Loi Macron et établissement des notaires : comment tenter de concilier libéralisme et efficacité de l'Etat

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pierre-cellardPierre Cellard, relativement à la loi Macron et, plus précisément en ce qui concerne l'établissement des notaires, tente d'expliquer comment concilier libéralisme et efficacité de l'Etat.

Un projet politique pas clair n'a jamais fait un texte de loi clair. Cette règle se vérifie avec le texte qui vient de sortir difficilement de l’Assemblée qui traite du degré de liberté d'établissement des notaires et de celui de la tarification de leurs prestations. On ne commentera ici que le premier point . 

On sait que les notaires ne disposent pas aujourd'hui de la liberté d'établissement : alimentant les registres d'état civil, et ceux de la publicité foncière, participant à la mise en œuvre des politiques d'urbanisme déterminant et collectant pour le compte de l'Etat et des collectivités de l'impôt (beaucoup : 22 Mds : à ce titre, un glissement de 0.5% de collecte du à une interprétation plus souple des textes dans un contexte concurrentiel libre , c’est 100 M de perte annuelle de recette fiscale.. ), et relayant à ce titre les fonctionnaires, ils donnent, comme les juges, force exécutoire à leurs actes et exercent une prérogative de puissance publique. Ils sont, pour garantir leur participation au service public et le maillage territorial, nommés par le Garde des Sceaux, et soumis au contrôle des parquets et leurs tarifs sont réglementés et, pour la très grande majorité d'entre eux, mutualisés ; ce système fonctionne depuis près de deux siècles pour leur nomination et depuis quarante ans pour le tarif (qui doit être revu mais relève de la voie règlementaire) et est le signe d'un Etat structuré et vigilant sur le contrôle de ceux qu’il charge notamment de collecter l’impôt pour son compte.
La libéralisation obligée, la crise, la tentation médiatique et la méconnaissance du rôle d'une profession par un ministère qui n'en assure pas la tutelle et qui découvre la matière, ont pu convaincre Messieurs Montebourg et Macron de la nécessité d'une déréglementation complète.
Pour autant , la découverte progressive des insuffisances d'analyse du projet initial de l'importance des enjeux, au regard de la sécurité juridique, de la sécurité financière, et de celle de la collecte de l'impôt, ont imposé des modifications donnant naissance à ce jour, s’agissant de la question de l’installation des notaires, à un texte lourd et contre-productif .
Pour la compréhension du dispositif, on indiquera que le texte crée -sans polémique aucune ou référence inadaptée - deux zones, l'une" libre ", l'autre "contrôlée ou moins libre ":
- S'agissant de la première zone, le texte (art 13 bis al 1) dispose que "les notaires peuvent librement s'installer dans les zones ou l'implantation d'offices apparait utile pour renforcer la proximité ou l'offre de services " : le principe de la libre installation est donc posé, le texte indiquant que ces zones sont déterminées par une carte identifiant les secteurs pour lesquels la création de nouveaux offices apparait utile (al 2 et 3). Le texte se poursuit (al 4) en indiquant que "l'élaboration de cette carte garantit une augmentation progressive du nombre d'offices à créer de manière à ne pas causer de préjudice anormal aux offices existants".
On notera donc que le principe de liberté d'installation sur cette première zone (le ministre de la Justice ne pouvant pas, sur cette zone, refuser une création d'office), est contredit par les deux autres objectifs du législateur : utilité, progressivité, chacun de ces critères pouvant d'ailleurs être mis en avant pour en contester la délimitation.
Mais le texte crée (art 13 bis III) une seconde zone , "contrôlée" qui permet, à la différence de la première, au Garde des Sceaux de refuser une demande de création d'office si "l’implantation d'offices supplémentaires est de nature à porter atteinte à la continuité de l'exploitation des offices existants et à compromettre la qualité du service rendu".
En quelque sorte, pile, tu t'installes ou tu veux ; face tu t'installes ou tu veux sauf si je m'y oppose... Compte-tenu du caractère très flou de la notion de "l'atteinte à la continuité de l'exploitation" que les tribunaux ne seront pas en mesure de caractériser, il ne fait pas de doute qu'il s'agit de fait d'une véritable liberté d'installation, sur la base des recommandations de l' Autorité de la concurrence dont ce n'est ni la mission ni le domaine de compétence.

