ISF : le bon régime d’exonération pour les titres sociaux

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impotsFace à la diversité et à la complexité des dispositifs, les auteurs proposent une synthèse sous forme de 8 conseils pratiques sur l’usage des différents régimes d’exonération en matière d’ISF pouvant s’appliquer aux associés et dirigeants de sociétés soumises à l’IS.

Pour limiter les effets négatifs de l’ISF sur la stabilité du capital des entreprises familiales et leur pérennité, le législateur a institué successivement différents régimes d’exonération totale ou partielle en faveur des dirigeants ou des associés (885 O bis, 885 I bis, 885 I ter, 885 I quater, 885 O quinquies). Ces dispositifs sont toutefois devenus au fil du temps complexes à utiliser, soit en raison des difficultés internes des régimes, soit en raison de la nécessité de plus en plus fréquente de les appliquer à un groupe de sociétés détenues par une holding.

L’actionnaire qui détient des titres d’une société industrielle ou commerciale soumise à l’IS, dispose au regard de l’ISF d’un large choix entre différents régimes d’exonération totale ou partielle. Les plus couramment utilisés sont :

Régime : Taux d’exonération : Conditions principales :

Biens professionnels

(885 O bis du CGI)

100 %

(limitée à la valeur des actifs professionnels détenus

par la société- 885 O ter)

-       Être dirigeant (président, DG…).

-       Détenir en principe au moins 25 % des droits de vote.

-       Percevoir une rémunération normale représentant plus de la moitié de ses revenus professionnels.

Pacte Dutreil ISF

(885 I bis du CGI)

75 %

-       Participer à un engagement collectif de conservation portant sur au moins 34 % du capital (société non cotée).

-       Conserver les actions pendant 6 ans.

-       Un signataire de l’engagement doit diriger l’entreprise pendant 5 ans.

Régime des salariés, mandataires sociaux, et retraités

(885 I quater du CGI)

75 %

-       Exercer son activité principale dans l’entreprise en tant que dirigeant ou salarié, ou l’avoir exercé avant sa retraite.

-       Conserver ses actions pendant 6 ans.

Souscription au capital des PME Européennes

(885 I ter du CGI)

100 %

-       Souscrire en numéraire à des titres nouveaux émis par une PME ayant son siège dans l’Union européenne.

Dirigeants retraités

(885 O quinquies du CGI)

La valeur de la nue-propriété

-       Les parts ou actions remplissaient depuis au moins trois ans les conditions de 885 O bis (ci-dessus).

-       La nue-propriété est donnée à un descendant qui exerce lui-même un mandat social visé par 885 O bis.

-       Le donateur cesse d’être dirigeant.

Ces régimes d’exonération peuvent avoir vocation à s’appliquer de manière successive, au fur et à mesure des évolutions et des changements de situation du redevable.
Voici nos conseils :

1. Choisir le bon régime
Ces régimes présentent des caractéristiques assez différentes. Les taux d’exonération varient de l’un à l’autre mais sont toujours globalement très efficaces. Les conditions et les contraintes sont variables et se révèleront plus ou moins adaptées selon la situation de chaque redevable.
Avant de choisir le dispositif qu’il va revendiquer, chaque redevable doit donc bien s’informer pour identifier le ou les régimes dont il peut bénéficier. Ensuite, il doit peser le pour et le contre pour déterminer le plus adapté et le plus sécurisé pour sa propre situation. Ce choix supposera notamment de vérifier qu’il remplit bien avec certitude toutes les conditions du régime, et de déterminer si les contraintes de conservation des actions pendant un certain délai qui sont imposées par certains de ces dispositifs sont compatibles avec ses propres projets patrimoniaux. Il devra bien entendu prendre garde de ne pas revendiquer un dispositif dont il ne remplirait pas, ou plus, avec certitude les conditions. Il est plus opportun de choisir un régime d’exonération à 75% sans risques plutôt que de tenter d’en revendiquer un offrant 100% mais dont une condition pourrait être contestée. Les contrôles de l’administration sont fréquents en la matière.

