Ces avocats qui s'engagent dans la profession

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Le métier d’avocat est un métier aussi riche que prenant. Absence d’horaires, sacrifices personnels et familiaux... nombreux sont les avocats dont le métier envahit toute la vie. Et pourtant, ces avocats, non contents de conseiller et de défendre leurs clients depuis les premières heures du jour jusque tard dans la nuit, trouvent le temps de s’investir pour leur profession et pour tous les confrères qui la composent.

Le Monde du Droit a voulu comprendre ce qui motivait ces avocats et comment ils sont parvenus à concilier tous les impératifs de leurs existences respectives avec un engagement fort au sein de la profession. Il n’est pas rare d’entendre dire que ce serait l’intérêt personnel plutôt que l’intérêt collectif qui pousserait certains avocats à briguer des mandats dans différentes instances. La réalité est bien différente. Jeunes ou moins jeunes, grands ou petits cabinets, les avocats qui nous ont parlé sont avant tout motivés par la conviction qu’ils ont beaucoup à apporter à l’ensemble de leurs confrères et à un métier qu’ils aiment.

Pourquoi ?

" J’ai eu quarante ans d’une vie professionnelle heureuse. J’ai fait un beau métier dans une bonne période. Il était juste de rendre à la profession un peu de ce qu’elle m’avait donné ", déclare Jean-Michel Tron, avocat associé de Cleary Gottlieb Steen & Hamilton, le plus français des cabinets américains installés à Paris

." Je suis né dans une famille d’avocats traditionnels. J’ai toujours entendu parler du Bâtonnier, des membres du Conseil de l’Ordre comme les garants d’une autorité morale, d’une déontologie et des usages d’un métier. Dès mes premières années de métier, je me suis senti très concerné par l’évolution de la profession. Il m’a paru naturel d’y participer autrement que depuis mon cabinet ", explique David Gordon-Krief, avocat associé du cabinet SBKG.

" Je ne me suis pas posé de questions. Il me paraissait logique de m’occuper à la fois de mes clients et de la profession. J’ai toujours mené les deux de front ", ajoute Jean Castelain, avocat associé du cabinet Granrut & Associés et récemment élu Dauphin du Barreau de Paris qui, en trente ans de métier cumule trente ans d’engagement au sein de la profession d’avocat.

Dès sa prestation de serment, Jean Castelain perçoit la Conférence du Stage comme un moyen de perfectionner sa formation en droit pénal et d’avoir des contacts avec des jeunes confrères à l’étranger. Il se rend rapidement compte que l’institution de la Conférence perpétue l’excellence de l’oralité mais que les grands avocats qui s’y sont exprimés où qui inspirent les plus jeunes lors de prises de parole sur les sujets du concours ne laissent que le souvenir de leur éloquence. Jean Castelain réalise donc, en 1984, un film sur la Conférence du Stage afin d’en garder des témoignages pour les générations futures. Ce sera le premier film réalisé sur ce sujet. Bien au-delà de l’anecdote, l’exemple reflète la fibre collective caractéristique des avocats engagés.

Arrive rapidement la fin des années quatre-vingt et la profession d’avocat est secouée par le rapprochement entre les avocats et les conseils juridiques. Jean Castelain choisit l’engagement syndical à l’UJA (Union des Jeunes Avocats) pour s’impliquer dans ce qui allait être un moment clé de la profession. Il avait été rapporteur général de l’UJA et prend position en faveur du rapprochement des deux professions. C’est d’abord ce message qu’il va vouloir porter au Conseil de l’Ordre au sein duquel il sera élu en 1992 avec le soutien de l’UJA et de l’ANCJ (qui deviendra l’ACE).

Pour David Gordon-Krief, l’engagement syndical a également joué au rôle fondateur. Il a cinq ans de barreau quand il rejoint les rangs de l’UJA de Paris. " J’ai découvert l’UJA à un congrès de la FNUJA. Je découvre alors qu’on peut faire le métier d’avocat tout en réfléchissant dans une bonne ambiance à ce qui pourrait être fait pour que la profession avance et fonctionne mieux ", explique-t-il. C’est pour lui le début d’un parcours qui le mènera à la présidence du syndicat quatre ans plus tard et d’enchaîner les responsabilités depuis.

