Avocats 4.0, en marche : l’Ubérisation n’est pas une fatalité !

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Edouard Waels“Ubériser”, c’est l’un des mots les plus remarqués de l’édition 2017 du Petit Robert ; son sens ? “Déstabiliser et transformer un secteur avec un modèle économique innovant, tirant parti des nouvelles technologies” – s’il semble y avoir un débat sémantique, tout le monde est unanime pour souligner la soudaineté avec laquelle ces nouveaux modèles émergent et déstabilisent un marché ou une profession établi depuis des décennies. Doit-on pour autant se résoudre à une Ubérisation des avocats ?

La révolution digitale : l’accepter pour mieux l’intégrer

Cela n’aura échappé à personne. Après la révolution agricole et la révolution industrielle, voici venu le temps de la révolution digitale. Aussi profonde que ses ainées, elle secoue sans commune mesure tous les secteurs d’activités ou presque.

Si je n’étais pas né pour les deux premières, je crois pourtant me souvenir qu’il y a quelques années encore, la notion d’intelligence artificielle appartenait à l’univers de la science-fiction.

Aujourd’hui, il ne se passe plus un jour sans que nous entendions parler de Big Data, de Machine Learning, d’Ubérisation, de disruption, de robots pouvant exécuter des tâches autrefois dévolues aux humains.

Qu’on le regrette ou non, l’histoire nous montre que nous avons rarement raison de l’innovation. Même lorsque nous la déplorons, nous la subissons un temps et finissons par l’assimiler, de force ou de gré.

Sauf à disparaitre, personne ne peut raisonnablement se permettre de rejeter l’innovation et il faut plutôt se convaincre que c’est en l’apprivoisant que nous gagnons notre pérennité. Comme le disait déjà Héraclite 500 ans avant J.C., "rien n’est permanent, sauf le changement".

Innovation et transformation digitale, où en est la profession d’avocat ?

J’ai débuté mon métier d’avocat en janvier 2006, il y a plus de 10 ans, et force est de constater qu’en 2016 les avocats travaillent toujours de façon artisanale, qu’ils exercent au sein de petits cabinets ou au sein des plus grosses firmes.

Notre métier a certes pris conscience de la nécessité d’innover et de mener sa propre transformation digitale, mais nous n’en sommes qu’aux prémisses et le cheminement sera long. Cela est assez symptomatique des métiers réglementés. Dans l’esprit, la déontologie et nos institutions représentatives cherchent à nous protéger et à préserver notre pré-carré, mais de manière perverse le protectionnisme nous transporte mécaniquement dans une zone de confort. Il ne nous incite pas à innover pour maintenir notre compétitivité et être en mesure de faire face à l’arrivée de nouveaux acteurs qui basent alors leurs modèles sur nos propres faiblesses.

L’excès de protectionnisme peut même devenir un réel frein à l’innovation et une menace pour la pérennité de notre profession. A titre d’exemple, notre cadre déontologique nous empêche aujourd’hui de lever des fonds auprès d’investisseurs financiers ou de tiers (non avocats), comme est contraint de le faire toute PME qui entend simplement survivre dans un marché libéral. Ces financements seraient pourtant précieux pour financer notre R&D et nous permettre de suivre des plans de développement plus ambitieux.

L’approche de notre métier a profondément évolué au cours de ces 10 dernières années. Une partie de notre activité a disparu ou est sur le point de disparaître, en conseil et en contentieux, avec notamment les prémisses de la justice prédictive et l’apparition d’outils de saisine automatisée de juridiction. Toutes les tâches répétitives sont automatisables. Elles vont donc pouvoir être traitées par des systèmes intelligents. L’intelligence numérique doit ainsi conduire l’avocat à revoir ses méthodes de travail au service du client et à produire une prestation d’aussi bonne qualité à un coût ajusté en s’appuyant sur la puissance des technologies.

Nous ne sommes plus toujours indispensables, de plus en plus sollicités pour les seules prestations à forte valeur ajoutée. A nous donc de réinventer notre métier pour redevenir plus systématiquement une évidence.

L’émergence des legal start-ups : quelles leçons en tirer ?

Qui sont ces nouveaux acteurs qui invitent aujourd’hui les avocats à une certaine remise en cause ?

Aux États-Unis, les sites internet comme www.legalzoom.com et www.rocketlawyer.com perturbent déjà aujourd’hui partiellement le marché juridique. Les États-Unis comptent plus de 3000 legal start-ups à ce jour, dont environ 50 particulièrement influentes.

En France, on décompte plus de 60 legal start-ups qui opèrent sur des segments différents mais en se basant systématiquement sur des approches et outils très innovants, et sur l’automatisation d’un processus.