2. Cumuler deux exonérations
Il est parfois possible pour un même redevable de cumuler plusieurs régimes. Ainsi l’exonération de 100 % au titre des biens professionnels est limitée à la fraction de la valeur des actions correspondant aux seuls biens sociaux nécessaires à l’activité professionnelle (885 O ter). Mais pour les autres actifs non professionnels que pourrait détenir la société (un immeuble de rapport par exemple) ceux-ci restent imposables. Il peut alors être conclu en complément un Pacte Dutreil-ISF qui offrira 75% d’abattement sur la valeur de ces derniers.
Exemple : Mr A est dirigeant et remplit toutes les conditions d’exonération sur une société X.
Les titres de X détenus par Mr A valent 10 millions €. Mais la société X détient un immeuble non nécessaire qui représente 30% de la valeur de son actif. Mr A devrait donc déclarer à l’ISF 3.000.000 € (10.000.000 x 30%). S’il conclut un pacte Dutreil ISF en complément, il ne sera taxé que sur 750.000 € (3.000.000 x 25%).

A noter : la Cour de cassation vient de préciser dans un arrêt de principe du 20 octobre 2015 que la recherche du caractère éventuellement non nécessaire ne pouvait être menée que sur les actifs de la société qui constitue le « bien professionnel » du redevable, c'est-à-dire celle dans laquelle il remplit les conditions de l’exonération, mais non dans ses filiales ou sous-filiales (1).

3. Piloter les changements de régime
Le redevable ne doit pas hésiter non plus à changer de régime lorsque sa situation, notamment professionnelle, évolue. Il est par exemple possible de basculer du régime des biens professionnels vers un autre dispositif lorsque le dirigeant prend sa retraite. Cette stratégie peut même être optimisée en étant anticipée. Le redevable met en place les conditions du nouveau régime (un pacte Dutreil ISF par exemple) plusieurs années avant de prendre sa retraite, alors qu’il bénéficie encore de l’exonération des biens professionnels. Il commence ainsi à faire courir plus tôt le délai de conservation de six ans de sorte qu’arrivé au moment de prendre sa retraite la durée de conservation minimum restante sera réduite d’autant.
Il peut aussi parfois changer de régime pour limiter les conséquences de la remise en cause d’un autre dispositif. Le régime des mandataires sociaux (885 I quater) peut être revendiqué a posteriori et venir remplacer un autre régime qui aurait été contesté par l’administration. Ainsi le dirigeant qui voit remettre en cause l’exonération à 100% prévue pour les biens professionnels (885 O bis), par exemple parce que sa rémunération est jugée anormalement basse par l’administration, peut invoquer à la place l’exonération à 75% (885 I quater) pour les années redressées s’il en remplissait les conditions. De même après le décès d’un dirigeant qui était exonéré au titre des biens professionnels (885 O bis), son conjoint survivant non dirigeant, s’il conserve les actions, pourra pour l’avenir revendiquer le régime des mandataires et salariés (885 I quater).

4. Prendre garde au sort de l’immobilier 
L’exonération de l’immobilier utilisé par l’entreprise peut être particulièrement complexe lorsque le redevable le détient personnellement ou par l’intermédiaire d’une SCI. Elle n’est pas possible dans certains régimes (pacte Dutreil par exemple). Dans d’autres (biens professionnels) elle est envisageable mais peut se heurter en pratique à de nombreuses difficultés en raison de certaines positions très restrictives de l’administration. 
Par exemple : la SCI doit être propriétaire de l’immeuble et ne peut le détenir en crédit-bail, elle doit louer ou mettre à disposition l’immeuble à la société même dans laquelle le redevable remplit les conditions du bien professionnel et non à une holding ou l’une de ses filiales.

5. Penser aux régimes méconnus
Certains régimes d’exonération sont très connus des redevables et fréquemment utilisés. Ces derniers oublient en revanche parfois l’existence de certains autres dispositifs dont ils pourraient également bénéficier et qui sont parfois plus intéressants. Ainsi le régime de souscription de titres de PME européennes (885 I ter) est particulièrement efficace, souple et peu contraignant. Mais l’on constate en pratique que de nombreux redevables qui en remplissent les conditions oublient tout simplement de le revendiquer par méconnaissance ou appliquent un autre régime moins adapté à leur propre situation.

