Décryptage de la décision Tapie

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Denis MouralisDenis Mouralis, Agrégé des facultés de Droit, Professeur à l'Université d'Aix-Marseille et conseiller du Centre de Médiation et d'Arbitrage de Paris (CMAP), nous propose un décryptage de la décision Tapie.

Par un arrêt du 3 décembre 2015, largement médiatisé, la Cour d’appel de Paris a rejeté l’essentiel des prétentions de Bernard Tapie à l’encontre du groupe Crédit lyonnais, à propos de la vente d’Adidas en 1993. Ce n’est que la dernière péripétie d’une affaire vieille de plus de vingt ans, qui a donné lieu, notamment, à une procédure arbitrale aujourd’hui très controversée. Or, il est important de souligner que la réalité quotidienne de l’arbitrage est à mille lieux de ce qui pourrait transparaître aujourd’hui de l’ « arbitrage Tapie » : l’affaire Tapie n’est pas du tout représentative des nombreuses procédures d’arbitrage très courantes entre entreprises.

La vente d’Adidas et le différend opposant Bernard Tapie au Crédit lyonnais

En 1993, la SDBO, filiale du Crédit lyonnais, vend Adidas pour le compte de Bernard Tapie, à huit acquéreurs, dont Clinvest, une autre société du groupe Crédit lyonnais. Depuis, Bernard

Tapie soutient que la banque s’est, à son insu, portée contrepartie en faisant acquérir une partie d’Adidas par plusieurs prête-noms, puis qu’elle a capté la plus-value réalisée lors de la revente au groupe Louis-Dreyfus, au détriment du mandant.

En 2005, la Cour d’appel de Paris condamne le Crédit Lyonnais et la société Consortium de réalisation Créances (CDR Créances), qui avait succédé à la SDBO, à payer à Bernard Tapie 145 millions d’euros de dommages intérêts.

En 2006, l’arrêt est cassé, pour des motifs ne remettant pas en cause le principe de l’indemnisation. Mais, au lieu de poursuivre la procédure devant la Cour d’appel de renvoi, les protagonistes signent un compromis d’arbitrage.

En 2008, 4 sentences arbitrales accordent à Bernard Tapie 285 millions d’euros de dommages intérêts, dont 45 millions d’euros pour préjudice moral, outre les intérêts. La sentence fut très controversée : l’indemnité pour préjudice moral paraissait anormalement élevée et des liensnon révélés entre un des arbitres et Bernard Tapie étaient soupçonnés. Une information judiciaire a d’ailleurs été ouverte pour escroquerie en bande organisée.

Le 17 février 2015, la Cour d’appel de Paris a reconnu l’existence d’une fraude et a rétracté les sentences arbitrales, ce qui les annule. Le litige opposant Bernard Tapie et le CDR Créances devait donc être de nouveau tranché par la Cour d’appel.

Le 3 décembre 2015, la Cour rejette les demandes de Bernard Tapie, parce qu’il connaissait parfaitement et le montage réalisé par son mandataire et y avait consenti pour permettre une vente plus rapide. En conséquence, Bernard Tapie est condamné à rembourser au CDR les sommes reçues en exécution des sentences, soit 405 millions d’euros !

Une affaire non représentative des nombreuses procédures d’arbitrage entre entreprises

Cette affaire tentaculaire n’est heureusement pas représentative de la réalité de l’arbitrage. Il s’agit d’un mode de résolution des litiges consistant à désigner un ou plusieurs arbitres, qui ne sont pas des juges professionnels, pour rendre une sentence ayant la valeur d’un jugement.

Avec une différence néanmoins : à défaut d’exécution spontanée par le débiteur, l’exécution forcée requiert une formalité très simple, l’exequatur, octroyée par le président du Tribunal de grande instance.

Il faut donc bien le distinguer de la médiation et de la conciliation : dans ces dernières, un tiers aide les parties à discuter pour trouver une solution amiable à leur litige, sans pouvoir rien leur imposer. En cas d’échec, le litige persiste. Au contraire, dans l’arbitrage, les arbitres doivent rendre une décision, qui s’imposera aux parties.

