Comment limiter la responsabilité de l’employeur face aux risques psychosociaux liés au télétravail ?

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Tout accident survenu au domicile du salarié pendant le télétravail est présumé être un accident de travail1 susceptible d'engager la responsabilité civile, voire pénale de l'employeur. L'augmentation de certains risques psychosociaux liée au télétravail effectué pendant la pandémie (« RPS ») peut également entraîner la responsabilité de l’employeur.

Rappels sur la responsabilité de l’employeur en cas d’accident de travail

Tout accident, quelle qu'en soit la cause, survenu par le fait ou à l'occasion du travail est un accident de travail susceptible d’engager la responsabilité de l’employeur à double titre :

  • responsabilité civile : en cas d’accident de travail ou de maladie professionnelle, l’indemnisation des victimes ou de leurs ayants droit est assurée par l’assurance maladie. Une action peut être engagée contre l’employeur visant à obtenir une indemnisation complémentaire en cas d’accident de la circulation, faute d'un tiers, faute intentionnelle de l'employeur ou affection non prise en charge au titre de la législation professionnelle. Par ailleurs, la faute inexcusable de l'employeur ouvre droit pour la victime ou ses ayants droit à diverses indemnisations complémentaires ;
  • responsabilité pénale : en sus, la responsabilité pénale de l’employeur peut également être engagée, en cas d’infraction aux règles de santé et de sécurité prévues par le Code du travail, d’homicide ou de blessures involontaires, ou encore de mise en danger d'autrui.

Quelle différence entre RPS, accident du travail ou maladie professionnelle ?

Les RPS sont définis comme les risques pour la santé physique et mentale des travailleurs. Ils peuvent être causés par les conditions d’emploi, les facteurs liés à l’organisation et aux relations de travail.

Ainsi, dans le cadre du télétravail, il peut s’agir de l’isolement, du stress, d’horaires prolongés, de troubles psychologiques ou encore de troubles musculo-squelettiques (« TMS ») liés à un mauvais aménagement du poste du télétravailleur.

Les RPS ne constituent pas nécessairement un accident du travail ou une maladie professionnelle, mais ils peuvent en être à l’origine2. En tout état de cause, ils peuvent engager la responsabilité de l’employeur pour non-respect de son obligation générale de sécurité3.

Obligations de l’employeur en cas d’accident du travail

La victime d'un accident du travail doit en informer son employeur dans les 24 heures qui suivent l’accident. Elle devra également faire constater ses lésions par un médecin en utilisant la feuille d'accident.

L’employeur doit ensuite déclarer à la CPAM l’accident dans un délai de 48 heures de sa connaissance.

Conditions d’exonération de la responsabilité de l'employeur ?

Le salarié qui s'absente pendant les heures de travail n'est plus couvert par la législation sur les accidents du travail. Dans le cas du télétravailleur, il peut être difficile pour l’employeur de démontrer que l’accident au domicile du salarié s’est produit alors que celui-ci n’était pas en train de travailler.

L'employeur ne dispose que d'un délai de 10 jours à compter de la déclaration d’accident pour en contester le caractère professionnel et adresser des réserves motivées auprès de la CPAM, ce qui la contraindra à mener des investigations. Il devra apporter tout élément relatif aux circonstances de temps et de lieu de l’accident, ou sur l'existence d'une cause totalement étrangère au travail.

Comment prévenir les RPS liés au télétravail et limiter la responsabilité de l’employeur ?

Pour prévenir les RPS et limiter sa responsabilité, l'employeur devrait :

  • impliquer le Comité Social et Economique (« CSE ») pour définir les modalités pratiques du télétravail4, avec à partir du 9 juin 2021 les conditions du retour progressif dans les locaux, en attendant;
  • fournir des équipements aux télétravailleurs et les conseiller sur l'aménagement de leur poste (ergonomie) ;
  • organiser des visio régulières avec les équipes pour pouvoir échanger aussi sur le quotidien du travail ;
  • demander aux managers de repérer les salariés dans des situations de télétravail difficiles et prendre des mesures, comme leur permettre de travailler sur site un jour par semaine ;
  • s'assurer de l'exécution effective des mesures prévues pour le droit à la déconnexion5 ;
  • contrôler le temps de travail des salariés aux 35h ou en forfait-heures, réguler la charge de travail et permettre le temps de repos ;
  • actualiser le document unique d'évaluation des risques (« DUERP ») lié à la nouvelle organisation du travail mise en place à la suite de l'épidémie ;
  • enquêter en cas d'alerte du CSE concernant l'atteinte aux droits des personnes, à leur santé physique et mentale et prendre les mesures pour y remédier ;
  • s’assurer que les visites médicales obligatoires des télétravailleurs sont maintenues (dont la visite de reprise consécutive à un accident de travail), sauf cas de report possible6.


Sarah Delon-Bouquet Counsel et, Emmanuelle Mercier, collaboratrice, Addleshaw Goddard

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1 Article L. 1222-9 du Code du travail.

2 Par exemple, le « burn out » ou syndrome d'épuisement professionnel s'il est essentiellement et directement causé par le travail habituel du salarié et a entraîné son décès ou une incapacité permanente au moins égale à 25% (Cass. 2e civ. 19-1-2017 n° 15-26.655).

3 Article L. 4121-1 du Code du travail

4 L'instruction DGT du 03/02/2021 relative aux orientations et aux modalités d'intervention du système d'inspection du travail (SIT) dans le cadre des mesures renforcées de lutte contre la COVID-19 qui vise à renforcer les contrôles de l'application du télétravail rappelle cette obligation.

5 Tel que la mise en veille des équipements, l'absence de contact hors des plages de disponibilités, sauf urgence, le blocage de l'accès au réseau, etc.

6 Certaines visites médicales peuvent être reportées jusqu'au 17 avril 2022 tel que décidé par l'Ordonnance du 2 décembre 2020 et le décret du 22 janvier 2021, comme la visite d'information et de prévention initiale.