Les professionnels du droit face au défi de la transition numérique

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JINOV2017 pleniereComment réussir la transition digitale ? Telle était la problématique de la plénière de la deuxième édition de la Journée de l'innovation du droit et du chiffre (JINOV) qui s'est déroulée le 2 février 2017 au Grand Hôtel Intercontinental à Paris et qui a réuni 155 professionnels du droit et du chiffre.

La deuxième édition de la Journée de l‘innovation du Droit et du Chiffre (JINOV) s’est déroulée le 2 février 2017 à l’Hôtel Intercontinental à Paris sur le thème de la transition numérique.

L’impact de la transition numérique

Dans la transition numérique, il y a la question de la communication électronique qui est un "chantier pharaonique" a indiqué Pierre Berlioz, professeur de droit et conseiller du garde des Sceaux.
Selon lui, il faut étendre la communication à la première instance "parce que c'est un outil essentiel pour le développement d'un certain nombre d'innovations. La communication électronique, elle va avec le développement des outils informatiques au service des juridictions pour l'élaboration de leurs décisions".
Pierre Berlioz, Professeur de droit et conseiller du garde des SceauxCeci est d’autant plus nécessaire avec la perspective de l’open data de la jurisprudence.
"Pour y arriver, il faut qu'il y ait des trames de rédaction qui soient identiques pour toutes les juridictions. A ce moment là, on pourra avoir des décisions rédigées avec un certain nombre de métadonnées qui seront intégrées et qui nous permettront d'opérer l'anonymisation derrière et les conditions de la mise à disposition".
Ces outils électroniques transforment le travail du juriste et l'orientent davantage vers le conseil. "Il faut que ces outils soient non pas asservissant mais, au contraire, il faut que ce soit des outils d'aide à la décision qui permettent que la valeur ajoutée du juriste s'exprime pleinement sur la base d'une facilitation du travail par de la recherche accomplie par ces outils informatiques." a affirmé le conseiller du garde des Sceaux

L’innovation n’est pas que numérique

Kami Haeri, Associé, August DebouzyMais "l'innovation ce n'est pas que le numérique", a tenu à préciser Kami Haeri, associé chez August Debouzy et auteur du rapport sur l’avenir de la profession d’avocat. "L'innovation c'est la manière d'appréhender notre environnement comme un marché, de savoir ce que nous y valons, quelle est notre stratégie, où est-ce que nous voulons aller collectivement, quels sont les objectifs qualitatifs que nous nous fixons, quels sont les moyens tactiques que nous allons mettre en oeuvre pour pouvoir les atteindre".

Développement du numérique avec des limites

Le bâtonnier de Paris, Frédéric Sicard, qui avait ouvert la plénière de JINOV, a indiqué qu’il était "partisan d'un développement maximum et d'une transition numérique maximum" mais avec des limites. "Il y a deux possibilités : une interdiction/sanction ou une labellisation.  (…) La labellisation, je trouve que c’est une très bonne voie. C'est encourager les cercles vertueux pour que ce soit les consommateurs qui fassent le choix en allant vers le meilleur plutôt que vers le pire. A partir de là, il faut que l'on mette en place des critères de labellisation." a-t-il conclu.

Frédéric Sicard, bâtonnier de Paris

Les juristes d’entreprise ont la culture de l’innovation

Stéphanie Fougou, Présidente de l'AFJELa culture de l’innovation fait partie du monde de l’entreprise depuis une quinzaine d’années. C’est ainsi que dans de nombreuses entreprises il y a des postes de Chief Data Officer ou encore des personnes responsables de la transition numérique.
Stéphanie Fougou, Présidente de l’AFJE, estime donc que le juriste d'entreprise est engagé dans ce mouvement depuis bien longtemps et a intégré cette dimension dans sa culture. Néanmoins, c'est très différent selon la typologie des entreprises, nuance la Présidente de l’AFJE. Par ailleurs, les juristes d’entreprise, dont beaucoup exercent dans un contexte international, travaillent à distance, utilisent des systèmes d'informations avec des informations sur les contrats, les litiges, des informations par pays, des mots-clés...
Enfin, il faut aussi prendre en compte le fait que les métiers se transforment sous l’influence du numérique. "Cela change la manière de travailler mais aussi les business models. Cela change également ce que le juriste d'entreprise attend de l'avocat. Les juristes d'entreprise attendent une prestation différente".

