Affaire Gleeden c/ obligation légale de fidélité

Décryptages
Outils
TAILLE DU TEXTE

sonia-ben-mansour240Sonia Ben Mansour, avocat à la Cour et doctorante à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, présente l'affaire "Gleeden", du nom du site de rencontres attaqué sur le fondement d'une atteinte à l'obligation légale de fidélité. L'affaire est actuellement pendante devant les juridictions.

Les Associations Familiales Catholiques (AFC) ont assigné devant le Tribunal de Grande Instance de Paris la société Black Divine, éditrice du site Gleeden.com. Les AFC souhaitent que la justice se prononce sur la légalité de la campagne « Gleeden » et du site correspondant, dont l'objet même est de faciliter l'adultère et de faire, à travers lui, la promotion publique de la duplicité, du mensonge et de la violation de la loi .

L’objet du présent litige est l’existence du site Gleeden et ses campagnes publicitaires indiquant être le premier site de rencontres pour personnes mariées. Me Henri de Beauregard, avocat de l’AFC, assure qu’il ne s’agit pas là d’un procès fait à la liberté d’expression contrairement à ce qui a pu être publié, il ne s'agit pas d'interdire des affiches, mais plutôt de permettre à la justice de se pencher sur la légalité des contrats que Gleeden passe avec ses abonnés, et la conformité de sa communication à la déontologie publicitaire.

Le site Gleeden a été lancé le 1er septembre 2009. Ce site est le premier site de rencontres qui s’adresse à une clientèle spécifique : les personnes déjà engagés par les liens du mariage. Le site met ainsi en avant sa politique de discrétion puisqu’il est possible de ne dévoiler ses photos qu’aux membres du site qui ont acquis votre confiance . Ce site a suscité la polémique car pouvant être considéré comme une incitation à violer l’obligation légale de fidélité.

Le Code civil de 1804 était inspiré du droit canonique (indissolubilité des liens du mariage, condition d’hétérogénéité des sexes comme condition de validité du mariage). L’obligation de fidélité découle de cet héritage napoléonien et a été maintenu par le législateur tandis que d’autres aspects du mariage canonique ont été abandonnés (divorce admis, mariage ouvert aux couples de même sexe ).

Depuis 1975, l’adultère n’est plus un délit pénal et ne peut être sanctionné que sur le plan civil. L’obligation de fidélité est une obligation civile. L’article 212 du Code civil dispose donc que « les époux se doivent mutuellement respect, fidélité, secours, assistance ».

L’article 242 du Code civil prévoit que « le divorce peut être demandé par l’un des époux lorsque des faits constitutifs d’une violation grave ou renouvelée des devoirs et obligations du mariage sont imputables à son conjoint et rendent intolérables le maintien de la vie commune ». L’adultère peut donc constituer une violation des devoirs et obligations du mariage constitutive d’une cause de divorce. Ainsi, il a pu être jugé que l’existence d’un accord amiable entre les époux les autorisant à vivre séparément ne justifie pas l’adultère et le fait pour le mari d’entretenir une relation extra-conjugale est une faute au sens de l’article 242 du Code civil . La violation de cette obligation peut également donner lieu au versement de dommages-intérêts pour la réparation du dommage moral subi sur le fondement de l’article 1382 du Code civil.

Le site Gleeden s’inscrit en contradiction avec cette obligation légale puisque la mission du site consiste à « aller à l’encontre de l’hypocrisie générale et faire tomber le tabou de l’infidélité » . Les campagnes publicitaires du site sont assez explicites : « Contrairement à l’antidépresseur, l’amant ne coûte rien à la sécu », « par principe, nous ne proposons pas de carte de fidélité », ou bien encore « tout le monde peut se tromper, surtout maintenant »…. L’objectif est donc d’offrir aux personnes engagées avec une tierce personne une plateforme pour leur permettre de rencontrer d’autres personnes en connaissance de cause.

La mission de l’AFC est opposée à celle du site Gleeden puisque l’AFC « valorise la famille fondée sur le mariage et ouverte à la vie comme chemin du bonheur et d’épanouissement de la personne ». Son objectif est de « promouvoir la famille, communauté de vie et d’amour d’un homme et d’une femme, fondée sur le mariage, lien indissoluble, librement consenti, publiquement affirmé, ouverte à la vie, éducatrice de ses membres, cellule de base de la société, source du bien-être de la personne et de la société (Charte des Droits de la Famille, Saint-Siège-1983 ».

En l’espèce, l’AFC souhaiterait faire cesser par l’intermédiaire des tribunaux l’incitation à l’adultère du site Gleeden.

Est-ce que l’existence du site Gleeden pourra être remise en question par le juge saisi? Les affichages publicitaires seront-ils retirés pour violation de l’obligation de fidélité ? On peut en douter car l’obligation de fidélité s’est considérablement affaiblie ces dernières décennies. En effet, l’obligation légale de fidélité est soumise à l’appréciation souveraine des juges du fond et l’infidélité est une notion morale évoluant avec les mœurs. En effet, certaines décisions rendues par la Cour de cassation ont contribué à relativiser le devoir de fidélité. Ainsi, il a été jugé récemment que le contrat de courtage conclu par une personne mariée n’est pas nul comme ayant une cause contraire à l’ordre public et aux bonnes mœurs . Il a été également jugé que la cause de la libéralité constituée par l’intention de maintenir la relation adultère avec la concubine n’est pas contraire aux bonnes mœurs ou bien encore que le tiers complice de l’adultère ne commet pas de ce seul fait une faute à l’égard du conjoint trompé.

Contre toute attente, le juge redorera-t-il le blason de l’obligation de fidélité? Affaire à suivre… Quoiqu’il en soit, le fait d’échanger des courriels équivoques sur un site de rencontre avec d’autres correspondants pourra toujours être considéré par les juges comme étant un comportement constitutif d’un manquement grave et renouvelé aux obligations du mariage et justifiant le prononcé du divorce aux torts du conjoint fautif.

 

Sonia Ben Mansour, avocat à la Cour et doctorante à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne