Présidentielle 2022 : le Club des juristes publie ses propositions sur les réformes juridiques à mener

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Le Club des juristes publie « pour un droit au service des mutations économiques et sociales fondamentales de notre société », rapport issu des travaux de la commission présidée par Jacques Attali qui comporte quarante-six propositions sur les réformes juridiques à mener sur quelques-uns des principaux enjeux que la France devra affronter dans les années à venir.

L'ambition du rapport du Club des juristes publié le 25 février 2022 est de nourrir la campagne présidentielle et le débat des élections législatives. « Au-delà des propositions formulées par le rapport, le Club des juristes souhaite fournir les bases d’une réflexion opérationnelle afin de mener à bien la transformation nécessaire du pays.»

Composée de *15 experts et praticiens de renom, professionnels du droit (avocats, magistrats, professeurs de droit) et de l’économie (économistes, chefs d’entreprise), la commission a articulé ses propositions autour de cinq grands thèmes :

  • Genre et identité ; égalité
  • Environnement et transition énergétique
  • Avenir du travail
  • Attractivité, compétitivité, préservation des intérêts français et européens ; efficacité du système judiciaire français
  • Efficacité de l’action publique

En ce qui concerne le genre, l’identité et l’égalité, les auteurs du rapport considèrent que « la campagne présidentielle ne saurait s'affranchir de débats portant sur les mutations fondamentales de la notion même de personne ». Ils proposent notamment d'instituer une justice spécialisée pour lutter contre les violences faites aux femmes, et de renforcer les obligations de transparence des entreprises en matière d’égalité professionnelle et conditionner le bénéfice d’aides publiques au respect de ces obligations. 

En matière d''environnement et de transition énergétique, la commission fait le constat d’un décalage entre l’ampleur de la crise écologique et l’impuissance des pouvoirs publics et estime que « le droit est un élément essentiel de la réponse urgente et nécessaire » pour répondre à cet enjeu. Aussi, elle préconise d'intégrer dans la Constitution une « règle d’or climatique » et créer un défenseur de l’environnement au service de la protection de la nature.

Sur l'avenir du travail, le groupe de travail juge nécessaire d'améliorer la protection sociale des travailleurs indépendants et d'adapter le régime juridique du temps de travail au télétravail.

S'agissant de l'attractivité et de la compétitivité de la France, le rapport recommande d'adapter les politiques de concurrence et bancaire européennes pour permettre l’émergence d’acteurs européens plus puissants et promouvoir une autonomie stratégique, notamment en fixant des conditions de réciprocité ou autrement d’accès au marché intérieur européen. De même, pour conforter l’avance prise par l’Europe vers une économie plus durable et responsable, il serait nécessaire de renforcer l’exercice des pouvoirs des conseils d’administration en matière de normes RSE et encourager le développement de l’actionnariat salarié.

Enfin, dans le domaine de l'efficacité de l’action publique, les experts proposent la création d'une institution de veille et d’alerte, et d'accélérer la flexibilisation du droit des sociétés (notamment pour les règles applicables aux PME et ETIs) afin de lutter contre le désordre normatif. 

Arnaud Dumourier (@adumourier)

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*Jacques Attali, écrivain, président de la Fondation Positive Planet, président d’Attali et Associés, conseiller d’État honoraire ; Yann Aguila, avocat associé, Bredin Prat ; Emmanuelle Barbara, avocate associée, August Debouzy ; Emmanuel Brochier, avocat associé, Darrois Villey Maillot Brochier ; Bertrand Cardi, avocat associé, Darrois Villey Maillot Brochier ; Jean-Michel Darrois, avocat fondateur, Darrois Villey Maillot Brochier ; Delphine Ernotte Cunci, présidente de France Télévisions ; Mathilde Lemoine, cheffe économiste du Groupe Edmond de Rothschild ; Anne Levade, professeure de droit public, université Paris I Panthéon-Sorbonne ; Nicolas Molfessis, professeur de droit privé, université Paris-Panthéon-Assas ; André Potocki, conseiller honoraire à la Cour de cassation ; Isabelle Rome, magistrate, haute fonctionnaire à l’égalité femmes-hommes du ministère de la Justice ; Henri Savoie, avocat associé, Darrois Villey Maillot Brochier ; Katheline Schubert, professeure d’économie, université Paris I Panthéon-Sorbonne ; Bernard Stirn, président de section honoraire au Conseil d’État, membre de l’Institut.

LES PROPOSITIONS DE LA COMMISSION ATTALI

 Sur le genre, l’identité et l’égalité

Proposition n° 1
Fixer dès le début du prochain quinquennat, les nouveaux principes relatifs au genre et à l’état des personnes, permettant de concilier la dignité de la personne humaine, la protection de la liberté individuelle ainsi que le droit au respect de la vie privée, et l’exigence de stabilité de la   règle de droit.


