Directive sur le secret des affaires

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Philippe Glaser, Associé, Taylor WessingCommentaire de la Directive sur le secret des affaires par Philippe Glaser, Associé du cabinet Taylor Wessing.

Le 14 avril dernier, le Parlement européen a adopté à une très large majorité la directive dite sur le « secret des affaires » qui devra en principe être transposée d’ici deux ans dans les législations des Etats membres.

Ce vote, intervenu dans un contexte marqué notamment par les affaires "Panama papers" et "Luxleaks" a donné lieu à une véritable "tempête médiatique", ses plus farouches opposants considérant que la liberté d’informer serait menacée.

Reste qu’une lecture dépassionnée de la directive permet d’espérer la charge comme excessive.

Une harmonisation européenne nécessaire

Cette directive est le fruit du travail de la Commission européenne réalisé afin de combler les lacunes ou silences des législations nationales s’agissant de la protection du secret des affaires sans évoquer les disparités entre celles-ci.

En effet, la plupart des pays européens ne disposent à ce jour que de dispositions parcellaires pour protéger les entreprises contre le vol ou le détournement des secrets commerciaux.

Des règles éparses, empruntées à la fois au droit pénal, au droit du travail ou encore à la propriété intellectuelle font à ce titre office de cadre juridique en la matière.

A cet égard, l’objectif d’harmonisation poursuivi par les rédacteurs du texte est clair puisque la directive vise avant tout à protéger de manière plus efficace les entreprises du vol ou de la divulgation illicite de leurs données relevant du secret des affaires et d’obtenir réparation en cas de vol ou d’utilisation illégale d’informations immatérielles, confidentielles et stratégiques.

Le texte comporte en premier lieu un aspect novateur en ce qu’il définit à son article 2 la notion de "secret d’affaires".

Celui-ci s’entend des informations qui "(…) dans leur globalité ou dans la configuration et l’assemblage exacts de leurs éléments, ne sont pas généralement connues des personnes appartenant aux milieux qui s’occupent normalement du genre d’informations en question, ou ne leur sont pas aisément accessibles" ; "elles ont une valeur commerciale parce qu’elles sont secrètes" et ont fait enfin l’objet de mesures de protection.

A l’évidence, cette définition devra être précisée par les lois de transposition et la jurisprudence.

La conciliation entre liberté d’information et protection du secret des affaires

Les "victimes" ne disposeront cependant pas d’un droit de recours absolu puisque celui-ci ne pourra être exercé si un secret d’affaires a été obtenu, utilisé ou dévoilé dans l’une ou l’autre des circonstances suivantes :

- exercice du droit à la liberté d’expression et d’information tel qu’énoncé dans la Charte européenne des droits fondamentaux, notamment le respect de la liberté et du pluralisme des médias ;
- révélation d’une faute professionnelle ou une autre faute ou une activité illégale, à condition que le défendeur ait agi pour protéger l’intérêt public général
- protection d’un intérêt légitime reconnu par le droit de l’Union ou le droit national ;
- le secret d’affaires a été dévoilé par des travailleurs à leurs représentants dans le cadre de l’exercice légitime des fonctions de leurs représentants, conformément au droit communautaire ou national, à condition qu’une telle révélation s’avère nécessaire pour cet exercice.

L’article 5 de la Directive assure ainsi une immunité "aux lanceurs d’alerte" qui révèleraient une faute ou une activité illégale dans la mesure où leur action serait guidée par un souci de protection de l’intérêt public général.

Cette notion d’intérêt général qui inquiète tant les détracteurs de la directive devra sans nul doute être interprétée à la lumière de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme qui considère que lorsqu’une information qui relève d’un secret quelconque (à titre d’exemple la vie privée) est divulguée, la liberté d’expression prime sur la confidentialité lorsque l’information en question entre dans le cadre d’un débat d’intérêt général.

Ainsi peut-on penser que la directive ne constituera pas un obstacle à la révélation d’affaires similaires à celles qui défraient actuellement la chronique, sauf peut-être il est vrai ce qui est au confluent de l’illicite et l’astuce juridique ou fiscale.

Le travail de la presse est en outre évoqué par la Directive en ces termes : "Il est essentiel que l'exercice du droit à la liberté d'expression et d'information, qui englobe la liberté et le pluralisme des médias (…) ne soit pas restreint, notamment en ce qui concerne le journalisme d'investigation et la protection des sources des journalistes". Cette précision témoigne de la volonté des rédacteurs de ne pas réduire la liberté et le pluralisme des médias, en particulier s’agissant des enquêtes des journalistes.

Ce qui devrait inquiéter les opposants à la directive, ce n’est pas cette directive bienvenue mais l’interprétation que feront les juges nationaux de la notion d’intérêt public général ; c’est donc sur l’autorité judiciaire que repose une fois encore la garantie des droits fondamentaux des citoyens de l’Union Européenne.

Philippe Glaser, Associé, Taylor Wessing