L’arbitrage est ainsi largement utilisé dans les litiges entre entreprises, notamment, mais pas seulement, dans le commerce international, compte tenu de ses multiples atouts : libre choix des arbitres, souplesse de la procédure, facilité d’exécution des sentences dans le monde entier (grâce à la Convention de New York du 10 juin 1958).

Le choix d’arbitres neutres et indépendants

L’arbitrage offre notamment l’avantage de la neutralité, puisque les arbitres ne sont rattachés à aucune juridiction étatique. Ceci est particulièrement apprécié des opérateurs du commerce international, qui craignent, à tort ou à raison, la partialité des juges étatiques en faveur de l’une ou l’autre des parties. Sur ce point, l’affaire Tapie est exceptionnelle car, en réalité, l’indépendance et l’impartialité des arbitres sont garanties de plusieurs manières.

Déjà, au démarrage, chaque arbitre rédige, au moment où il est désigné, une déclaration d’indépendance dans laquelle il indique toutes les circonstances de nature à faire douter de son indépendance. Chaque partie peut alors contester sa nomination et saisir le juge au cas où l’arbitre déciderait de se maintenir. Tout au long de la procédure, l’arbitre doit révéler les circonstances nouvelles et les parties peuvent pareillement le récuser.

Il faut souligner que les personnes qui pratiquent l’arbitrage - souvent des professeurs de droit ou avocats, parfois des experts comptables et des ingénieurs - tiennent à conserver une excellente réputation, afin d’être désignées régulièrement. Elles s’efforcent donc généralement d’éviter d’être récusées ou de rendre une sentence annulée pour défaut d’indépendance, car cela produit un effet désastreux en terme d’image. Elles révèlent donc tous les éléments qui leur paraissent devoir l’être.

Les parties souhaitant recourir à l’arbitrage avec les meilleures garanties de sérieux, de compétence, d’efficacité et de neutralité ont tout intérêt à désigner un centre d’arbitrage réputé, comme le Centre de médiation et d’arbitrage de Paris (CMAP), créé par la CCI Paris Île de France. Le recours à un centre d’arbitrage (certes non obligatoire) offre, en effet, de multiples avantages : le centre aide les parties à choisir leurs arbitres en leur proposant des personnes compétentes et parfaitement indépendantes ; même si les parties désignent elles- mêmes leurs arbitres, le centre vérifie que les personnes choisies ne posent pas de problème ; il résout toutes les difficultés qui se posent lors de la constitution du tribunal, il précise dans son règlement les règles de procédure à suivre et il assiste matériellement le tribunal arbitral pour permettre à ce dernier d’accomplir sa mission dans les meilleurs délais.

Les différents recours pour contester la désignation d’un arbitre

Si une partie découvre elle-même des informations qui lui paraissent suspectes et que l’arbitre n’aurait pas révélées, elle peut demander au juge de le démettre de ses fonctions. Par ailleurs, si un élément non révélé crée un doute sur l’indépendance ou l’impartialité d’un arbitre, cela justifie l’annulation de la sentence par la Cour d’appel, le recours devant être exercé dans le mois qui suit la notification de la décision arbitrale.

Dans l’affaire Tapie, le CDR, qui avait succédé au Crédit lyonnais, avait renoncé à exercer ce recours mais le recours en révision permet aussi, lorsqu’on découvre qu’une sentence a été surprise par la fraude, de la faire rétracter, c’est-à-dire annuler. Ce recours peut être exercé dans les deux mois de la découverte de la fraude, comme dans l’affaire Tapie. Ainsi, lorsque des dérives – rares en pratique – se produisent, le juge français y remédie, ce qui constitue une garantie encourageante pour les justiciables. L’affaire Tapie démontre que l’arbitrage fonctionne sous le contrôle du juge judiciaire, ce qui est à la fois nécessaire et rassurant.

Denis Mouralis, Agrégé des facultés de Droit, Professeur à l'Université d'Aix-Marseille et conseiller du Centre de Médiation et d'Arbitrage de Paris (CMAP)