Lafarge : pas de mise en danger des salariés syriens pendant la guerre civile

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La mise en examen de la société Lafarge ordonnée pour mise en danger des salariés syriens est annulée car la loi française n’est pas applicable à la relation de travail.

La société Lafarge, société française de matériaux de construction, a maintenu en activité une cimenterie en Syrie pendant la guerre civile qui a débuté en 2011, par l’intermédiaire d’une sous-filiale syrienne employant des salariés syriens.
En 2012, les équipes d’encadrement, qui n’étaient pas de nationalité syrienne, ont été évacuées vers l’Egypte, d’où elles ont continué d’organiser l’activité de l’usine.
Les salariés syriens de l’usine ont poursuivi leur activité au sein de la cimenterie. Logés par leur employeur syrien à Manbij (nord de la Syrie) ces salariés syriens ont été exposés à différents risques, notamment d'enlèvement par des groupes armés tels que l’Etat islamique.
En 2014, la cimenterie finit par être évacuée.

Plusieurs associations et salariés syriens de la cimenterie se sont constitués partie civile pour dénoncer la mise en danger de la vie d’autrui.

La chambre de l’instruction a jugé qu’il existait des indices graves et concordants de mise en danger de la vie d’autrui.
La société française aurait violé de façon manifestement délibérée l’obligation de sécurité imposée à l’employeur par le code du travail français, mais également par le code du travail syrien.
En effet, les salariés syriens qui assuraient la continuité de l’exploitation de l’usine ont été exposés à un risque de mort ou de blessures alors qu’ils n’avaient pas reçu de formation adéquate en cas d’attaque.

Dans un arrêt du 16 janvier 2024 (pourvoi n° 22-83.681), la Cour de cassation rappelle que le délit de mise en danger n’est constitué qu’en cas de violation d’une obligation imposée par une loi ou un règlement français.
Or :
- en l’absence de mentions contraires du contrat de travail, la loi syrienne était applicable à la relation de travail entre la société française et les salariés syriens, puisque ceux-ci travaillaient en Syrie ;
- il n’existe pas d’éléments suffisants pour affirmer que les contrats de travail des salariés syriens travaillant en Syrie présentaient des liens plus étroits avec la France ;
- les dispositions du code du travail français concernées ne peuvent être qualifiées de "lois de police" au sens du règlement 593/2008 du 17 juin 2008 sur la loi applicable aux obligations contractuelles.

La loi française n’étant pas applicable, la Cour de cassation annule la mise en examen de la société.

Comme le prévoit la loi, l’annulation de la mise en examen a pour effet d’attribuer automatiquement à la société le statut de "témoin assisté" : en l’état, elle ne pourrait être renvoyée devant un tribunal pour ces faits.

La société demeure par ailleurs mise en examen des chefs de complicité de crime contre l’humanité et financement d’entreprise terroriste.

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Complicité de crimes contre l'humanité et financement du terrorisme - Legalnews, 10 septembre 2021

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