Les particules de diesel : qui sera la cible des recours de demain ?

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Sylvie Gallage-Alwis et Estelle Isik, Hogan LovellsAprès une attention médiatique digne de celle dont ont fait l'objet l'amiante ou plus récemment les pesticides, le bisphénol A et certains produits pharmaceutiques, le diesel est désormais désigné comme "le problème de la France" qu'il conviendrait d’”éradiquer. Gallage-Alwis Avocat à la Cour / Solicitor in England & Wales, et Estelle Isik de Hogan Lovells Paris LLP décryptent la question des recours contre les particules diesel. 

Après une attention médiatique digne de celle dont ont fait l'objet l'amiante ou plus récemment les pesticides, le bisphénol A et certains produits pharmaceutiques, le diesel est désormais désigné comme "le problème de la France" (Delphine Batho, députée, ancien ministre de l'Écologie, du Développement durable et de l'Énergie, 16 juin 2014) qu'il conviendrait d’”éradiquer” (Anne Hidalgo, maire de Paris, 16 mars 2014). Pour Bruno Guibeaud, président du réseau d’experts automobiles français Europe Qualité Expertise, le diesel représenterait ainsi "une bombe à retardement" capable de provoquer un scandale sanitaire comparable à l’amiante.

En effet, le classement, en juin 2013, des gaz d’échappement des moteurs diesel en tant que "cancérogènes certains" par le CIRC, le dossier intitulé "Qualité de l’air, un enjeu sanitaire" publié en octobre 2013 par l’ADEME1 et l'inscription d'un objectif de diminution d'exposition des populations aux polluants atmosphériques dans le Troisième Plan Cancer de 2013 ont relancé les débats.

Vives ont en outre été les réactions aux pics de pollution récents. Ceux-ci ont conduit le Gouvernement à annoncer une baisse prochaine des valeurs d'exposition aux particules fines et au dépôt par trois associations, le 10 mars 2014, d'une plainte pénale contre X pour mise en danger de la vie d'autrui.

Si le diesel est à ce point ciblé, c’est probablement parce que les véhicules l'utilisant équipent plus de 60 % des voitures en circulation en France et représenteraient 70 % des nouvelles immatriculations2.

Aussi, c’est avec l'ambition de mettre un terme à ce déséquilibre encouragé et rendu possible, à l'époque, par l'État, qu’une proposition de loi visant à pénaliser les acheteurs des véhicules diesel a été déposée par les députés écologistes, le 5 mai 2014.

Ce texte, qui prévoyait d’instaurer une taxe additionnelle sur les certificats d’immatriculation d’un montant de 500 euros, revalorisée de 10 % tous les ans, n’a cependant pas été retenu. Dans la même lignée, les divers amendements proposés par les Verts pour la loi de finances rectificative (i.e. la prise en compte dans le bonus-malus des émissions de dioxydes d’azote, ou encore une taxe sur les véhicules de société roulant au diesel), ont été rejetés3. Cependant, le 1er octobre 2014, le Gouvernement annonçait une hausse de la taxe sur le diesel de 2 centimes par litre. Pour autant, Monsieur Sapin n'a pas justifié cette décision par un argument écologique ou de santé publique mais économique.

Ce refus de prise de position, pour le moment, de la part de l’Etat s’explique sans nul doute dans le fait que lui reconnaître un effet nocif reviendrait à admettre que l'État est responsable des risques sanitaires aujourd'hui allégués. Une telle reconnaissance pourrait alors largement être utilisée soit par les potentielles victimes qui assigneraient directement l'État, soit par les industriels qui pourront, s'ils venaient à être condamnés, appeler l'État en garantie.

C'est ce qui a commencé à se produire très récemment en matière d'amiante. La société Latty International a ainsi obtenu la condamnation de l'État à lui rembourser la moitié des dommages-intérêts qu'elle a dû verser à un de ses anciens salariés qui avait développé une maladie liée à l'amiante au motif "qu’il incombe aux autorités publiques chargées de la prévention des risques professionnels de se tenir informées des dangers que peuvent courir les travailleurs dans le cadre de leur activité professionnelle, (…) et d’arrêter, en l’état des connaissances scientifiques, au besoin à l’aide d’études ou d’enquêtes complémentaires, les mesures les plus appropriées pour limiter et si possible éliminer ces dangers"4.

La tentation de faire porter aux constructeurs la responsabilité de la pollution de l'air sera néanmoins grande, ces derniers étant, pour la plupart, plus solvables et plus visibles que d’autres acteurs.

C'est ce qui s'est produit aussi bien en matière d'amiante que de pesticides. Or, la stratégie adoptée actuellement par les "victimes du diesel" du futur est exactement la même que celle qui a été développée pour ces substances.

C'est ainsi que des campagnes médiatiques ont été organisées, des émissions télévisées diffusées et des rapports scientifiques négatifs publiés. Des associations poussent par ailleurs l'État à reconnaître certaines maladies comme étant liées au diesel et autres particules fines et ont ainsi réussi à introduire le diesel dans le Plan Cancer actuel.

S'en est suivi un premier recours au pénal contre X pour mise en danger de la vie d'autrui, comme cela a été le cas en matière d'amiante en 1996. C'est ensuite que sont apparus les recours en faute inexcusable, au civil et en anxiété, avec pour le diesel, comme pour les pesticides, un nombre de demandeurs potentiels extraordinaire, son utilisation étant ancienne et généralisée.

Les constructeurs automobiles doivent dès lors, d'ores et déjà, être particulièrement vigilants et ne négliger aucun recours quel qu'il soit car celui-ci risque d'être un "recours test" ensuite utilisé comme précédent devant d'autres juridictions et à l'encontre d'autres constructeurs.

Sylvie Gallage-Alwis, Avocat à la Cour / Solicitor in England & Wales, Hogan Lovells (Paris) LLP

Estelle Isik,Hogan Lovells (Paris) LLP

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NOTES

1 A. Garric, Le Monde, Tout comprendre à la pollution de l’air aux particules fines, 12 décembre 2013, disponible sur http://www.lemonde.fr/planete/article/2013/12/12/tout-comprendre-a-la-pollution-de-l-air-aux-particules-fines_3529330_3244.html#channel=f32a0e763a4f7d&;origin=http%3A%2F%2Fwww.lemonde.fr.
2 Sénat, Rapport fait au nom de la commission des finances sur la proposition de loi de Mme Aline ARCHIMBAUD et plusieurs de ses collègues relative à la nocivité du diesel pour la santé, 11 juin 2014.
3 R. Boughriet, Actuenvironnement, Vers un malus à l'achat d'un véhicule à moteur diesel ?, 20 juin 2014 disponible sur http://www.actu-environnement.com/ae/news/archimbaud-proposition-loi-taxe-diesel-malus-oxyde-azote-moteurs-senat-21986.php4.
4 Tribunal Administratif d’Orléans n° 1302175 et 1303521 du 27 mai 2014, Sté Latty International c/ Ministre du Travail.

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