La formation continue dans les cabinets d'avocats

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Nul n’est besoin de rappeler davantage les obligations bien connues qui incombent aux avocats. En choisissant de consacrer ce dossier spécial à la formation continue dans les cabinets d’avocats, nous avons poursuivi plusieurs objectifs. D’abord, faire un état des lieux, ensuite, regarder ce qui se fait au sein des cabinets qui ont le plus de moyens à consacrer à la formation et enfin, donner des idées à tous ceux qui veulent améliorer leur politique de formation continue.

" La durée de la formation continue est de vingt heures au cours d’une année civile ou de quarante heures au cours de deux années consécutives.

 L’obligation de formation continue est satisfaite :

1° Par la participation à des actions de formation à caractère juridique ou professionnel, dispensées par les CRFP ou les établissements universitaires ;

2° Par la participation à des formations dispensées par des avocats ou d’autres établissements d’enseignement ;

3° Par l’assistance à des colloques...

4° Par la dispense d’enseignements à caractère juridique...

5° Par la publication de travaux à caractère juridique... "

Etat des lieux

A Paris, l’Ecole de Formation du Barreau (EFB) joue un rôle majeur puisque c’est dans ses locaux que sont dispensées une grande partie des formations destinées aux avocats du barreau. C’est aussi l’EFB qui valide les formations pouvant être dispensées par les cabinets d’avocats qui en font la demande, qu’il s’agisse de formations organisées par les cabinets pour leurs membres ou de formations ouvertes aux avocats de l’extérieur. Force est de constater que si les formations proposées sont ouvertes à tous, tous ne sont pas égaux devant la formation. En préparant cet article, nous avons interrogé un certain nombre de cabinets de différentes tailles et de profils divers. A la question : " Quelle est votre politique en matière de formation continue ? ", la réponse la plus fréquente était : "Nous attachons une grande importance à la formation continue, nous veillons à ce que tous les collaborateurs fassent leurs heures obligatoires ". Certes, c’est un début, mais encore nombreux sont les cabinets qui ont une vision purement quantitative du problème et négligent toute la réflexion qui serait nécessaire en amont pour que la formation continue remplisse pleinement son rôle. Les avocats ne doivent pas se former pour faire un quota d’heures, ils doivent se former pour progresser et mieux bâtir leurs carrières. La formation continue doit être perçue comme une chance et non une obligation. Les cabinets qui l’ont compris savent que la formation continue de leurs avocats améliore les performances du cabinet car elle contribue à structurer les carrières et les spécialisations et qu’elle peut aussi être un instrument de valorisation et de communication.

Quand on a les moyens...

"Big is beautiful " n’est pas toujours vrai ... sauf peut-être pour la formation continue. Nous avons, pour ce dossier, consulté les responsables de la formation continue de trois grands cabinets, Clifford Chance, Linklaters et Landwell & Associés et leur avons demandé de nous expliquer comment ils approchaient la question de la formation continue de leurs avocats.

La "Clifford Chance Academy " est une impressionnante illustration de ce qui peut être fait quand on en a les moyens. Clifford Chance, le géant international aux 3800 avocats répartis dans 27 bureaux dans 20 pays, dispose de son "Academy" de formation installée dans quatre centres stratégiques : Londres, Amsterdam, New York et Hong Kong. Le rôle de la "Clifford Chance Academy" est de fournir à tous les avocats à travers le monde la meilleure formation continue tant dans les domaines techniques dans lesquels exercent les avocats que pour tous les aspects " business ". Non seulement l’Academy s’occupe de coordonner les formations internationales et locales mais elle organise et gère tous les aspects pratiques pour les avocats qui doivent se déplacer pour se former (hôtels, salles, repas...). Elle joue aussi un rôle majeur dans la cohésion du cabinet car elle permet aux avocats d’horizons et de pays divers de se retrouver et d’échanger leur savoir-faire.

Chez Linklaters, à Paris, la formation est gérée par les ressources humaines et William Prein, en charge de la formation continue, travaille aux côtés de Dominique Nouzille, directrice des ressources humaines. Le dialogue avec Londres et les autres bureaux est permanent. Ainsi, afin d’encourager l’harmonisation du travail des avocats des différents bureaux, l’ensemble des départements du cabinet bénéficie de formations, techniques ou liées au développement de l’activité, organisées au niveau mondial. Pour développer ces formations, des groupes de travail sont constitués, des pilotes sont réalisés puis corrigés et affinés pour correspondre le plus possible aux attentes de chacun. Par ailleurs, " plusieurs avocats du bureau de Paris investissent du temps pour enseigner à l’extérieur, notamment à HEC, l’ESSEC ou l’EDHEC. Il y a chez Linklaters une vraie culture de la formation, de l’associé jusqu’au stagiaire ", précise Dominique Nouzille.

