Rapport Perben : Passons à l’action !

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Tribune de Vincent Ohannessian sur le Rapport Perben.

Si l’avenir sourit aux audacieux, les avocats risquent de faire encore longtemps grise mine…Le rapport Perben, qui vient d’être remis au garde des Sceaux, répond dans le bon sens à la question de « l ’équilibre économique et des conditions d’exercice » de la profession mais avec un manque d’ambition que seule une mise en œuvre rapide de mesures maintes fois discutées pourrait faire oublier.

Le constat est sévère et la situation urgente. Le rapport est clair sur la croissante fragilité économique et financière pour de plus en plus de confrères, avec un revenu médian en perte de vitesse reflétant des disparités internes qui se creusent. La situation est connue et ne cesse de s’aggraver.

Alors oui, il est temps de passer à l’action ! Le rapport reprend un état des lieux bien connu, déjà dressé par les instances représentatives de la profession d’avocat, CNB, Ordres et syndicats. Il se contente de proposer les adaptations nécessaires à la situation présente, pour la plupart demandées depuis longtemps par la profession : revalorisation de l’AJ, caractère exécutoire des décisions du bâtonnier en matière de taxation d’honoraires, réforme de l’article 700 du CPC, professionnalisation du contenu de la formation initiale, amélioration des relations avec les magistrats. Quant à l’égalité homme/femme et la protection des collaborateurs, de nombreux barreaux ont déjà mis en place des mesures, à commencer par Paris. Alors avançons.

On aurait souhaité aller plus loin. L’avenir de la profession mérite une vision prospective pour anticiper les révolutions à venir, imaginer ce qui n’existe pas encore, s’adapter sans peur. On ne peut qu’être déçu par le manque d’ambition d’un rapport timoré, voire conservateur, sur les grands enjeux de demain. Ainsi, si la définition légale de la consultation juridique peut apparaître, a priori, comme une avancée, la rédaction proposée est peut-être une fausse bonne idée. En effet, la « prestation personnalisée » pourrait être une arme à double tranchant, permettant, a contrario, à toute personne de proposer une consultation « non personnalisée », ce terme prêtant à toutes formes d’interprétations. Une vision lucide à moyen terme des possibilités de l’IA devrait nous amener à réaliser que les machines pourront fort vraisemblablement fournir des contenus « personnalisés ». Il est temps d’affronter sans trembler des bouleversements inéluctables ; ils sont autant de menaces que d’opportunités pour la profession protectrice des libertés.

Alors quelles sont les propositions de la mission Perben les plus prometteuses pour soutenir économiquement la profession d’avocat et lui permettre de préparer un avenir pérenne ?

La proposition 8 permettant de rendre exécutoire l’acte d’avocat conclu entre les parties à l’issue d’un processus de MARD est une véritable avancée tant ces modes amiables de résolution des litiges sont appelés à prendre de l’importance dans un futur proche. Ce nouvel outil permettrait à l’avocat de s’imposer comme l’acteur incontournable de ces procédures.

La proposition 10 sur le financement des cabinets d’avocats et l’assouplissement des règles sur l’apport de capitaux est également intéressante et constituerait certainement un levier de développement économique important pour la profession. Malheureusement, elle ne fait qu’effleurer la question de l’apport d’affaires entre avocats en suggérant « d’engager une réflexion sur le sujet ». C’est oublier qu’elle l’est déjà, depuis plusieurs années : le rapport que j’ai présenté en juin 2017 au Conseil de l’Ordre de Paris propose en effet de lever l’interdiction de la rémunération de l’apport d’affaires, a minima entre avocats, cette rémunération pouvant tout à fait s’envisager dans le respect des principes déontologiques. Les propositions de modifications rédactionnelles des articles 11.3 et 11.4 du RIN ainsi que du décret n°2005-790 du 12 juillet 2005 sont prêtes[1].

Enfin, osons aller plus loin sur le secret professionnel de l’avocat, au cœur de la raison d’être de notre profession. Si le rapport constate, à juste titre, que ce secret est de plus en plus menacé alors qu’il constitue un droit fondamental du citoyen, il n’en tire pas les conséquences à la hauteur de l’enjeu. Notre pays mérite que soit constitutionnalisé le droit de toute personne d’échanger confidentiellement avec son avocat. Cela pourrait se faire à l’instar de la Charte de l'environnement de 2004, en créant une Charte des droits de la défense à valeur constitutionnelle, intégrée au « bloc de constitutionnalité ». Ce faisant, l’institutionnalisation au plus haut niveau de cette liberté publique ancrerait solidement la profession d’avocat dans son rôle singulier et essentiel dans notre démocratie. C’est la clé intangible de l’avenir de notre profession à partir de laquelle nous pouvons ouvrir toutes les portes.

Vincent Ohannessain, Avocat à la Cour, Ancien Secrétaire de la Conférence, Ancien Membre du Conseil National des Barreaux, Ancien Membre du Conseil de l’Ordre

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NOTE

[1] Rapport sur la rémunération des apports d’affaires, Me Vincent Ohannessian, Conseil de l’Ordre du Barreau de Paris, 14 juin 2017


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