L’expérience Open Law

Benjamin Jean, Président, Open LawOpen Law est un projet de cocréation destiné à mettre en valeur le droit ouvert, accompagner globalement l'ouverture des données juridiques et stimuler l'innovation collaborative autour des données juridiques ouvertes.
Benjamin Jean, Président d’Open Law, a fait le bilan de l’action d’Open Law depuis 2 ans.
Le point de départ était de profiter de l'open data pour parler de la transformation numérique et "emmener le droit dans le champ du numérique. Voir comment le numérique pouvait chambouler le droit".
Pour ce faire, l’association a réuni tous les acteurs traditionnels du monde du droit et "tous les porteurs de technologies qui voyaient dans le monde du droit un potentiel inexploité". 
Très vite, le constat est que d'un point de vue technique "il y a beaucoup à dire et à faire. Le droit n'était pas un objet technique facile à appréhender". 
"Pour que le droit puisse se transformer, il fallait que le droit soit traité de telle sorte à permettre cette transformation."
Aussi, les membres d’Open Law ont travaillé sur le droit en tant que data mais aussi sur les techniques que l'on pouvait associer à ces données, c'est-à-dire comment mieux traiter le droit.
Open Law a travaillé sur des programmes sur l’accessibilité du droit, la prédictibilité, les normes européennes et les outils communautaires ainsi que l’économie numérique du droit. En plus de ces programmes d'innovation, l’association a travaillé sur des programmes d'expérimentation sur des sujets tels que l'intelligence artificielle, la blockchain ou encore le legal design.

La valeur se déplace de la technicité juridique à l’humain

jinov2017 alexis debordePour Alexis Deborde, Président de Leganov, qui accompagne les avocats dans la transition digitale, il faut avoir en tête que la puissance de calcul des ordinateurs évolue à une telle vitesse qu'en 2020 les ordinateurs, les outils informatiques seront aussi puissants que n'importe quel juriste aussi aguerri qu'il puisse être. Entre 2040 et 2050, la technologie sera capable à elle seule de rassembler l'intelligence de l'humanité réunie.
Aussi, "quelle que soit sa valeur ajoutée, on ne sera pas aussi fort qu'une intelligence artificielle. A terme, on ne pourra plus se reposer sur sa valeur ajoutée." 
"Que reste-t-il de la prestation juridique ?" a interrogé Alexis Deborde. "La valeur se retrouve autour de l'humain". Tout ce qui est de l'ordre de la puissance de calcul pourra être remplacé. Il faut donc être capable d'isoler tout ce qui relève de cette puissance de calcul : outil technologique à développer en back office. "La transition digitale va se faire en back office parce que les clients en front office ne seront pas forcément capables d'adopter ces outils là. Par contre, vous, en tant que professionnels, vous serez capables de les développer et de les adopter donc de les mettre de façon directe à disposition de vos clients". Par ailleurs, il y a tout ce qui relève de l'expérience clients. La loi Macron, par exemple, permet de travailler avec d'autres professions. Il faut donc imaginer de nouvelles offres.

L’intelligence artificielle au service des avocats

Jean-François Henrotte, Associé Lexing BelgiqueL’intelligence artificielle peut être un formidable outil au service des avocats. C’est ce qu’a montré Jean-François Henrotte, Associé Lexing Belgique et prix de l’innovation CCBE 2016 en présentant le projet de plateforme mutualisée d’avocats.be
"L'idée principale est de mutualiser l'outil en se disant que la plupart des cabinets ne peuvent pas développer un outil comme celui-là seuls". Le coût est de 50 euros par avocat par an.
L’objectif est de traiter la jurisprudence européenne mais surtout toute la jurisprudence belge et la législation. En Belgique, cela représente un million de décisions par an. Il faut donc avoir accès à ces décisions. Pour accéder à ces données, avocats.be a conclu un accord avec le ministère de la Justice. Cependant, se pose la question de l’anonymisation et l’indexation automatiques. D’où le recours à l’intelligence artificielle pour traiter ce "big data" mais aussi pour éviter le "bruit" en permettant d’interroger la base de données en langage naturel. Enfin, comme toute intelligence artificielle, plus les avocats belges feront de recherches plus l’outil se perfectionnera.

Arnaud Dumourier (@adumourier)