Ce dispositif appelle quatre critiques :

1°) Une critique liée à la procédure de délégation de l’exercice de l’autorité publique :
Comment justifier que le candidat (sous réserve des conditions d’honorabilité et de compétence) puisse imposer au Garde des Sceaux, du son seul fait de son diplôme et de sa volonté de s’installer, sa nomination alors même que celle-ci a pour conséquence qu’il participera à l’exercice de l’autorité publique ? En quelque sorte, est- il opportun (voire constitutionnel) que le Garde des Sceaux soit contraint à cette nomination alors que le postulant, dans le dispositif historique et toujours actuel, est soit nommé par le Garde dans un office crée par celui-ci soit simplement présenté à son agrément : à tout le moins, c’est un affaiblissement, voire une perte de légitimité de celui qui nomme : une chose est de tenir sa nomination du garde des Sceaux,une autre est de la tenir d’un diplôme et de sa volonté de s’installer.

2°) Une critique liée à la rupture d'égalité dans l'application du principe de libre installation posé par le texte :
La carte établie appliquera en effet le principe de libre installation (art 13 al 1 "les notaires peuvent librement s’installer dans les zones ou l’implantation d’offices apparait utile..."), avec pour seule limite "de ne pas causer de préjudice anormal aux offices existants" (art 13 bis 4eme al) ; on voit mal comment l’Autorité de la concurrence pourra – ex ante- , avant toute installation d’un nouveau candidat, apprécier ce futur "préjudice anormal" tant la notion est floue celui-ci n’étant caractérisable qu’au bout de quelques années d’installation du nouveau notaire ;
Comment donc gérer l'afflux des candidats qui bénéficieront sur la première zone et pendant deux ans, d’une liberté d'installation totale (dans cette zone, la création de nouveaux offices apparait , dit le texte "utile" (art 13 bis al 3) : cette première zone qui sera , par hypothèse , en quelques années saturée, passera donc, si l’Autorité de la concurrence en tire les conséquences, en seconde zone : les créateurs dans cette première zone auront donc bénéficié d'un effet d'aubaine et du prix de la course et n’auront du aucune indemnité aux offices antérieurement crées alors que les créateurs dans la seconde zone (qui pourra être une ancienne première zone) pourront se voir opposer un refus du ministre et/ou devront indemniser celui-là même qui aura créé deux ans avant eux dans la première zone dès lors que la nouvelle création portera atteinte à la valeur de l’office antérieurement crée.

3°) Une critique liée à l'intelligibilité du texte et à la mise en œuvre du dispositif :
On ne voit donc pas comment "l’élaboration de cette carte garantit une augmentation progressive du nombre d’offices à créer » (art 13 bis al 4) alors que les notaires pourront librement s’installer (sauf préjudice anormal aux offices existants, ….)
Il n'apparait pas réaliste ni opérationnel de penser qu’on pourra réviser tous les 2 ans ces deux zones au niveau national : comment gérer le fait qu'il y a lieu d'ouvrir complétement telle zone, puis de refermer, puis de rouvrir en fonction des nouvelles implantations de façon à permettre, le cas échéant, au Garde des Sceaux de s’opposer à une demande de création ? On rappellera d’ailleurs à ce sujet que le notariat intervient dans un secteur d’activité ou l’élasticité de la demande est très faible : on ne divorce pas plus, on ne décède pas plus et on n’achète pas plus dans un contexte de réglementation ou de libre installation, pas plus qu’on paie plus d’impôt parce qu’une nouvelle trésorerie s’installe au bas de chez vous.

4°) Une critique liée au dispositif d’indemnisation par les nouveaux entrants :
Le texte (art 13 bis al 4) dispose : "lorsque la création d’un office porte atteinte à la valeur patrimoniale d’un office antérieurement crée, le titulaire de ce dernier est indemnisé, à sa demande, par le titulaire du nouvel office dont la création a causé ce préjudice".
Le Conseil d’Etat a déjà indiqué qu’en prévoyant le transfert à des tiers de la réparation d’un préjudice anormal causé par le législateur, ce dispositif pourrait être regardé comme contraire au principe d’égalité devant les charges publiques ; il sera en plus, s’il devait prospérer, source de contentieux et de difficultés professionnelles.
Mais sur le fond, le texte aboutit en fait à volontairement perdre le contrôle de l’implantation des offices notariaux au nom de la libéralisation et à la mise en place d’un dispositif de secours permettant de reprendre, sur le papier, ce contrôle ; et on met à la charge des nouveaux entrants un faux dispositif d’indemnisation, car très difficilement caractérisable d’un point de vue judicaire, avec pour seul objectif de permettre à l’Etat de se défausser de sa responsabilité du fait de la loi .