Proposition n° 2
 Faire de l’égalité un élément de mise en conformité des organisations de travail, en durcissant les obligations de transparence, de précision et de négociation collective et en conditionnant le bénéfice d’aides publiques au respect de ces obligations.


Proposition n° 3
Promouvoir l’égalité professionnelle comme un instrument de modernisation des organisations et de bonne gouvernance.


Proposition n° 4
Mener une réflexion sur l’éducation et l’orientation afin d’en chasser les stéréotypes, proposer un brevet de l’égalité attestant du suivi de formations dédiées à la compréhension et à l’identification du sexisme.


Proposition n° 5
Mieux protéger les femmes victimes de violences sexuelles et sexistes, par la mise en place d’une procédure d’urgence efficace pour éloigner rapidement la victime de l’auteur présumé et par l’institution d’une justice spécialisée « violences sexuelles et sexistes ».


 Sur l’environnement et la transition énergétique

Proposition n° 6
Intégrer dans la Constitution une « règle d’or climatique », afin de consacrer une obligation constitutionnelle d’action des pouvoirs publics contre le changement climatique, laquelle obligation devra être conciliée, au cas par cas, avec les autres considérations d’intérêt général, d’ordre économique et social. Plus généralement : tout acte législatif ou réglementaire ayant un impact significatif sur l’environnement devra démontrer son absence de nocivité irréversible à l’égard des générations futures.


Proposition n° 7
Créer un défenseur de l’environnement, autorité publique indépendante spécialisée au service exclusif de la protection de la nature, autonome et distincte notamment du Défenseur des droits. Cette autorité devrait être confiée à une forte personnalité politique et dotée de moyens et de pouvoirs conséquents. Elle pourrait être saisie par les associations, collectivités territoriales et autres acteurs de terrain. Elle devrait disposer du droit d’agir en justice, et du droit de signaler au parquet la commission alléguée d’infractions au Code de l’environnement. Cette institution aurait naturellement sa place dans la Constitution.

Proposition n° 8

Instituer dans chaque grand ministère une direction de la transition écologique, ayant pour responsabilité principale d’opérer un véritable pilotage de la stratégie environnementale française. Cette direction pourrait disposer d’un pouvoir de visa pour s’assurer que les mesures et politiques envisagées sont en cohérence avec un « budget carbone » propre à chaque ministère.


Proposition n° 9
Dans les entreprises, favoriser une gouvernance conforme aux enjeux environnementaux, et ce, de manière générale pour éviter de fausser la concurrence, en accroissant la réflexion sur le développement d’éléments dans la comptabilité pondérés à l’impact social et écologique, et renforcer le rôle des directeurs RSE et/ou instituer des « délégués à la protection de l’environnement » sur le modèle du délégué à la protection des données.

Proposition n° 10
Renforcer la fiscalité environnementale pour orienter les décisions économiques. Pour assurer son acceptabilité, le produit de cette fiscalité pourrait être affecté en majeure partie à la mise en place d’un revenu climatique à destination des ménages les plus affectés et à l’allègement du coût des biens et services écologiques.

Proposition n° 11
Œuvrer à la sensibilisation des responsables publics et privés, notamment par l’instauration d’une formation obligatoire des hauts fonctionnaires en matière écologique.

Sur l’avenir du travail

Proposition n° 12
Adapter la protection sociale des travailleurs indépendants aux enjeux de l’intermédiation numérique du travail par l’identification des risques sociaux pris en charge par la protection sociale, spécialement en matière de chômage.

Proposition n° 13
Sécuriser le financement la protection sociale des travailleurs indépendants par une détermination adaptée des assiettes de cotisation et l’existence d’une partie, étatique ou non, tierce à la relation de travail par laquelle transiteront les prélèvements sociaux.

Proposition n° 14
Sécuriser les parcours professionnels hétérogènes en clarifiant la lecture des droits sociaux acquis par les travailleurs, salariés comme indépendants, ainsi que la transférabilité de ces droits lors du passage d’un statut de travailleur à un autre par le recours au compte personnel d’activité revisité.

Proposition n° 15
Adapter le régime juridique du temps de travail au télétravail afin de préserver l’autonomie des salariés par la création d’un temps de travail spécifique à cette forme de travail, borné temporellement, durant lequel le télétravailleur accomplit son volume horaire de travail et peut vaquer à ses occupations personnelles, l’articulation entre ces deux éléments lui revenant. Les partenaires sociaux au niveau de l’entreprise définissent les modalités concrètes de ce temps de travail, notamment en vue de préserver la collectivité de travail d’un risque d’étiolement.

