à l’autorisation du fournisseur, de limiter les langues pouvant être utilisées sur l'emballage des produits, d’exiger que le distributeur empêche des clients étrangers de consulter son site internet ou encore d'empêcher les revendeurs d'utiliser la marque du fournisseur à des fins de publicité en ligne.

Ces exemples sont les bienvenus dans la mesure où les fournisseurs n’avaient souvent pas conscience de ce qui pouvait constituer une restriction indirecte avant de tomber sous le coup d’une enquête et d’une sanction !

Assouplissement des règles relatives à la vente en ligne

Lors de l’adoption des anciens textes, la vente en ligne était encore un canal de distribution relativement nouveau. La Commission européenne avait ainsi adopté une approche très stricte à l’égard des restrictions susceptibles de restreindre le développement de ce nouveau canal de distribution.

Depuis, la situation a beaucoup évolué et, partant du constat que le canal de la vente en ligne ne nécessitait plus la même protection, la Commission a assoupli les règles applicables. Elle a également intégré, dans ses lignes directrices, les principes dégagés par la Cour de justice de l’Union européenne, notamment dans les affaires Pierre Fabre et Coty. Les nouvelles règles précisent désormais que les restrictions des ventes en ligne ne constituent en elles-mêmes des restrictions caractérisées que lorsqu’elles ont pour objet d'empêcher en pratique tout usage d’Internet ou d’un canal de publicité en ligne, par les revendeurs. 

En revanche, les autres restrictions, telles que celles visant à préserver l'image de la marque en imposant des normes de qualité ou à empêcher la vente de produits contrefaits, bénéficient de l’exemption par catégorie. Tel est notamment le cas de l’interdiction de l’utilisation des places de marché en ligne.

La Commission européenne est, en outre, revenue sur sa position quant au principe d’équivalence et au double prix. Les fournisseurs peuvent désormais imposer à leurs revendeurs des critères différents pour la vente en ligne et hors ligne et leur facturer un prix de gros plus élevé pour les produits destinés à être vendus en ligne, lorsque cela est justifié par des différences d’investissements et de coûts.

Règles spécifiques concernant les plateformes

Le règlement et les lignes directrices apportent des précisions sur la situation des plateformes en ligne.

Les nouvelles règles indiquent que les entreprises actives dans l’économie des plateformes en ligne ne constituent généralement pas de véritables agents commerciaux au sens du droit de la concurrence. Par ailleurs, les prestataires de services d’intermédiation en ligne sont considérés comme des fournisseurs par le règlement, ce qui signifie que les restrictions qu’ils pourraient imposer aux utilisateurs de leurs services, par exemple en termes de prix ou de territoires, pourraient constituer des restrictions caractérisées faisant perdre à l’accord le bénéfice de l’exemption.

Le règlement précise encore que les accords verticaux relatifs à la prestation de services d’intermédiation en ligne, conclus avec des plateformes en ligne hybrides, qui vendent des biens et services en concurrence avec les entreprises auxquelles elles fournissent des services d’intermédiation, ne sont pas protégés par le règlement.

Les nouvelles règles reviennent également sur les obligations de parité, également appelées clauses de la nation plus favorisée. Les obligations de parité demeurent exemptées, à l’exception des clauses « larges » qui empêchent les acheteurs de services d’intermédiation en ligne d’offrir, de vendre ou de revendre des biens ou des services à des utilisateurs finals à des conditions plus favorables par le biais de services d’intermédiation en ligne concurrents. Celles-ci devront être évaluées au cas par cas.

La mise en œuvre de ces règles spécifiques applicables aux plateformes pourrait créer des incertitudes à l’avenir.

Renforcement des règles en matière de double distribution

Avec le développement de la vente en ligne, les situations de double distribution sont devenues courantes. La double distribution vise l’hypothèse dans laquelle un fournisseur vend ses biens ou services directement aux utilisateurs finaux et également par l'intermédiaire de distributeurs indépendants, avec lesquels il est en concurrence.

La plupart des situations de double distribution demeurent exemptées par le règlement. Toutefois, les échanges d’informations ayant lieu entre le fournisseur et le distributeur et qui ne sont pas directement liés à la mise en œuvre du contrat ou ne sont pas nécessaires pour améliorer la production ou la distribution des biens ou services contractuels ne bénéficient pas de l’exemption.

Les lignes directrices contiennent une liste non exhaustive d’échanges d’informations pouvant être considérés comme nécessaires et directement liés au contrat (ex. échanges sur le processus de production, sur l’inventaire ou les stocks de produits). Les lignes directrices donnent également des exemples d’échanges d’informations qui, à l’inverse, sont peu susceptibles de remplir ces critères (ex. échanges sur les prix de revente futurs).

Conclusion

En résumé, la Commission offre davantage de souplesse aux fournisseurs pour gérer leurs réseaux de distribution sélective et exclusive, ce qui sera sûrement apprécié tant cette gestion pouvait s’avérer être un vrai travail d’équilibriste. Elle améliore aussi la sécurité juridique en matière de ventes en ligne en assurant une meilleure harmonisation des approches à l’échelle européenne. Le régime spécifique applicable aux services d’intermédiation en ligne créé néanmoins des incertitudes pour les plateformes et leurs utilisateurs. Enfin, un certain nombre de clarifications utiles ressortent du VBER et de ses lignes directrices, notamment s’agissant des restrictions territoriales ou de clientèle ou encore en matière de double distribution. Ne reste plus qu’à confronter ces nouveaux textes à l’épreuve de la réalité ! 

Natasha Tardif, associée, et Audrey Augusto, collaboratrice, département concurrence et droit européen du cabinet Reed Smith Paris


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