Réduction de capital non motivée par des pertes et date de comptabilisation : le retour logique (et attendu !) de l'alignement du traitement comptable sur la réalité juridique

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Armelle Maitre et Svetlana Tokoucheva, Stehlin & AssociésArmelle Maitre et Svetlana Tokoucheva, du cabinet Stehlin & Associés, nous offrent ici leur point de vue sur la réduction de capital non motivée par des pertes et date de comptabilisation. 

L'opération de réduction de capital non motivée par des pertes est désormais comptabilisée dès la décision de réduction sans attendre l'expiration du délai d'opposition des créanciers : la Commission juridique de la Compagnie Nationale des Commissaires aux Comptes vient de revenir sur sa précédente interprétation.

La Commission juridique de la Compagnie Nationale des Commissaires aux Comptes (CNCC), dans une position récente (CNCC, EJ 2012-35, mars 2013), revient sur sa précédente interprétation (CNCC, EJ 2010-96, septembre 2011) de la date de comptabilisation d'une réduction de capital non motivée par des pertes et rejoint ainsi la pratique courante et la doctrine majoritaire juridique pour admettre finalement que :

- l'opposition éventuelle d’un créancier ne pourrait pas remettre en cause l’opération qui est définitive dès la décision de l’assemblée générale ou la décision des associés et que
- l’opération peut être comptabilisée dès la décision de l'assemblée générale, sans attendre l’expiration du délai d’opposition des créanciers (mesure spécifique de protection des créanciers en matière de réduction de capital non motivée par des pertes applicable aux sociétés commerciales).

En effet, les sociétés commerciales qui procèdent à une réduction de capital non motivée par des pertes doivent respecter le droit des créanciers de former opposition à l'opération pendant le délai de 20 jours à compter du dépôt au greffe du procès-verbal ayant décidé ou autorisé la réduction de capital (délai d'un mois pour les SARL).

Selon la doctrine majoritaire et la pratique, d'un point de vue juridique, en l'absence de résolution spécifique dans le procès-verbal, la réduction de capital est définitive dès la décision des actionnaires/associés car aucune des mesures judiciaires de protection des créanciers (constitution de garanties ou remboursement des créances) ne peut remettre en cause la réduction de capital.

Le droit au remboursement des actionnaires/associés naît donc à la date de la décision juridique et c'est seulement la réalisation matérielle de la réduction de capital qui est retardée par l'effet de l'article L. 225-205 du Code de commerce. Ainsi, seuls sont donc reportés la distribution, l'offre de rachat et le remboursement aux actionnaires/associés.

Toutefois, en 2011, la Commission juridique de la CNCC avait estimé (ce qui a été fortement critiqué par la doctrine juridique) qu'au regard des textes et par analogie avec sa position relative à la date de comptabilisation d'une transmission universelle de patrimoine (TUP) qui est enregistrée à l'issue du délai d'opposition des créanciers (analogie également très fortement critiquée par la doctrine juridique et les praticiens du droit des sociétés), la réduction de capital non motivée par des pertes ne pouvait être comptabilisée qu'à l'issue du délai d'opposition. Le régime comptable se trouvait à la suite de cette première interprétation en contradiction totale avec le régime juridique, la CNCC ayant donné au délai d'opposition des créanciers un "effet différé" que la loi ne lui donnait pas …

L'interprétation comptable "par analogie" des textes applicables à la TUP était pour le moins surprenante et juridiquement très critiquable puisque la réalisation de la TUP est différée à l’issue du délai d’opposition du fait de l'art.1844-5 du Code civil, alors que l'article L. 225-205 du Code de commerce concerne seulement la mise en oeuvre matérielle d'une décision juridiquement définitive dès la décision de l'assemblée (sauf stipulation contraire expresse du procès-verbal).

Cette interprétation n'a pas manqué de poser de problèmes pratiques lorsque les opérations de réduction de capital étaient effectuées en fin d'exercice mais que le délai d'opposition empêchait de prendre en compte (d'un point de vue comptable) à cette date.

Moins de deux ans après son interprétation erronée, la CNCC est revenue sur sa position en confirmant que les dispositions de l’article L. 225-205 du Code de commerce concernent les seules opérations juridiques et leurs modalités d’exécution (notamment le remboursement effectif aux actionnaires/associés) et que l'opposition éventuelle d’un créancier ne pourrait pas remettre en cause l’opération qui est définitive dès la décision juridique.

Désormais et selon la nouvelle position de la Commission juridique de la CNCC, l’opération de réduction de capital non motivée par des pertes peut être comptabilisée dès la décision de l'assemblée ou des associés, sans attendre l’expiration du délai d’opposition des créanciers, ce qui correspond également à la réalité juridique (en l'absence de décision contraire des actionnaires/associés).

Enfin, d'un point de vue pragmatique, il est possible d'imaginer, notamment dans le cas de groupe de sociétés ou lorsque l'enjeu financier n'est pas très important, des solutions pratiques permettant d'accélérer la mise en oeuvre matérielle de la distribution/remboursement aux actionnaires/associés pour ne pas attendre l'expiration du délai d'opposition des créanciers. Notre équipe Corporate est à votre disposition pour analyser les situations concrètes qui pourraient se présenter dans les différentes situations et envisager les solutions les plus appropriées.

 

Armelle Maitre et Svetlana Tokoucheva, Stehlin & Associés


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