Jean-Michel Tron, quant à lui, n’est pas un engagé de la première heure. Il est aussi très loin de l’image classique d’un avocat du Palais. " J’incarnais le bout du barreau. J’avais prêté serment par écrit et je n’avais jamais possédé une robe avant d’être au Conseil de l’Ordre ", raconte-t-il. " Je suis arrivé dans un monde que je ne connaissais pas et qui ne me connaissait pas ". Mais pourquoi un fiscaliste de renom en fin de carrière se jette-t-il dans un monde encore dominé par les pénalistes et autres plaidants ? " Je suis fier d’être avocat et je me sens partie du monde des avocats même si je sais que je ne suis pas représentatif de l’essentiel des troupes. Je savais ce que je pouvais apporter à l’Ordre et j’ai pu être utile sur un certain nombre de sujets, notamment les questions financières et fiscales ".

L'utilité de l'engagement


Il y a l’honneur d’arborer le titre de membre du Conseil de l’Ordre ou celui d’AMCO au bout de trois ans. Il y a bien entendu la reconnaissance suprême que procurent les fonctions et le titre de Bâtonnier mais il y a surtout pour les personnes que nous avons interrogées l’importance de l’utilité de leur engagement. Quelles sont les mesures qu’ils ont portées ? Quels sont les progrès auxquels ils ont participé ? Comment ont-ils amélioré le fonctionnement de l’Ordre ?

Ainsi, c’est Jean Castelain qui a été le principal artisan de la réforme du mécanisme de l’aide juridictionnelle lors de son mandat au Conseil de l’Ordre. " A l’époque, il y avait de véritables dysfonctionnements dans le système. Des avocats étaient commis pour des matières qu’ils ne maîtrisaient pas toujours. Et le justiciable en souffrait. Le Barreau de Paris permettait par sa taille de résoudre ces problèmes et d’instaurer un système basé sur le volontariat des avocats. Ainsi, les avocats pouvaient choisir les domaines dans lesquels ils souhaitaient intervenir ce qui constituait un important progrès tant pour l’avocat que pour le justiciable ", explique Jean Castelain.

Alors qu’il était au Conseil de l’Ordre, il a également participé à la réorganisation du fonctionnement de la Commission de déontologie pour que celle-ci puisse traiter les dossiers en temps réel au fur et à mesure de leur arrivée. David Gordon-Krief se souvient de ses débuts à l’UJA de Paris quand il était membre de la Commission Internationale et qu’il avait été chargé de venir en aide à un confrère chinois. Ce dernier était titulaire du CAPA et parlait couramment le Français mais l’Ordre lui avait néanmoins refusé son inscription au motif que la Chine n’appliquait pas la clause de réciprocité. Il a plaidé pour ce jeune avocat chinois devant le Conseil de l’Ordre en séance plénière et a obtenu gain de cause. " J’ai alors su qu’on pouvait faire changer d’avis à une machine réputée figée. Le fonctionnement de l’Ordre a un impact majeur sur la vie de tous les avocats ", dit-il.

Il continuera ainsi à influer sur les décisions de l’Ordre par son action syndicale en se faisant élire au bureau de l’UJA et en devenant trésorier, secrétaire général, premier vice-président et président du syndicat. Il fait accepter par l’Ordre que les avocats puissent prêter serment sans contrat de collaboration. Tout ceci conduisant à son élection au Conseil de l’Ordre en 1998 sous le bâtonnat de Dominique de la Garanderie et obtient dès son arrivée au Conseil de l’Ordre le droit pour les  collaboratrices enceintes de bénéficier de douze semaines de congé maternité.

A certaines mauvaises langues qui disent que l’action syndicale n’est qu’une passerelle pour le Conseil de l’Ordre, David Gordon-Krief apporte la plus belle des réponses en rempilant du côté syndical, après avoir siégé au Conseil, en étant élu à la présidence de la FNUJA en 2002 et 2003.

Les membres du Conseil de l’Ordre font tous le même constat quels que soient leurs passés ou leurs profils : on trouve à l’Ordre ce qu’on peut y apporter. Les avocats qui souhaitent s’investir dans le travail au service de la profession ne sont pas déçus. L’Ordre est demandeur de temps et de compétences et les avocats qui souhaitent se consacrer à la tâche peuvent faire bouger les murs.

