Le notariat français en Chine : l'histoire extraordinaire d'un exploit discret

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Peu de gens savent que le notariat français a réussi l’exploit de servir de modèle et d’accompagner la mise en oeuvre en Chine d’une nouvelle profession notariale chinoise. Concurrencés par des professions juridiques de plus de 40 pays, les notaires français ont su séduire le pays le plus peuplé du monde.
Le Monde du Droit a souhaité comprendre l’histoire de cet extraordinaire succès dont les origines remontent à 1997. Nous nous sommes donc entretenus avec l’homme à la naissance de cette aventure : Jean-Paul Decorps, président honoraire du Conseil Supérieur du Notariat.

Le Notariat Français en Chine, ça peut surprendre, comment est née cette initiative ?

Jean-Paul Decorps : L’initiative remonte à 1997 lorsque j’étais vice-président du Conseil Supérieur du Notariat. Il y avait alors au Vietnam une maison du droit et il me paraissait intéressant de créer la même chose en Chine. A l’époque, la Chine traversait une crise économique et beaucoup d’observateurs chinois étudiaient le modèle européen. Il faut savoir que l’histoire européenne a toujours fasciné les Chinois et qu’ils sont très intéressés par l’Union que l’Europe a réussie à mettre en place. Ils ont aussi une admiration particulière pour Napoléon et De Gaulle. Des contacts furent pris avec les Chinois alors que Deng Xiao Ping prônait l’ouverture et voulait que la Chine devienne un Etat de droit dans la perspective de son entrée à l’OMC.

Quels étaient les atouts mis en avant par les notaires ?

La Chine voulait attirer les investisseurs et devaient donc mettre en avant l’idée de sécurité juridique. Les notaires incarnent cette sécurité juridique, cela a été pour nous un argument très fort. Dans la tradition chinoise le procès est un echec, les Chinois recherchent l’amiable et l’accord. Le droit anglo-saxon étant fondé sur la jurisprudence, les Chinois étaient sensibles à notre droit fondé sur la loi et le code. Les Chinois ont examiné 40 pays avant de retenir le notariat français.
Enfin, le gouvernement Chinois voulait un relais efficace auprès de la population de ces changements considérables. Or, le notaire est un intermédiaire entre l’état et le citoyen et donc un relais pour implanter ce nouveau système juridique.

Matériellement, comment se traduit cette implication du notariat en Chine ?

D’abord par la création d’un centre d’échanges et de formation à Shanghai. Le choix de Shanghai était un choix des Chinois qui souhaitaient que Shanghai soit un laboratoire dont Pekin pourrait reprendre les initiatives. Notre coopération était le premier exemple de ce type entre les autorités chinoises et une institution étrangère.
Nous avons mis en place un système qui repose sur deux piliers : la formation professionnelle et un diplôme universitaire.
La formation consiste en une formation initiale et continue des notaires chinois (fonctionnaires) ainsi que la formation de jeunes juristes appelés à devenir des notaires. La formation a lieu dans le cadre de séminaires qui se déroulent en Chine et en France. Nous communiquons beaucoup avec les Chinois pour savoir quels sont les thèmes ou les notions juridiques sur lesquels ils souhaitent que nous mettions l’accent. Le diplôme est un Master Sino - Français du droit des affaires organisé par les universités de Shanghai et de Paris 2. Les étudiants passent la première année à Shanghai et la seconde en France. Nous avons plus de 600 demandes chaque année. Puis, il y a une très importante activité de traduction avec des interprètes qui traduisent les textes français en Chinois et les textes chinois en Français et enfin, nous publions également une revue.

Quels sont les résultats aujourd’hui dans la vie économique et juridique chinoise ?

Ces résultats sont considérables et ont dépassé nos attentes. La loi notariale chinoise promulguée en 2006 a créé un notariat libéral en Chine sur le modèle français. L’Article 14 de la constitution chinoise reconnaît le droit de propriété et la Loi de 2007 sur les droits réels introduit dans le droit chinois des concepts comme la copropriété, les servitudes ou encore les ventes sur plan. Nous avons travaillé sur tous ces textes avec eux. Il y a maintenant un droit chinois des biens composé de 280 articles qui sont très fortement inspirés du droit français. Les Chinois envisagent même de réunir tout ce droit fondamental dans un Code Civil.

Ce succès en Chine, va-t-il apporter de nouveaux débouchés ou de nouvelles opportunités aux notaires français ?

Le fait que les Chinois aient choisi de créer un notariat fait que beaucoup de pays s’intéressent maintenant au métier de notaire et veulent aussi créer un notariat. Nous sommes sollicités par l’Iran, le Kazakhstan, la Libye et nous prévoyons de commencer à travailler aussi avec le Liban. Notre réussite en Chine est également importante pour les notaires au niveau européen. Au moment où certains disent que le notariat est une institution dépassée, nous leur prouvons que le notariat est moderne et répond à un vrai besoin. D’ailleurs, les pouvoirs publics français ne s’y trompent pas et nous ont beaucoup félicité pour nos initiatives.

Y a-t-il d’autres exemples de professions juridiques européennes impliquées de cette manière en Chine ?

A l’initiative des notaires, les huissiers s’implantent maintenant en Chine pour créer une profession à l’image des huissiers français. Sinon, à ma connaissance, il n’y a que des initiatives isolées et sporadiques. Cela dit, nous serions heureux que notre exemple serve à d’autres. Nous avons, dans cet esprit, participé activement au colloque organisé à Pékin par Christine Lagarde, alors au Commerce Extérieur, sur le thème de
l’exportation des métiers du droit qui réunissait des avocats, des juristes d’entreprises, des mandataires judiciaires, des commisseurs priseurs et beaucoup d’autres.


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