Proposition n° 16
Renforcer la prise en charge des risques inhérents au télétravail (financiers et psychosociaux) notamment par un suivi adapté des télétravailleurs et par leur formation professionnelle.

Proposition n° 17
Centrer et renforcer la formation sur les activités s’inscrivant dans la dynamique de la transition écologique ; intégrer les enjeux environnementaux dans l’ensemble des parcours de formation initiale et continue.

Proposition n° 18
Sécuriser les plans de transformation de l’activité ou de ses modalités en créant un motif légitime de suppression de poste tiré de l’adaptation aux exigences environnementales ou climatiques, rangé dans la catégorie des licenciements pour motif économique, de sorte que le plan social éventuel en résultant mette en place les actions nécessaires à la reconversion/adaptation des travailleurs à ces modalités nouvelles d’exercice de l’activité.

Proposition n° 19
Alléger les prélèvements sociaux sur les activités économiques des travailleurs salariés et indépendants répondant aux besoins de la transition écologique.

Proposition n° 20
Concrétiser, à travers la négociation collective de branche, les grandes orientations économiques de la croissance verte déterminées par l’État.

Sur les moyens de renforcer l’attractivité et la compétitivité de la France, préserver les intérêts nationaux et rester une économie ouverte

Proposition n° 21
Favoriser la réciprocité en matière de marchés publics, encourager la réflexion en faveur d’un principe de préférence européenne dans la commande publique et en faire des instruments de développement des startups et des nouvelles entreprises européennes.

Proposition n° 22
Inciter à la réallocation de l’épargne dans le financement de l’économie et en particulier dans les investissements avec une composante de risque (qui pourrait s’accompagner du renforcement ou du développement de fonds institutionnels français ou européens) afin, également, de contribuer au financement de projets d’entreprises ou de l’innovation dans les domaines tels que le digital ou l’écologie.

Proposition n° 23
Adapter les politiques de concurrence et bancaire européennes pour permettre l’émergence d’acteurs européens plus puissants dans des domaines industriels et de services clés, ainsi que dans le domaine bancaire.

Proposition n° 24
Flexibiliser davantage la réglementation et en particulier le droit des sociétés ; poursuivre et accélérer la simplification des règles applicables aux PME et ETIs, acteurs essentiels de l’efficacité du système économique et outils d’aménagement équilibré du territoire économique ; et promouvoir à l’étranger une meilleure
connaissance de l’état réel du droit du travail en France.

Proposition n° 25
Réaffirmer l’importance de la stabilité de la règle fiscale et éviter le dumping fiscal en encourageant la poursuite des initiatives internationales pour mieux répartir la charge fiscale des acteurs dominants et en mettant en place des mécanismes fiscaux permettant d’attirer des talents et entrepreneurs étrangers ;
enrichir les études et exiger du législateur, en lui en donnant les moyens, une évaluation précise des conséquences financières des mesures projetées, y compris lorsqu’elles le sont par voie d’amendement. Pousser la réflexion sur les moyens d’éviter la rétroactivité fiscale qui peut nuire à l’attractivité, favoriser et
généraliser la pratique des rescrits.

Proposition n° 26
Poursuivre les réflexions sur la co-régulation au service d’une meilleure efficacité de la réglementation (plus de souplesse et de prise en considération des situations individuelles), en faisant en sorte que la loi fixe de grands principes généraux en certaines matières (environnement, droits de l’homme, etc.) et que les entreprises déterminent elles-mêmes la manière de s’y conformer, avec des modalités transparentes pour respecter leurs objectifs.

Proposition n° 27
Renforcer, en matière RSE, l’exercice des pouvoirs du conseil d’administration, organe le mieux à même de défendre une approche tenant compte de l’ensemble des parties prenantes. Inclure dans l’évaluation des objectifs des dirigeants des critères extra-financiers cohérents avec l’émergence rapide de normes européennes en matière de reporting extra-financier, dans le cadre des travaux de l’EFRAG ou de ceux initiés par l’IASB. Pousser la réflexion sur le développement d’un système de comptabilisation pondérée à l’impact social et écologique. Encourager une taxonomie de transition pour récompenser les efforts de transition des entreprises plutôt que favoriser ceux qui ont déjà accompli toute leur transition.

Proposition n° 28
Encourager le développement de l’actionnariat salarié et d’outils juridiques et fiscaux adaptés pour participer à l’efficacité du système économique et à la réduction des inégalités.

Proposition n° 29
Créer un « paquet anticorruption européen » capable de rétablir une concurrence loyale (« level playing field ») au niveau européen.