Jean-Michel Tron fait ce constat à propos de ses  années passées au Conseil de l’Ordre : " Les Bâtonniers Jean-Marie Burguburu et Yves Repiquet savaient très bien utiliser les compétences. J’avais l’expérience du dialogue avec le Ministère des Finances. Ceci a été très utile dans mon travail pour l’Ordre et le CNB notamment à propos de l’Association à responsabilité professionnelle individuelle ".

Concilier

Comment marier l’engagement dans les instances de la profession et la vie du cabinet ? C’est une question que doivent se poser tous les avocats qui s’engagent - avant et pendant leur engagement.

Au cours de ces trente dernières années, la moyenne d’âge des membres du Conseil de l’Ordre a beaucoup baissé. " Quand j’ai prêté serment, il n’y avait pas de membres du Conseil de l’Ordre de moins de quarante cinq ans ", rappelle Jean Castelain. Peu de temps après, Jean Castelain a ouvert la voie en étant élu au Conseil à l’âge de trente-quatre ans. Quelques années plus tard, David Gordon-Krief lui a emboîté le pas en se faisant élire au même âge. Mais ce qui était une bouffée de fraîcheur et d’énergie peut devenir un problème. " Il y a maintenant beaucoup de jeunes au Conseil de l’Ordre ", constate Jean-Michel Tron. " Ils ne se rendent pas toujours compte de la charge de travail que cela représente quand ils doivent concilier ceci avec le début de leur carrière ".

Le travail d’élu représente deux à trois jours par semaine, ce qui est considérable. Bien entendu, le travail de Bâtonnier est un rôle à plein temps, ce qui implique un travail de préparation et de mise en place que tous les cabinets et tous les avocats ne peuvent pas forcément se permettre.

" Quand je me suis interrogé sur le fait de me présenter au Bâtonnat, j’ai commencé par demander l’accord de ma femme et de mes enfants. J’ai ensuite sollicité l’avis des associés de mon cabinet sur ce projet qu’ils ont accueilli favorablement. Ainsi un budget alloué à la campagne et géré par un de mes associés a été voté et je suis parti en campagne ", raconte Jean Castelain.

Sans le soutien de ses proches et de son cabinet, il est effectivement difficile pour un avocat d’envisager un engagement syndical ou ordinal important, a fortiori un mandat de Bâtonnier. Avec ses trente ans de métier, Jean Castelain dispose d’une solide clientèle dans le domaine des médias, son secteur de prédilection. Ses clients sont habitués à le voir souvent. " Il a fallu réorganiser mon département, promouvoir un collaborateur senior, informer les clients et oeuvrer à la poursuite d’une relation de confiance entre les clients et ceux qui deviendraient leurs interlocuteurs réguliers " explique-t-il. " Nous testons cette nouvelle organisation pendant que je suis encore là pour nous assurer de son bon fonctionnement ", poursuit Jean Castelain en ajoutant qu’aucun de ses clients n’a mal réagi à l’annonce de sa candidature ou de son élection mais qu’ils se sont naturellement interrogés sur la manière dont leurs dossiers allaient être traités en l’absence de leur interlocuteur habituel.

" Mes associés, ceux de Paris comme ceux de New York, m’ont soutenu avec beaucoup d’élégance et de gentillesse. Ils ne m’ont jamais fait le reproche de consacrer trop de temps à l’Ordre ", explique Jean-Michel Tron à propos de l’attitude de son cabinet avant et pendant son mandat. Il est vrai que c’est en fin de carrière que Jean-Michel Tron a décidé d’apporter son temps et ses compétences au Conseil de l’Ordre et que ce qu’il a fait après quarante ans de carrière, il ne l’aurait peut-être pas fait vingt ans plus tôt. Il n’en demeure pas moins que ses années de membre du Conseil de l’Ordre n’auraient pas été vécues avec la même sérénité s’il n’avait pas eu le soutien sans faille de son cabinet.

Pour David Gordon-Krief, le contexte était celui d’un cabinet familial dont les effectifs ne permettaient pas de permutations ou de réorganisations à grande échelle. Pourtant, à force d’organisation, de travail et de volonté, David Gordon- Krief a enchaîné les mandats et les responsabilités tout en maintenant et en développant  ses clients. La force des liens familiaux a créé une solidarité qui lui a permis de mener toutes ses missions de front. " Quand on est passionné, les journées sont plus longues et les nuits sont plus courtes. Il faut être très organisé ", résume-t-il.