6. Rester très vigilant sur les holdings
Le redevable détient de plus en plus fréquemment les titres d’une société holding contrôlant elle-même plusieurs filiales. L’appréciation des conditions des régimes d’exonération devient alors beaucoup plus complexe à appréhender et dépend fondamentalement du point de savoir si la holding peut être considérée comme étant « animatrice de son groupe ». Cette qualification pose en pratique de nombreuses difficultés liées à la façon dont le groupe est organisé et à son processus de fonctionnement décisionnel. Il convient d’être particulièrement attentif sur ce point car l’administration est de plus en plus exigeante, et la charge de prouver que la holding est animatrice pèse sur le redevable. En cas de disqualification du caractère animateur de la holding le redevable perd très souvent son exonération.
Le contentieux est abondant sur ce point !
Lorsque la holding est identifiée d’emblée comme n’étant pas animatrice les risques de requalification sont plus limités mais c’est alors le régime lui-même qui devient plus complexe à mettre en œuvre dans la mesure où les conditions doivent être réparties sur plusieurs sociétés (la holding et ses filiales opérationnelles).

7. Prendre garde aux « faux amis »
Un certain nombre de régimes recèlent de véritables pièges pour des redevables insuffisamment avertis de leur complexité technique. Au sein d’un même régime les règles d’appréciation sur certains sujets peuvent varier d’une question à l’autre.
Par exemple le « groupe familial » pris en compte au sein du régime des biens professionnels est tantôt large (appréciation de la détention du seuil de 25% des droits de vote, qui constitue le principe), tantôt plus étroit (appréciation du seuil de 50 % du patrimoine, qui en est une exception).
De même la possibilité de détenir les actions de la société constituant le bien professionnel par holding interposée est admise pour le seuil de 25% des droits de vote et celui de 50% du patrimoine (dans la limite dans les deux cas d’un niveau d’interposition au maximum), mais pas pour celui de 12,5% après une augmentation de capital dilutive qui constitue une dérogation aux deux premières hypothèses sans qu’il existe de raison permettant d’expliquer ou même de suspecter une telle différence.

8. Bien ficeler les pactes Dutreil ISF
La loi (art. 885 I bis du CGI) prévoit que les associés qui concluent ensemble un engagement collectif « Dutreil- ISF » peuvent effectuer entre eux des donations ou cessions de titres. L’engagement de conservation pris par le cédant se reporte alors sur l’acquéreur des titres. Contre toute attente l’administration fiscale a fait savoir dans une réponse ministérielle « Moyne-Bressand » du 13 août 2013 qu’en cas de cession partielle par un signataire à un autre signataire le cédant serait malgré tout déchu en totalité du régime. Cette réponse parait contraire à la loi ce qui a d’ailleurs été rappelé par la député Grosskost dans une nouvelle question au ministre en date du 21 janvier 2014. L’administration semble toutefois maintenir sa position contestable.

(1) Commentaire de cet arrêt, d’une grande portée, par le professeur Frédéric Douet, dans Gestion de Fortune de décembre 2015 page 24.

Par Jean-François Desbuquois, Avocat associé, Directeur-Adjoint du Département Droit du Patrimoine, FIDAL, et Xavier Lebrun, directeur juridique en charge de l’ingénierie patrimoniale, Oudart banque privée.

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Note de la rédaction
Retrouvez tous les conseils de Jean-François Desbuquois et de Xavier Lebrun dans le guide pratique que ces deux praticiens chevronnés viennent de publier ce mois-ci aux éditions EFE sous le titre « ISF & droits sociaux ». 
Cet ouvrage a pour ambition de présenter en détail ces différents régimes d’exonération totale ou partielle d’ISF applicables aux associés ou dirigeants de sociétés soumises à l’IS, de rassembler l’essentiel de la jurisprudence, et de proposer les critères de choix et la méthodologie à suivre afin de choisir le régime le plus adapté à la situation du redevable et à son évolution envisagée.

Article publié dans le n° 270 de Mai 2016 de Gestion de Fortune


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