CEDH : l'AMF peut saisir les documents des personnes de passage durant l'opération de visite

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La CEDH conforte la position de l’assemblée plénière de la Cour de cassation qui retient que les documents, ordinateurs et téléphones qui se trouvent sur un lieu déterminé peuvent être saisis par les enquêteurs de l’AMF, qu'importe que ces documents, ordinateurs et téléphones appartiennent aux occupants des lieux ou à des personnes de passage.

L'affaire concerne les pouvoirs de visite et de saisie des enquêteurs de l’Autorité des marchés financiers (AMF).

Dans deux arrêts du 14 octobre 2020 (pourvois n° 18-17.174 et 18-15.840), la Cour de cassation précise que seuls sont saisissables les documents et supports d'information qui appartiennent ou sont à la disposition de l'occupant des lieux, soit la personne qui occupe, à quelque titre que ce soit, les locaux dans lesquels la visite est autorisée, à l'exclusion des personnes de passage au moment de la visite domiciliaire.

Mais, dans ses arrêts rendus le 16 décembre 2022 (pourvois n° 21-23.719 et 21-23.685), la Cour de cassation, réunie en assemblée plénière, retient que les documents, ordinateurs et téléphones qui se trouvent sur un lieu déterminé peuvent être saisis par les enquêteurs de l’AMF. Le fait que ces documents, ordinateurs et téléphones appartiennent aux occupants des lieux ou à des personnes de passage n’entre pas en considération.

Invoquant l’article 8 de la Convention européenne des droits de l'Homme (Droit au respect de la vie privée), les requérants contestent la prévisibilité de la base légale des saisies. Ils font valoir que les termes de l’article L. 621‑12 du code monétaire et financier (CMF) ne leur permettaient pas de prévoir que des saisies pourraient être pratiquées entre leurs mains, alors qu’ils n’étaient que de passage.
Ils soutiennent en outre que l’interprétation retenue par l’assemblée plénière de la Cour de cassation est contraire à l’exigence de légalité.

Dans un arrêt du 23 novembre 2023 (requêtes n° 16416/23 et 16424/23), Hachem BELGHITI c/ France et Rita ZNIBER c/ France, la Cour européenne des droits de l'Homme constate que l’interprétation finalement retenue par l’assemblée plénière de la Cour de cassation n’est contraire ni à la lettre ni à l’esprit de l’article L. 621-12 du CMF.
La Cour note en outre que celle-ci contribue à la sécurité juridique, la Cour de cassation ayant précédemment interprété dans le même sens des dispositions similaires, relatives aux pouvoirs de visite et de saisie du fisc (article L. 16 B du livre des procédures fiscales) et de l’Autorité de la concurrence (article L. 450-4 du code de commerce).
Rien ne lui permet de considérer cette interprétation comme étant manifestement déraisonnable.

S’agissant du pouvoir d’appréciation conféré à l’AMF, la Cour relève que le droit interne ne permet à ses enquêteurs de procéder à des visites et saisies que dans le cadre d’enquêtes relatives à des infractions déterminées, ouvertes sur décision du secrétaire général de l’AMF, et après autorisation d’un magistrat.
En outre, seuls les documents et supports d’information en lien avec l’objet de l’enquête sont saisissables.
Par ailleurs, il ne saurait être reproché au législateur de ne pas dresser une liste exhaustive de l’ensemble des documents susceptibles d’être saisis, compte tenu du caractère général inhérent à toute règle normative.
La Cour estime ainsi que le droit interne fixe avec suffisamment de clarté l’étendue et les modalités d’exercice du pouvoir d’appréciation qu’il confère aux enquêteurs de l’AMF.

Au vu de ce qui précède et compte tenu de la qualité des requérants, qui sont des professionnels familiers du monde des affaires, la Cour estime qu’à la date de l’ingérence litigieuse, ceux-ci étaient en mesure de prévoir à un degré raisonnable, et en s’entourant au besoin de conseils éclairés, que des saisies pouvaient être effectuées entre leurs mains s’ils venaient à se trouver dans des locaux visités par les enquêteurs de l’AMF.
La base légale de l’ingérence litigieuse était donc prévisible.

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