Une révolution majeure aux conséquences encore méconnues : la modernisation des aides d’Etat

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Michel DebrouxMichel Debroux, Avocat à la Cour et Directeur d’études à l’Ecole de droit et management (Université Paris 2 Panthéon-Assas) revient sur la modernisation des aides d'Etat.

La modernisation des aides d’Etat constitue une révolution majeure aux conséquences encore méconnues.

Depuis 2012, le régime des aides d’Etat en droit européen a fait l’objet d’une profonde réforme dont les effets sont encore méconnus, alors qu’ils commencent à se faire sentir. Visant à mieux orienter les financements publics des Etats membres vers les secteurs en croissance et créateurs d’emplois, cette modernisation a conduit à une révision substantielle des règles applicables. Autrefois éparses, de nombreuses lignes directrices sectorielles sont aujourd’hui fondées sur ces principes d’évaluation communs destinés à garantir la cohérence de l’analyse juridique et économique, quel que soit le secteur concerné : énergie et environnement, capital-risque, cinéma, réseaux à haut-débit, etc ...

Outre cet objectif de cohérence dans l’analyse de fond, la réforme a aussi modifié la procédure afin de concentrer les ressources de la Commission sur les dossiers les plus significatifs, dans un esprit de "donnant-donnant" : les Etats membres y ont gagné des marges de manœuvre accrues dans l’attribution d’aides, en contrepartie d’obligations renforcées en termes d’évaluations préalables et de transparence.

Une réforme procédurale …

Les modifications procédurales, pour n’être pas radicales, n’en ont pas moins conféré plusieurs pouvoirs nouveaux à la Commission européenne, inspirés par la procédure antitrust. Pour ce faire, deux modifications successives ont été apportées au règlement du Conseil n° 659/1999, dit "de procédure", en juillet 2013 et en avril 2014. Les pouvoirs d’enquête de la Commission ont été renforcés, notamment le pouvoir de demander des renseignements par voie de demande simple ou par voie de décision, assorti de sanction en cas de non réponse ou de réponse inexacte (nouvel article 6bis du règlement de procédure). Autre innovation non négligeable, qui a déjà prouvé son efficacité dans le domaine des enquêtes antitrust, le pouvoir d’effectuer des enquêtes sectorielles, consacré par le nouvel article 20bis du règlement de procédure. On relèvera aussi une modification du régime des plaintes, perçues comme une source potentielle d’informations intéressantes pour la Commission, mais dont celle-ci se réserve le droit de juger du sérieux ou du caractère prioritaire.

Si ces modifications renforcent les pouvoirs d’enquête de la Commission, elles n’entraînent pas de révolution majeure. C’est dans l’extension des cas d’exemption de notification, qui dispensent les Etats membres de notifier des mesures répondant à certains critères ou inférieures à certains seuils, qu’il faut chercher l’innovation majeure.

La pierre angulaire de cette large extension des cas d’exemption est le nouveau règlement général d’exemption par catégorie entré en vigueur le 1er juillet 2014 (règlement 651/2014, "RGEC"). Ce texte précise notamment les catégories d’aides qui, si leurs montants sont inférieurs à certains seuils, ne doivent pas être notifiées. Ces seuils jouent le rôle de "robinet" dans la vaste tuyauterie de répartition des aides : plus ils sont élevés dans certaines catégories, plus les Etats membres sont incités à investir dans la catégorie d’aide en question puisque ces aides ne devront pas être notifiées. Ces catégories sont variées, mais s’inscrivent toutes dans les objectifs de l’agenda « Europe 2020 » : aides aux infrastructures à haut débit, aides en faveur de la culture et de la conservation du patrimoine, aides à la R&D, aides aux PME, aides à l’environnement et à l’énergie, etc.

… mais aussi substantielle, favorisant une analyse plus économique

Depuis une quinzaine d’années, le recours à une analyse moins "formaliste" et plus économique est le leitmotiv de la réforme des autres branches du droit de la concurrence (pratiques anticoncurrentielles et contrôle des concentrations). Il en va de même pour l’actuelle réforme des aides d’Etat, comme la Commission y a d’ailleurs été fermement invitée par la Cour dans l’arrêt EDF du 5 juin 2012 (affaire C-124/10 P), où cette dernière a implicitement critiqué le formalisme excessif de la Commission dans l’application du critère de l’investisseur avisé en économie de marché.

Pour ce faire, la Commission a harmonisé et systématisé les principes communs d’évaluation des aides. Parmi ces principes, figurent la généralisation de l’évaluation préalable de l’aide, la démonstration de sa contribution à un objectif d’intérêt commun clairement défini, de la nécessité de corriger une défaillance de marché,et du caractère approprié, incitatif et proportionné de l’aide. Les Etats membres sont en outre tenus à des obligations de transparence renforcées.

Une forme de décentralisation indirecte du régime des aides

Que retenir de ce nouveau paysage ? Le nouveau cadre juridique des aides d’Etat dessine les contours d’un régime à la fois plus souple, où les Etats membres ont gagné des marges de manœuvre plus importantes bien qu’encadrées, et plus contraignant dans la mesure où les exigences d’analyse économique préalable et de transparence sont renforcées. Ce régime se veut l’exemple d’une régulation plus efficace et plus incitative. Les années qui viennent diront si cette approche est couronnée de succès.

Michel Debroux
Avocat à la Cour et Directeur d’études à l’Ecole de droit et management (Université Paris 2 Panthéon-Assas)


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