Ordalie est une IA générative dédiée au droit, un « ChatGPT du droit ». Le Monde du Droit a voulu en savoir plus en interrogeant Léa Fleury, cofondatrice et CEO d’Ordalie.
Quel est votre parcours ?
J’ai obtenu ma maîtrise à Bordeaux, puis j’ai intégré l’ESSEC. Ensuite, après avoir terminé mes études avec un master en droit des affaires à Paris, j’ai commencé ma carrière en cabinet d’avocats chez Baker McKenzie, dans le département fusions-acquisitions. C’est lors de cette expérience que j’ai identifié des processus pouvant être optimisés et simplifiés pour gagner en productivité.
Contrairement à d’autres systèmes qui se connectent simplement à des IA existantes pour obtenir des réponses, vous avez créé votre propre modèle d’IA dédié au droit. Pourquoi cette spécificité ?
En effet, c’est essentiel pour garantir des réponses fiables, plus précises et éviter les risques liés aux hallucinations pouvant être produites par les LLM (Large Language Models). Les LLM sont des modèles fondés sur des probabilités et leur rôle est de construire des phrases structurées et bien écrites mais ils ne vérifient en aucun cas la véracité des informations qu’ils communiquent. Ce sont des modèles de langues et non pas des « modèles de connaissances ». Ils n’ont donc aucune connaissance juridique, ce qui nous oblige à créer nos propres modèles d’IA, tous spécialisés en droit et connectés en temps réel à toutes les sources du droit. L’objectif pour 2024 sera d’aller encore plus loin en proposant nos propres LLM entraînés par nos soins pour augmenter davantage la précision de nos réponses. L’idée sera de contribuer à la création d’une IA souveraine et éthique en continuant de développer des modèles open-sources en parallèle.
Aujourd’hui, nous co-développons l’outil avec des cabinets d’avocats de toutes tailles. L’idée de cette co-construction est de pouvoir développer une technologie qui traduit le plus précisément possible les besoins des professionnels du droit pour leur permettre, in fine, de gagner en productivité sur certaines tâches.
Comment appréhendez-vous le droit avec l’IA ?
Notre premier défi est de rassembler les données puis de les structurer.
S’agissant du choix des données, nous priorisons des données brutes (Legifrance, Judilibre) pour créer des bases de données fiables et pertinentes. Nous structurons ces données à plusieurs niveaux dans nos propres bases de données, afin de permettre une recherche sémantique très précise et exhaustive. Nous les classons en termes sémantiques grâce à des modèles d’« embedding » dédiés. C’est la combinaison de ces modèles avec les grands modèles de langues qui permet de garantir un excellent niveau de fiabilité en évitant tout problème d’hallucination.
Enfin, la base de données est connectée à un LLM qui permet de structurer la réponse.
Quels sont les prochains développements ?
En plus de perfectionner nos modèles de recherche sémantique, notre objectif principal pour 2024 sera de mettre en production nos propres grands modèles de langues (LLM) permettant un bond significatif dans la qualité et l’exhaustivité des réponses. Pour cela, nous avons la chance de bénéficier d’infrastructures informatiques et d’accompagnement grâce au CNRS et à l’INRIA.
En définitive, quelle est la plus-value d’Ordalie par rapport aux systèmes d’IA existants ?
L’ergonomie et l’interface de l’outil sont des points extrêmement importants pour nous. Nous partons du principe que c’est à la technologie de s’adapter au « workflow » de l’utilisateur et non l’inverse. De fait, travailler étroitement avec des professionnels du droit, notamment des avocats et des juristes d’entreprises, nous aide énormément : cela nous permet de construire un outil au plus proche de leurs usages et qui répondra à un besoin réel. Nous ne voulons pas être qu’une solution de confort.
Côté technologie, Ordalie se distingue par ses modèles qui s’appuient exclusivement sur les sources fournies, ce qui permet d’éliminer toutes formes d’hallucinations. Cela rend les réponses plus sûres. En plus de ça, l’ensemble de nos modèles sont connectés en temps réel à toutes les sources du droit, ce qui permet d’avoir une information à jour ! Notre objectif finalement est de faciliter l’accès à une information juridique de haute qualité, entre autres grâce à l’IA.
Quel rôle l’IA joue dans le domaine du droit ?
Le droit est un terrain de jeu particulièrement intéressant pour l’IA, notamment sur les modèles liés à la recherche sémantique. L’IA facilitera d’abord grandement l’accès à l’information juridique puisqu’elle aura la capacité de passer au crible des centaines de milliers d’informations diverses (codes, jurisprudences, etc.), de les trier pour ne retenir que les sources pertinentes et enfin de les organiser pour délivrer une réponse rédigée et structurée. L’IA pourra également intervenir dans le processus de rédaction et de gestion de contrats, par exemple en suggérant des clauses adaptées à la nature de l’accord ou en anticipant les problématiques juridiques potentielles qui pourraient découler des termes d’un contrat. L’ensemble de ces apports pourront permettre aux professionnels du droit de gagner en productivité, en tout cas, on l’espère !
Est-ce que cela va au-delà des bases de données juridiques actuelles ?
Tout à fait ! Les bases de données juridiques actuelles reposent en majorité sur une technologie de recherche par mots-clés qui fonctionne très bien. Le travail de tri et d’articulation des différentes sources est donc laissé à l’utilisateur. Cependant, les LLM vont plus loin en ne se contentant pas de sortir les sources pertinentes mais ils peuvent ensuite lier les données entre elles pour tenter de recréer le raisonnement juridique.
Propos recueillis par Arnaud Dumourier (@adumourier)