Proposition n° 30
Sur les enjeux liés aux sanctions économiques, affirmer la souveraineté française et européenne par la promotion du rôle de l’euro, favoriser le développement d’un fort marché de capitaux européen, développer un cloud européen et des infrastructures numériques européennes et créer une OFAC européenne.

Proposition n° 31
Soutenir les initiatives visant à élargir le contrôle des investissements étrangers pour protéger les véritables intérêts nationaux et veiller à une plus grande prévisibilité des investissements concernés.

Proposition n° 32
Définir des mécanismes de réciprocité au niveau européen à l’heure du renforcement des contrôles des investissements étrangers chinois et américains.

Proposition n° 33
 Favoriser l’adoption d’un devoir de vigilance à l’échelle européenne afin d’affirmer des valeurs éthiques fortes et communes à l’Europe.

Proposition n° 34

Étudier les domaines dans lesquels les exigences éthiques (corruption, vigilance et RSE) et de probité pourraient être une condition d’accès au marché intérieur européen et trouver d’autres moyens pour assurer une réciprocité à l’instar de la taxe carbone en matière environnementale.

Proposition n° 35

Soutenir une réglementation européenne des géants du numérique par la mise en œuvre rapide du Digital Market Act et du Digital Services Act, en les rendant plus efficaces, et par l’instauration d’un régime de responsabilité de ces firmes pour les contenus diffusés en ligne similaire à celui des médias, tout en veillant à ce que les services de médias audiovisuels européens d’intérêt général ne perdent pas en visibilité auprès du public.

Proposition n° 36
Réorienter une partie des moyens alloués à la cour d’appel au profit de la première instance dont les décisions en matière civile
n’encourraient la réformation que pour des erreurs manifestes, de droit ou de fait.
Proposition n° 37
Conforter la place de Paris en matière d’arbitrage en réaffirmant le principe de subsidiarité et en renforçant les règles de nomination
des arbitres pour assurer leur indépendance et leur impartialité.

Proposition n° 38
Financer de manière équitable les chambres commerciales internationales en mettant en place un dispositif budgétaire qui serait progressivement doté par chacune des parties s’adressant aux chambres commerciales internationales

Proposition n° 39
Encourager une meilleure coopération entre magistrats et avocats en favorisant des échanges plus réguliers tout au long des procédures, en permettant aux juridictions le recrutement d’assistants parmi les élèves avocats et en multipliant les formations communes aux magistrats et aux avocats.

Proposition n° 40

Promouvoir le système judiciaire et le droit français par l’organisation d’événements internationaux et l’implication des avocats et magistrats à l’étranger.

Proposition n° 41
Favoriser l’émergence d’instruments juridiques et fiscaux (ou autrement incitatifs) simples permettant d’accroître les passerelles entre le système universitaire et les autres écoles et au sein même de ces systèmes (sachant que l’on pourrait même réfléchir au regroupement au sein de pôles) et assurer la stabilité du nouveau cadre juridique sur l’apprentissage et la formation professionnelle, instauré par la loi Avenir en suivant de près sa mise en œuvre (par la création d’un comité de suivi régulier destiné à veiller à une plus grande fluidité entre les différents acteurs, par exemple, en encourageant la digitalisation des processus et les passerelles pour passer d’un secteur ou d’une branche à l’autre).

Sur l’efficacité de l’action publique

Proposition n° 42
Lutter contre le désordre normatif, non seulement par l’expression renouvelée d’une forte volonté au plus haut niveau de l’État, mais également par la création d’une institution légère et efficace de veille et d’alerte.

Proposition n° 43
Restaurer la possibilité, pour les parlementaires, d’exercer en parallèle des responsabilités d’exécutif local, quelles que soient la taille et la nature de la collectivité locale, afin notamment de faire revenir de grands élus locaux au sein des Chambres.

Proposition n° 44
Rendre la haute fonction publique plus attractive en améliorant la transparence et la rationalité de la gestion des carrières et en revalorisant les rémunérations

Proposition n° 45
Améliorer également l’attractivité des carrières d’enseignant chercheur en allégeant les charges administratives, en garantissant les financements, en réservant la qualification et la gestion des carrières aux enseignants-chercheurs eux-mêmes et en revalorisant les rémunérations.

Proposition n° 46
Rééquilibrer les conditions d’engagement de la responsabilité des décideurs publics en réactivant leur responsabilité politique et en rationalisant leur responsabilité juridictionnelle par la fixation d’un délai maximum entre la mise en examen de quiconque et la clôture de l’information judiciaire (délai qui pourrait être prorogé par décision motivée du juge si la complexité de l’affaire justifie des investigations plus longues).