E-réputation : un nouveau délai de prescription pour certaines infractions de presse commises sur internet

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Mathieu Cordelier, Avocat, MC AVOCATSMathieu Cordelier, Avocat, MC AVOCATS, revient sur le nouveau délai de prescription pour certaines infractions de presse commises sur internet introduit par la loi n°2014-56 du 27 janvier 2014 visant à harmoniser les délais de prescription des infractions prévues par la loi sur la liberté de la presse du 29 juillet 1881, commises en raison du sexe, de l'orientation ou de l'identité sexuelle ou du handicap.

Le législateur a voté et promulgué, fin janvier 2014, une loi n°2014-56 du 27 janvier 2014 visant à harmoniser les délais de prescription des infractions prévues par la loi sur la liberté de la presse du 29 juillet 1881, commises en raison du sexe, de l'orientation ou de l'identité sexuelle ou du handicap.

Cette loi est toutefois le fruit d’un travail législatif lent, hésitant et visiblement partiel de ce que les français pourraient attendre pour que soit prise en compte la spécificité des publications faites sur internet par d’autres que des professionnels ou des organes de presse.

LE NOUVEAU TEXTE PORTE DE TROIS MOIS A UN AN LE DELAI DE PRESCRIPTION POUR CERTAINES INFRACTIONS DE PRESSE

L'Assemblée Nationale et le Sénat se sont intéressés, entre le 27 novembre 2013 et le 27 janvier 2014, en pleine affaire « DIEUDONNE – MBALA MBALA », à la modification des délais de prescription applicables non pas à la diffamation et à l’injure publique en général... mais seulement aux délits de provocation à la discrimination, à la haine et à la violence, ainsi qu'aux diffamations et injures commises en raison du sexe, de l'orientation sexuelle ou d'un handicap.

Le texte de la loi n°2014-56 du 27 janvier 2014, paru au JO n° 23 du 28 janvier 2014, permet ainsi : de clarifier le neuvième alinéa de l'article 24 de la loi du 29 juillet 1881 en mettant sur le même plan toutes les provocations, à savoir la provocation à la haine, à la violence et à la discrimination quelle qu'en soit la cause (article 1er) ; d'aligner les délais spéciaux d'un an pour la prescription de l'action publique pour les délits de provocation à la discrimination, la haine et la violence (article 2, paragraphe I), de diffamation (article 2, paragraphe II), d'injure (article 2, paragraphe III), commis à raison de leur sexe, de leur orientation sexuelle ou de leur handicap.

Cette avancée du droit est, certes, louable pour protéger les concitoyens des atteintes les plus graves à leur e-réputation ainsi qu’à la « communauté » à laquelle ils appartiennent.

Cependant, on peut regretter que tous les citoyens ne soient pas égaux devant une telle avancée du droit. En effet, dans le cadre du nettoyage d'une eRéputation, pour obtenir l'effacement de contenus sur internet, notamment lorsqu’on doit y procéder par voie de requête afin d'ordonnance, la date de première publication desdits contenus peut constituer un frein majeur.

Or, au contraire des entreprises, les particuliers victimes de diffamation ou d'injure ne peuvent pas bénéficier de l'argument du dénigrement pour obtenir la suppression d'une atteinte à leur honneur et à leur e-réputation.

Cette modification législative promulguée fin janvier était donc souhaitable, mais elle est très certainement insuffisante au regard des nombreux abus commis sur internet… surtout lorsque l'on sait que certains de ces abus conduisent des adolescents au suicide.

UNE AVANCEE LEGISLATIVE NECESSAIRE MAIS INSUFFISANTE

En tout état de cause, on peut regretter que ces travaux législatifs qui ont débuté en 2011, ne soient qu'une suite très partielle des travaux de l'allongement général de la prescription de l'ensemble des délits de presse lorsqu'ils sont commis exclusivement sur internet.

En effet, la question de l'allongement du délai de prescription était déjà d’actualité en juin 2008, comme le démontre cette proposition de loi . 4 ans après l'entrée en vigueur de la LCEN, le législateur rappelait donc qu'Internet présente des particularités justifiant de l'allongement général de la prescription des délits de presse lorsqu'ils sont commis exclusivement sur internet.

A ce titre, le Sénat, en 2008, prenait soin de limiter l'allongement de la prescription eux seuls propos n'étant pas publiés sur support papier, autrement dit, par voie de presse traditionnelle.

Le texte proposait ainsi la réforme suivante : « Article unique : Le dernier alinéa de l'article 65 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse est ainsi rédigé : « Le délai de prescription prévu au premier alinéa est porté à un an si les infractions ont été commises par l'intermédiaire d'un service de communication au public en ligne, sauf en cas de reproduction du contenu d'une publication de presse légalement déclarée. » »

Le Rapport n° 60 (2008-2009) de Mme Marie-Hélène DES ESGAULX, fait au nom de la commission des lois, déposé le 29 octobre 2008 au Sénat, est disponible ici. Mais cette réforme, pourtant plus moderne et plus réaliste, n'a pas trouvé de suite favorable.

En conséquence, la diffamation et l'injure publiques, faites sur internet, dès lors qu'elles ne comportent ni provocation à la discrimination, à la haine et/ou à la violence, ni rapport au sexe, à l'orientation sexuelle ou au handicap de la victime sont donc toujours prescrites par 3 mois et non par un délai d’un an.

 

Mathieu Cordelier, Avocat, MC AVOCATS