Les avocats de Landwell & Associés consomment 15 000 heures de formation par an dont la moitié sont initiées par les avocats en interne et réparties sur 150 formations. L’autre moitié correspond à des heures fournies par le réseau PricewaterhouseCoopers et par l’international. 1 200 de ces heures sont achetées à des prestataires extérieurs. Très structuré tant sur le plan national qu’international, le cabinet est organisé de manière à ce que les responsables de la formation continue dialoguent à la fois avec les ressources humaines, le marketing et le knowledge management. Les avocats sont vivement encouragés à s’impliquer dans les fonctions de formation. C’est ainsi que plus d’un avocat sur quatre est amené à intervenir dans les formations dispensées aux autres avocats. " La participation aux actions de formation entre dans notre processus d’évaluation des avocats ", précise Pascal Gouin, responsable formation de Landwell & Associés.

La formation "business"

Les grands cabinets d’avocats ont compris qu’il fallait rechercher le juste équilibre entre les formations locales, les formations internationales, les connaissances techniques et juridiques et le développement des qualités personnelles (aptitude à travailler en équipe, à diriger, à gérer la relation client, à développer le chiffre d’affaires). Sur ce dernier point, Angela Guinaudie, Learning & Development Manager pour Clifford Chance
Paris, nous a décrit la strategie de son cabinet. " Chez Clifford Chance, nous attachons autant d’importance au développement des aptitudes personnelles (business skills) qu’à la formation technique. Nous avons conçu une série de modules qui ont été élaborés en fonction de ce que sont nos attentes pour un collaborateur débutant, un senior ou même un associé ". 

Ainsi, pour les collaborateurs en début de carrière, une formation à trois niveaux a été établie. Le niveau 1 permet au jeune collaborateur d’apprendre à mieux communiquer avec son entourage (associés, secrétaires, autres collaborateurs et clients). Le niveau 2 sensibilise le collaborateur plus expérimenté aux différences culturelles et donc à mieux interagir avec les avocats des autres bureaux et les clients d’autres pays. Le niveau 3 est consacré aux techniques de négociation. Pour les seniors ou les associés, des formations sont proposées pour perfectionner ses talents de présentation, de prise de parole en public, de management d’équipes ou de développement.

Très attachés à ces formations non juridiques, les grands cabinets savent qu’elles sont un élément clé de l’intégration des avocats. Outre les formations qui sont inscrites dans le cursus de tous les collaborateurs, le cabinet peut aussi répondre aux demandes ponctuelles exprimées par certains d’entre eux. " Nous répondons aux demandes des collaborateurs dès qu’ils identifient un besoin, et essayons d’anticiper leurs attentes. Ils sont très sensibles au fait de se sentir écoutés ", explique Dominique Nouzille de Linklaters. Par exemple, ce cabinet a d’ailleurs mis au point en collaboration avec l’Université de Harvard un cycle de formation sur le développement du leadership. A l’occasion de séances de trois jours, les associés et les counsel, travaillent sur des simulations de situations réelles (business cases) mises au point spécifiquement pour Linklaters avec les enseignants de Harvard.

On peut regretter que les avocats qui travaillent dans des cabinets plus modestes souffrent d’un déficit de ces formations business. Sur la quarantaine de formations proposées actuellement sur le site de l’EFB, il n’y en a que cinq (en dehors des langues) qui ne soient pas strictement juridiques : le cycle techniques de plaidoirie, la gestion du stress, la prise de parole, pour les aptitudes personnelles et la lecture de bilan et la croissance des cabinets pour la comptabilité et le management. C’est peu. Malheureusement, les formations de ce type ne sont pas celles que les grands cabinets ouvrent aux avocats de l’extérieur dans la mesure où elles contiennent souvent un savoir-faire et des habitudes " maison " qui n’ont pas vocation à être partagés.

Avez-vous des PSL ?

Derrière les initiales PSL, se cachent les Professional Support Lawyers. L’appellation n’existant qu’en Anglais, on peut craindre que bien peu de cabinets français en disposent. Il s’agit d’avocats qui ont choisi de mettre leurs compétences au profit des confrères de leur département ou groupe de travail. Le travail des PSL est organisé de manière à ce que ceux-ci disposent d’un bien précieux dont manquent les autres avocats : du temps pour être en veille et à l’affût de tout ce que les avocats du cabinet ont besoin de savoir. Tant chez Clifford Chance que chez Linklaters, les PSL jouent un rôle très actif dans la détermination des thèmes et des modules de formation. Ce sont aussi les PSL qui aident à assurer une parfaite réactivité par rapport à l’actualité.

Sur le terrain des formations juridiques, les richesses sont mieux partagées et la France bénéficie d’un système plus généreux qu’ailleurs. " En Angleterre le barreau ne demande pas aux cabinets d’ouvrir leurs formations aux confrères, même si certains le font ", rappelle Angela Guinaudie de Clifford Chance dont l’auditorium de 130 places a récemment fait le plein pour une formation ouverte aux autres avocats sur le thème " les principaux points d’un pacte d’actionnaires ".

