La Recommandation n° 2014-02 de la CCA relative aux contrats proposés par les fournisseurs de services de réseaux sociaux : véritable avancée ou coup d'épée dans l'eau ?

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emmanuelle-faivreCommentaire de Emmanuelle Faivre, Avocat Counsel chez Reed Smith, au sujet de la Recommandation n° 2014-02 relative aux contrats proposés par les fournisseurs de services de réseaux sociaux publiée par la Commission des clauses abusives en décembre 2014.

La Recommandation adoptée le 7 novembre 2014 se justifie tant par la croissance des réseaux sociaux, l’instantanéité de l’adhésion, que par la variété des publics visés, dont 20 millions d’utilisateurs de Facebook en France.

C’est au regard de l’article L. 132-1 du Code de consommation prohibant les clauses abusives que la Commission a observé des modèles de contrats afin d’y déceler de telles clauses ayant pour objet ou pour effet de créer un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au détriment du consommateur. La Commission prend soin de préciser que le fait que l’utilisateur participe au fonctionnement du réseau n’altère en rien sa qualité de consommateur et indique que son texte n’a pas vocation à s’appliquer à un professionnel.

Le travail de la Commission a donné lieu à 46 recommandations.

Certaines relèvent de la protection classique offerte aux consommateurs. La Commission rappelle ainsi que les conditions générales d’utilisation doivent être présentées de façon lisible et dans la langue du public visé et critique également les clauses disparates aux multiples renvois ou liens hypertextes. De même, la Commission souhaite un respect de la protection due aux délais de rétractation et refuse que le professionnel s’octroie le droit de modifier unilatéralement le contrat, notamment de manière rétroactive. D’autres recommandations prohibent les tentatives du professionnel de prévoir des clauses limitatives ou exonératoires de responsabilité ou des restrictions au droit d’agir en justice.

Enfin, les conditions générales ne peuvent pas laisser croire que le consommateur ne bénéficie pas des dispositions impératives de la loi française.
De nombreuses recommandations se rapportent aux données personnelles et aux contenus numériques apportés et leur traitement sur le réseau social. La Commission refuse notamment que le professionnel se contente d’un consentement implicite en vue du traitement des données, laisse croire qu’elles peuvent être communiquées à des tiers non désignés sans requérir d’autorisation. Elle considère également abusives les clauses permettant la conservation des données sans limitation de durée ou pour une durée qui excède celle nécessaire aux finalités du traitement ou permettant leur transfert à l’étranger sans en préciser la destination. Est également considérée abusive la conservation des contenus après la résiliation du contrat. Enfin, le respect du droit moral de l’auteur est exigé.

L’une des innovations de cette Recommandation consiste à énoncer qu’est abusive l’affirmation selon laquelle "les services de réseautage social sont gratuits". L’adhésion peut s’effectuer sans bourse délier, mais les réseaux ne doivent tromper leurs utilisateurs car les données confiées au réseau constituent une contrepartie s’analysant en une rémunération valorisable économiquement pour le fournisseur. On est donc loin d’un contrat à titre gratuit !

La publication des nouvelles conditions de service Facebook 2015 offrait l’occasion d’apprécier leur réception par un professionnel.

Dès la page d’inscription au réseau Facebook, toute illusion s’envole : le slogan "C’est gratuit (et ça le restera toujours)" apparaît sur l’écran…

La désillusion continue avec les nombreux renvois internes du texte rendant sa lecture mal aisée. Et que dire des clauses faisant présumer l’accord du consommateur sur d’éventuels amendements des conditions par sa seule utilisation des services.

Le respect du droit moral de l’auteur n’est pas en reste car Facebook s’octroie une "licence" mondiale sans redevance sur les contenus protégés par des droits de propriété intellectuelle et admet qu’en cas de suppression de contenus, ils sont conservés pendant un certain temps sans en préciser la durée.

Pour faire valoir ses droits contre Facebook, une clause prévoit la compétence des tribunaux du Northern District de Californie ou du comté de San Mateo ! Dans un arrêt du 23 mars 2012, la Cour d’appel de Pau avait pourtant déjà considéré qu’une telle clause devait être réputée non écrite.

L’impact de la Recommandation pourrait donc sembler faible face au géant Facebook, d’autant que la Cour de cassation* énonce que les recommandations de la Commission des clauses abusives ne sont pas génératrices de règles dont la méconnaissance ouvre droit à cassation.

Le Conseil d’Etat** rappelle qu’il ne s’agit pas de règles s’imposant aux particuliers ou aux autorités publiques, mais de simples invitations aux professionnels concernés à supprimer ou modifier les clauses présentant un caractère abusif et qu’il n’appartient qu’au juge compétent, en cas de litige, de prononcer la nullité de telles clauses.

Dans ces conditions, on ne peut que souhaiter une grande publicité à cette Recommandation pour inciter les consommateurs à saisir les juges pour faire valoir leurs droits !

Emmanuelle Faivre, Avocat Counsel chez Reed Smith

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*Civ. 1ère 13 novembre 1996, numéro du pourvoi : 94-17369
**Conseil d’Etat, 16 janvier 2006, numéro 274721, Recueil Lebon


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