Covid-19 et MAC clause dans les contrats de prêt

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Stéphan Alamowitch, associé responsable du département Banque & Finance du cabinet Franklin, et Aurélien Sevin, avocat à la Cour, reviennent sur la possibilité d'utiliser les clauses de material adverse change (MAC, effet significatif défavorable) à l'occasion de la crise sanitaire actuelle.

Les praticiens du droit financier ont souvent l’occasion de négocier les termes de la clause d’« effet significatif défavorable », aussi connue sous son nom anglais de clause de « material adverse change », que l’on trouve dans la grande majorité des contrats de prêt et dans de nombreux contrats d’émission obligataire. La rédaction de cette clause a évolué depuis son invention par les juristes anglais, notamment après la crise de 2008. Il reste qu’elle est rarement mise en œuvre, guère plus souvent qu’en matière d’acquisition de sociétés, opérations dans lesquelles on la trouve parfois aussi. Si l’on recherche « effet significatif défavorable » ou « material adverse change » dans les bases de données jurisprudentielles, telle Légifrance, on n’en trouvera quasiment aucune occurrence. Cette clause est souvent analysée en doctrine comme une clause résolutoire, dispensant une partie, le prêteur en l’occurrence, de l‘exécution de ses obligations, en vertu de l’article 1225 du Code civil.

La clause d’effet significatif défavorable pourrait connaître une actualité nouvelle à l’occasion de la pandémie du Covid-19. Par comparaison, l’imprévision de l’article 1195 du Code civil est systématiquement et désormais valablement écartée par les parties aux contrats de financement, et il est peu probable qu’elle soit au centre des débats entre prêteurs et emprunteurs

L’effet significatif défavorable, dans la clause classique (celle des contrats établis sur les bases fournies par la Loan Market Association), « (...) désigne la survenance ou la découverte de tout fait ou événement affectant, immédiatement ou à terme, de façon défavorable et significative :

(A) la situation financière, les actifs, le patrimoine, ou l’activité de toute Société du Groupe ; ou

(B) la capacité de l’Emprunteur ou de la Caution à satisfaire leurs engagements au titre des Documents de Financement ; ou

(C) l’efficacité, le rang ou la validité de l’un quelconque des Documents de Financement. »

Clause et pandémie

Certains praticiens considèrent que la notion d’effet défavorable significatif exclut les chocs macro-économiques exogènes et non spécifiques à l’emprunteur. Cette interprétation est possible, à notre sens, quand la rédaction, après négociation, vise « tout événement imputable à l’Emprunteur ou spécifique à ce dernier », ce qui exclurait alors une pandémie. Néanmoins, en l’absence de restrictions de ce type, la clause couvre tout événement compromettant notablement la capacité de l’emprunteur de remplir ses obligations contractuelles.

La clause d’effet significatif défavorable est d’autant plus importante qu’au-delà des conséquences qu’elle autorise la résiliation de l’engagement de décaisser les fonds ou le droit de prononcer l’exigibilité anticipée, le modèle de la Loan Market Association prévoit que l’absence d’événement ayant un effet significatif défavorable figure indirectement parmi les déclarations et garanties que l’emprunteur donne à la date de signature du contrat de prêt puis réitère périodiquement. Au demeurant, le modèle de la Loan Market Association laissant aux parties le soin de déterminer lesquelles des déclarations et garanties sont réitérées.

La seule survenance d’un événement significatif défavorable, tel le Covid-19, n’est pas suffisante pour que le prêteur soit en droit de ne pas honorer une demande de tirage ou bien rende l’encours du prêt exigible par anticipation, les deux effets que les prêteurs entendent produire grâce à la clause d’effet défavorable significatif. Encore lui faut-il prouver que le Covid-19 a ou est susceptible d’avoir un impact significatif sur le niveau de chiffre d’affaires, la trésorerie, ou les perspectives de l’emprunteur, et il lui appartiendra, puisqu’il invoque cette clause résolutoire, d’en apporter la preuve.

Devant les tribunaux français, l’appréciation subjective du prêteur ou du pool de prêteurs, même s’étant exprimé à la majorité requise, ne constituera pas, à soi seul, une preuve péremptoire de la réalité de la circonstance (la situation semble différente en droit anglais à la suite de la célèbre affaire Cukurova Finance Intl Limited vs Alfa Telecom Turkey Ltd de mai 2009 – raison de plus de préférer le droit français quand on est un emprunteur un tant soit peu conscient). En toute hypothèse, dès lors que l’emprunteur reste en mesure d’honorer ses engagements de remboursement, toutes choses égales par ailleurs, il est bien peu probable qu’un juge du tribunal de commerce accepte la démonstration proposée. Un peu de réalisme judiciaire n’est jamais inutile quand l’on doit analyser les clauses des contrats de prêt !

Des débats nouveaux

La crise sanitaire actuelle promet des débats nouveaux. On pense à la confrontation de la clause d’effet défavorable significatif que pourrait invoquer le prêteur pour se délier de ses engagements (accorder ou maintenir le crédit) et la clause de force majeure de l’article 1218 du Code civil  que l’emprunteur peut imaginer d’invoquer pour s’exonérer de son défaut d’exécution du contrat ou de la dégradation de sa situation. La situation serait inédite. Observons que l’effet défavorable significatif est la conséquence d’une simple clause du contrat quand la force majeure peut s’autoriser d’une tradition jurisprudentielle plus fournie et surtout d’un fondement légal.

Il est cependant ici important de noter que l’article 4 de l’Ordonnance n° 2020-306 du 25 mars 2020 prévoit que si à une date de paiement d’intérêts ou de capital, l’emprunteur est en défaut de paiement, l’agent ne pourra se prévaloir de la clause d’effet significatif défavorable pour résilier le contrat de prêt prononcer l’accélération du crédit

Pour les contrats de prêt en cours, la recommandation pratique est de procéder à un audit des clauses d’effet significatif défavorable afin de vérifier si elle doit s’appliquer à un choc exogène, général comme la pandémie du Covid-19.

Pour les contrats en cours de négociation, les parties auront à se demander s’il faut restreindre la clause d’effet significatif défavorable aux seuls évènements imputables à l’emprunteur ou alors rester dans la généralité, et de ce fait couvrir ainsi les situations de pandémie ayant les conséquences économiques que nous connaissons aujourd’hui.

Il est intéressant de noter que selon la jurisprudence anglaise, pour une fois favorable à l’emprunteur, si l’évènement ou la situation est en cours à la signature du contrat et connu des parties (Grupo Hotelero Urvasco SA v Carey Value Added SL & Anor [2013]), il ne peut plus être invoqué comme le material adverse change permettant au prêteur de ne pas exécuter ses engagements, voire de résilier le contrat de prêt.

Stéphan Alamowitch, associé responsable du département Banque & Finance du cabinet Franklin, et Aurélien Sevin


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