Les grands cabinets travaillent en liaison permanente avec l’EFB ou les CRFPA, à la fois pour que les formations dispensées en interne soient validées dans le cadre des obligations de formation continue mais également pour proposer des formations aux confrères qui le souhaitent. Cette collaboration fonctionne bien et Clifford Chance s’est organisé pour pouvoir prendre directement les inscriptions des personnes intéressées par les formations que le cabinet propose dans le cadre de l’EFB. Landwell & Associés intervient au CRFPA de Versailles pour présenter la Loi de finances. Dans le domaine du droit des affaires, les formations ouvertes aux confrères proposées par ces grandes structures sont une très grande richesse qui est actuellement sous-utilisée par l’ensemble des avocats du barreau.

Fromation, RH, Marketing : le triangle vertueux

Notre enquête nous a montré à quel point la formation continue était un élément central de l’organisation des cabinets d’avocats très structurés. " La formation fait partie du trajet de carrière de nos avocats. La formation est liée à notre politique de ressources humaines dès le séminaire d’intégration auquel participent les avocats qui nous rejoignent ", explique Pascal Gouin de Landwell & Associés. Effectivement, plus la formation est encadrée et réfléchie, plus elle va participer à la spécialisation de l’avocat et à ses progrès.

Chez Clifford Chance, il existe des Centres de Développement qui procèdent à des évaluations en profondeur sur un jour et demi à l’issue desquelles l’avocat reçoit un rapport individuel qui va déterminer quels seront ses axes de formation et de développement pour les années à venir. " Ce sont des méthodes adaptées de celles des grandes entreprises et des grandes sociétés de consulting. Clifford Chance a été le premier à adapter ce type de procédures aux avocats ", explique Angela Guinaudie. La formation fait donc intégralement partie de la politique et de la stratégie des ressources humaines.

Ce qui est vrai pour les RH, l’est aussi pour le marketing. Pascal Gouin de Landwell & Associés ajoute : " Aussi, il y a une courroie de transmission entre la formation et le marketing ". Les grands cabinets ont compris l’intérêt qu’il y avait à exploiter le savoir-faire développé en interne au fil des formations à des fins de communication et de marketing. Ainsi, quand Jérôme Grand d’Esnon, l’ancien directeur des affaires juridiques du ministère de l’Economie et des Finances, a rejoint Landwell & Associés, il a préparé une série d’interventions sur les partenariats public/privé pour ses confrères du cabinet. Maintenant, ces mêmes présentations vont être faites pour les clients et plusieurs dates sont déjà prévues.

"Dans le plan de développement des avocats chez Clifford Chance, il est prévu que les avocats travaillent sur leurs sujets pour des auditoires à l’extérieur du cabinet. Les avocats ont compris que le développement de leurs carrières est aussi dépendant de leur réputation à l’extérieur du cabinet ", nous dit Angela Guinaudie.

Savoir et faire savoir est donc le mot d’ordre. Il s’agit d’acquérir des compétences et des connaissances, pour soi-même d’abord, puis pour ses confrères à l’intérieur du cabinet, ensuite ceux de l’extérieur dans le cadre de la formation organisée par le barreau, et enfin de présenter ces connaissances au monde extérieur dans le cadre de présentations ou de conférences à destination de clients potentiels. Ce cycle vertueux a sans aucun doute été stimulé par l’obligation des 20 heures par an. Les responsables que nous avons interrogés reconnaissent tous " l’effet de levier " des 20 heures obligatoires. Tous constatent aussi que les avocats, des plus jeunes aux plus expérimentés, sont tous demandeurs de formation et que le quota des heures obligatoires est largement dépassé. Linklaters, Clifford Chance et Landwell atteignent tous la moyenne de trente heures par an et par avocat.

Le mot de la fin

Beaucoup d’avocats, qui ne disposent pas de moyens comparables à ceux des cabinets que nous avons interrogés pour cet article, reconnaissent qu’ils ont des progrès à faire en matière de formation continue. Or, une véritable politique de formation continue est loin d’être un luxe inaccessible. Les cabinets très spécialisés, même de petite taille, ont parfois une véritable stratégie de formation continue, encourageant leurs membres à se former, à publier et à dispenser de nombreuses formations à l’extérieur de leurs cabinets.

A Paris, ceci est particulièrement vrai dans un secteur comme celui du droit de l’Internet et des nouvelles technologies où des avocats comme Christiane Féral Schuhl, Olivier Iteanu ou Gérad Haas sont omniprésents alors qu’aucun des
trois ne travaille dans un grand cabinet. La relation qui existe entre la formation continue, l’évolution de sa carrière ou de sa pratique professionnelle et le marketing est réelle que l’on travaille à 5 ou à 500.

Pour ceux qui veulent se former sans pour autant avoir vocation à former les autres, ils ne doivent pas hésiter à se former auprès des grands cabinets qui sont heureux de partager leur savoir. " Le fait d’ouvrir les formations apporte un véritable soutien aux cabinets ne disposant pas de telles possibilités en interne ", dit Dominique Nouzille de Linklaters. Les avocats ne doivent donc pas hésiter à venir chercher chez leurs confrères ce qui leur manque. Profitez-en.