Fabricants : une nécessaire surveillance des récents rapports de l'ANSES

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Sylvie Gallage-AlwisL’année 2014 est ainsi particulièrement féconde de rapports qui participent au mouvement récent de multiplication et complexification des réglementations liées aux substances/produits chimiques et industriels. Il est essentiel que les fabricants et industriels de ces substances et produits prennent connaissance de ces rapports car ils pourront justifier de nouvelles réglementations.

Sans doute pour éviter toute accusation d'immobilisme, comme cela a pu être le cas par le passé s'agissant, par exemple, de l'amiante, du bisphénol A ou de la crise du cheval, un nombre croissant d'enquêtes est confié à l'Agence Nationale de Sécurité Sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (ANSES) par les ministères de la Santé, de l'Agriculture, de l'Environnement, du Travail et de la Consommation.

L’année 2014 est ainsi particulièrement féconde de rapports qui participent au mouvement récent de multiplication et complexification des réglementations liées aux substances/produits chimiques et industriels.

Il est essentiel que les fabricants et industriels de ces substances et produits prennent connaissance de ces rapports car ils pourront justifier de nouvelles réglementations à venir et constituer un commencement de preuve de leur conscience du danger si des recours venaient à être engagés. Une telle approche est d'autant plus cruciale qu'aujourd'hui les recours ne sont pas simplement formés par des personnes qui estiment avoir développé une maladie du fait de ces substances et produits, mais aussi par toute personne qui allègue être anxieuse du fait d'une exposition potentielle à ces substances et produits.

I- Nanomatériaux : l’ANSES conclut à la toxicité de certains d’entre eux

Dans un rapport du 15 avril 20141, l’ANSES s’est intéressée aux risques liés à l’utilisation des nanomatériaux (matériaux dont la taille ou la structure comporte au moins une dimension comprise entre 1 et 100 nanomètres).

Dans ses rapports précédents, l'ANSES a toujours agi avec prudence, ne souhaitant pas tomber dans les accusations selon lesquelles les nanomatériaux seraient "l'amiante de demain". L'ANSES a décidé de ne plus adopter une telle retenue dans son dernier rapport.

En effet, si elle invite à des études complémentaires, elle conclut expressément à la toxicité de certains de ces nanomatériaux, notamment les nanotubes de carbone. Elle estime que les travaux menés mettent en évidence des effets génotoxiques (cassures d’ADN), des atteintes cellulaires et des effets cancérogènes. Plusieurs études auraient aussi démontré leur écotoxicité.

II- Substances reprotoxiques et/ou perturbatrices endocriniennes : l’ANSES identifie 5 substances à risques

L’ANSES a été saisie par le ministre de la santé pour identifier les risques liés à l’exposition à certaines substances chimiques classées reprotoxiques (molécules affectant la fécondité ou la fertilité) ou considérées comme perturbatrices endocriniennes (molécules agissant sur l’équilibre hormonal et causant des anomalies physiologiques).

L’ANSES a publié en mai 2014 plusieurs rapports et un avis portant sur cinq de ces substances. Comme pour les nanomatériaux, la retenue qui a pu exister dans les rapports précédents, n'est plus présente.

L’ANSES considère que des situations d’exposition potentiellement à risque pour le développement foeto-embryonnaire sont possibles du fait d’une exposition (professionnelle ou non) de la femme enceinte à certains produits contenant du toluène, du n-hexane2, du cis-CTAC ou des produits contenant du MTBE. L'ANSES identifie également des risques pour le système nerveux du fait d'une exposition au toluène et au n-hexane. Elle formule donc un certain nombre de recommandations qui pourront devenir des réglementations prochainement, comme le renforcement de l'information de la population générale et plus spécifique comme les femmes enceintes.

III- Ondes électromagnétiques : Avis de l'ANSES sur le rapport préliminaire du Scenihr3 : une convergence relative

Fin 2013, l’ANSES maintenait ses conclusions sur les ondes électromagnétiques4, à savoir qu'il n’existe pas de preuve d’un risque pour la santé sous les seuils recommandés par l’Organisation Mondiale de la Santé.

Le 11 mars 2014, la Direction générale de la santé (DGS) a sollicité l’avis de l'ANSES sur le rapport préliminaire du Scenihr concernant les effets potentiels sur la santé de l’exposition aux champs électromagnétiques.

L’ANSES relève que ses conclusions et celles de Scenihr convergent sur de nombreux points. Néanmoins, les quelques divergences entre les deux agences illustrent à nouveau le fait que l'ANSES pousse davantage à l'application du principe de précaution.

Par exemple, l'ANSES souligne la nécessité d’étudier les effets possibles des radiofréquences sur la cancérogénèse alors que le Scenihr ne recommande pas de poursuivre les recherches dans ce domaine. Le Scenhir semble par ailleurs considérer que l’introduction de nouvelles technologies (réseau "4G" par exemple) n’est pas de nature à augmenter significativement le niveau moyen d’exposition aux radiofréquences dans l’environnement. L’ANSES arrive à la conclusion contraire.

IV- Produits phytosanitaires et riverains des zones traitées : l'ANSES se prononce en faveur de nouvelles dispositions

Par saisine du 8 novembre 2013, l'ANSES a été invitée par la Direction Générale de l'Alimentation (DGAL) à se prononcer sur une éventuelle réévaluation du dispositif réglementaire destiné à protéger les riverains des zones traitées avec des pesticides.

L’ANSES a rendu son avis le 20 juin 2014. Elle estime, au regard des divergences encore existantes sur ce point, que la méthodologie d'évaluation des risques élaborée par l’EFSA (European Food Safety Authority5) devrait être suivie. D’autre part, en ce qui concerne les mesures générales de gestion des risques, l’ANSES constate que, dans un certain nombre de cas, les conditions d’application des produits ont conduit à l’entrainement de produit hors de la parcelle traitée. L’ANSES invite à de nouvelles dispositions réglementaires et à la mise en place de programmes de formation des agriculteurs pour l'application de ces produits.

Sylvie Gallage-Alwis
Avocat à la Cour / Solicitor England & Wales
Hogan Lovells (Paris) LLP

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NOTES

1 https://www.anses.fr/en/documents/AP2012sa0273Ra.pdf
2 Un rapport a été réalisé pour chacune des substances objet de la saisine :

pour le n-hexane : https://www.anses.fr/fr/documents/CHIM2009sa0331Ra-03.pdf,

3 Scientific Committee on Emerging and Newly Identified Health Risks ou Comité Scientifique des Risques Sanitaires Emergents. Il s’agit d’un comité scientifique indépendant mis en place par la Commission Européenne pour le conseiller.

5 Autorité européenne de sécurité des aliments est une agence de l’Union Européenne chargée de l’évaluation des risques.