Il existe pourtant un dispositif simple qui n’a pas été retenu : une carte nationale, un concours, un calendrier :
- Une carte nationale fixant l'implantation des nombreux offices à créer définie sur proposition de l'Autorité de la concurrence, permettant une approche ouverte et contrôlée des implantations et interdisant une désertification notariale qui sera induite de façon quasi-certaine par le projet actuel, les notaires déjà installés dans les zones "moins solvables" s’installant logiquement, comme les entrants, dans les zones plus lucratives.
- Un calendrier des implantations permettant d'éviter les à-coups, les ouvertures et fermetures temporaires de zones que le projet actuel provoquera de façon certaine ;
- Un concours permettant de reconnaitre le diplôme, la compétence et le parcours professionnel dont le principe est fixé par la loi: lui seul permet la méritocratie et l' égalité des chances : c'est le système historique de recrutement de la fonction publique ou para-publique qui a fait ses preuves et qui doit, pour les notaires, rapidement monter en puissance.
Le débat a en effet été amplement nourri par la communication efficace de jeunes ou moins jeunes diplômés réclamant, très souvent à juste titre au regard de leurs compétences, leur nomination, laissant entendre que le droit d'être nommé devrait être acquis par le seul fait de disposer du diplôme. Dans le contexte de chômage des jeunes (tel n’est pas le cas des jeunes diplômés), cet argument a été largement entendu , la confusion du droit au diplôme et du droit à l'installation étant la règle pour un certain nombre de professions libérales (avocats, médecins, pharmaciens par exemple). Ce sentiment d'injustice doit être entendu et pris en compte : il le sera par l'ouverture rapide de la profession par des concours successifs qui seul évitera la mise à bas du dispositif actuel qui fait tous les jours preuve d’efficacité.

Les professionnels n'ayant pas su respecter dans les temps leurs engagements d'ouverture, il est certes très regrettable que le ministre de l'économie ait supplanté celui de la Justice mais c’est ainsi .Le texte, dans son actuelle version, ne permettra pas à l'Autorité de la concurrence, d’avoir une expertise claire et celle-ci portera en partie la responsabilité des futurs contentieux : Méfions-nous des textes lourds et alambiqués : l’enfer législatif en est pavé ; la loi ALUR – Duflot vient d'en être un exemple cinglant; le législateur se décrédibilise à faire des textes sans prendre en compte l’expérience de l’histoire et des professionnels, et l’analyse des universitaires et du Conseil d’ Etat sur les risques induits.

Le ministre de l'économie a fait machine arrière, à juste titre, sur les deux dispositions relatives aux avocats, celle du statut d'avocat en entreprise et celles relatives à leur compétence nationale (dont les notaires disposent depuis 1977) ; pourquoi cet acharnement à faire voter une libéralisation de fait complète alors que l’Europe n’en demande pas tant, que le rapport Rueff-Armand , largement mis en avant, ne préconisait pas, loin s’en faut, une mesure aussi radicale et que la commission Attali de 2008, consciente des enjeux d’efficacité de l’Etat, préconisait une approche quantitative d’ouverture des activités de notaire "afin de répondre à l’augmentation des besoins de service juridique" sans en demander la libéralisation.

Entendons-nous, il y a tout à fait matière à augmenter le nombre de notaires mais le succès politique du ministre, déjà acquis, ne doit pas casser un dispositif qui a largement fait ses preuves; on voit la lourdeur extrême, les contradictions fortes et donc l'insécurité des dispositifs de "zonage professionnel" mais on n’en voit pas l'intérêt sauf à penser qu'il s'agit d'un faux nez à la volonté du gouvernement d’aboutir, de fait, dans les années qui viennent à une déréglementation totale. Si c'est le cas, qu'il le dise et qu'il en prenne le risque. Si ce n’est pas le cas, qu’il mette en place ce dispositif de concours qu’il pourra maitriser et dont on connait les avantages ; de grâce, que le Sénat mette en place ce dispositif simple, quitte à déplaire au principe du tout libéral ; que l’on ne prenne pas le risque d’une perte d’efficacité du dispositif actuel et qu’on nous épargne des années de contentieux contre l’Etat et entre professionnels parce que la ligne et le texte ne sont pas clairs.

Pierre Cellard,  SCP Evelyne et Pierre CELLARD Notaires


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