Cette irruption soudaine est la démonstration que la technologie peut adresser un certain nombre de besoins et répond à des nouveaux modes de consommation du droit. Même si les avocats sont légalement les seuls à pouvoir dispenser des prestations de conseil juridique, nous voyons donc apparaître de nouvelles solutions, tantôt complémentaires, tantôt alternatives.

C’est notamment en réaction à ce phénomène que nos organisations professionnelles sont à ce point mobilisées depuis quelques mois ; il ne se passe plus un jour sans que des conférences ou des Think Tank sur l’évolution de notre métier ne soient animés.

Plus concrètement, le barreau de Paris a notamment lancé l’incubateur du barreau de Paris au début de l’année 2014. Cette prise de conscience est également notable du coté du Conseil National des Barreaux (CNB), tant sur un plan déontologique : avec notamment la possibilité aujourd’hui de faire de la publicité, la libération du démarchage ou de la sollicitation personnalisée, l’inter-professionnalité, la fin du principe d’unicité - qu’en terme d’outils mis à la disposition des avocats : avec le RPVA, e-Convention, e-Dentitas, la plateforme de consultation en ligne, ou encore l’acte d’avocat électronique.

Ces outils permettent certes aux avocats de travailler plus efficacement et de manière plus sécurisée, mais l’attention de la profession s’est jusqu’ici presqu’exclusivement portée sur les échanges en amont (optimisation des procédures et de la gestion des cabinets), plutôt que sur les échanges en aval (entre les avocats et leurs clients). Or, l’un des enjeux majeurs auquel notre métier semble être confronté se situe bien en aval et il nous faut y remédier en réinventant la relation avocat-client qui souffre de nombreux maux.

Le CNB a dernièrement organisé les 2 et 3 juin 2016 les Etats généraux de la prospective, de l'innovation et du numérique et n’a pas manqué de rappeler que les professionnels du droit devaient réfléchir à la façon de réinventer leur métier pour s'adapter à ces mutations technologiques.

Alors comment faire face au robot ROSS, Peter ou encore la Blockchain dont certains prédisent qu'ils phagocyteront tous les intermédiaires, y compris les avocats ?

Réagir certes… mais comment ?

Soyons pragmatiques, une étude récente du CNB est venue mettre avant les grandes faiblesses de l’offre de service des avocats - que demandent nos clients ?

• un meilleur rapport qualité-prix ;
• une plus grande communication dans le suivi des dossiers ;
• une disponibilité plus grande ;

Les News Techs font évoluer, voire transforment en profondeur, les besoins et attentes des consommateurs de manière générale et ceux de nos clients plus particulièrement.

A ces faiblesses s’ajoute naturellement le fait que le savoir juridique est « à portée de clics ». Nombreux sont ceux qui par reflexe et commodité consomment le droit sur internet. Les legal start-ups l’ont bien compris et il ne faut pas s’attendre à ce que leur appétit se tarisse.

Ne regardons pas ces legal start-up avec excès de confiance et en considérant qu’elles sont éphémères ou « harmless » ; elles ne peuvent certes proposer la même valeur ajoutée, mais il y a beaucoup d’enseignements à en tirer, elles sont habiles, collaboratives et très responsives.

Ne restons pas sur le quai à regarder le train passer, faisons de cette menace une opportunité. Conduisons ce changement et soyons, en tant qu’avocats, acteurs de cette mutation.

Nous devons pour ce faire nous approprier le big data, la blockchain, l'intelligence artificielle, ainsi que les nouveaux outils numériques et les nouvelles opportunités d’exercice nées de l’ère digitale. C’est par ces nouveaux outils et uniquement par eux, que nous pourrons répondre aux attentes évolutives de nos clients, en rendant des services juridiques premium avec davantage d’efficience, d’interactivité, et d’accessibilité.

L’idée n’est pas donc d’ubériser notre propre métier mais de le réinventer pour contenir son ubérisation, en s’appuyant sur 2 axes directeurs :

i. faire évoluer en profondeur notre façon d’adresser nos clients et leurs nouveaux besoins, avec des outils collaboratifs leur permettant de piloter, d’interagir et de partager ;

ii. libérer l’avocat des tâches fastidieuses et chronophages pour lui permettre, en s’appuyant sur des systèmes algorithmiques et sur l’intelligence artificielle, de se recentrer sur ce qui fait aujourd’hui sa force et sa raison d’être, sa valeur ajoutée.

L’Open Innovation a pour ce faire plus que jamais sa place au sein des cabinets d’avocats, nos organisations représentatives nous montrent le chemin, à chacun désormais de faire évoluer son approche de travail et d’implementer le « tradigital » : une offre de service digitale et automatisée pour les taches à faible valeur ajoutée, qui se combinera avec une approche plus traditionnelle, pour les missions à plus fortes valeur ajoutée.

Edouard Waels, Associé, Bignon Lebray