Ce qu'on mandat rapporte

Les avocats qui se dévouent pour la profession le font de manière désintéressée. C’est indéniable. Même si le prestige attaché à certaines fonctions est une source de motivation, les retombées économiques n’entrent pas considération. En effet, les sacrifices demandés dépassent très largement les répercussions matérielles.

" L’Ordre ne m’a jamais rapporté un client ", dit David Gordon-Krief. Il reconnaît toutefois que ses activités au sein de la Commission internationale de l’Ordre lui ont permis de développer des contacts à l’étranger qui sont venus enrichir le réseau de correspondants avec lesquels il travaille.

Jean-Michel Tron confirme que même si un Membre du Conseil de l’Ordre contribue au prestige d’un cabinet, ce n’est sûrement pas un facteur déterminant pour celui-ci.

Vis-à-vis des clients, le statut de Membre du Conseil de l’Ordre est néanmoins rassurant. En effet, pour que l’avocat décroche son mandat, il doit être élu par ses pairs. C’est cette élection qui procure un niveau supplémentaire de reconnaissance et qui peut mettre le client en confiance. David Gordon Krief ajoute à cette analyse : " Quand un jeune avocat est élu par ses pairs, il gagne en crédibilité ", mais précise " même si l’indisponibilité qui en résulte n’est pas un argument de marketing ".

Pour un Bâtonnier, l’analyse n’est pas tout à fait la même. Le cabinet de Jean Castelain comporte un ancien Bâtonnier, Bernard Bigaut du Granrut, qui a été une figure du Barreau de Paris. Jean Castelain reconnaît, pour avoir travaillé avec ce dernier, que la présence d’un Bâtonnier dans un cabinet peut avoir des implications très positives. Notons cependant que Jean Castelain ne marche pas dans les traces de son associé car plus d’une génération les sépare à la différence des cabinets qui ont connu des tandems de Bâtonniers comme Stasi / Farthouat ou Lafarge / Flécheux.

La présence d’un Bâtonnier apporte en effet une activité dans des secteurs qui ne sont pas ceux d’origine du cabinet. Depuis sa récente élection, Jean Castelain aété sollicité pour des dossiers dans lesquels il n’aurait jamais été impliqué sans son nouveau statut de Dauphin. Mais ne s’agit-il pas là d’une juste compensation pour toutes les années consacrées à la profession ?

Un virus incurable

Que la contamination soit jeune ou tardive, les avocats qui se sont engagés pour leur profession n’en guérissent pas facilement. Même Jean-Michel Tron, pour qui le Conseil de l’Ordre était une manière élégante de clore une carrière réussie, reste à 69 ans impliqué dans de nombreux chantiers et travaux de la profession. Plus de deux ans après la fin de son mandat, il continue à s’intéresser aux problèmes
liés au blanchiment. Il est impliqué dans la réflexion sur l’évolution des structures d’exercice. Il participe à la Commission de collaboration et à la Commission des difficultés d’exercice et siège au Comité  directeur de la CARPA. Si après l’Ordre, il n’a pas continué au CNB, c’est parce qu’il considère qu’à  l’heure où le CNB monte en puissance, les parisiens ont un rôle majeur à y jouer nécessitant une dépense de temps et d’énergie qu’il n’était plus certain d’avoir. Ayant été un représentant des grands cabinets au sein du Conseil de l’Ordre, Jean-Michel Tron soutient que ceux-ci ont un rôle important à jouer au sein des instances ordinales. En effet, les grands cabinets ont participé aux deux tendances de fond qui ont caractérisé ces vingt cinq dernières années : la poussée du conseil et la poussée de  l’association. Ces cabinets doivent donc accompagner cette évolution par une présence dans les ordres. Ils ont les compétences et les effectifs pour cela. Ayant fait une carrière  entière sans porter la robe, la voix de Jean-Michel Tron a su se faire entendre au Palais. Ce n’est pas incompatible.

David Gordon-Krief n’a que quarante cinq ans et du temps devant lui. Après l’UJA, l’Ordre, et la FNUJA, il est entré à l’UNAPL en 2003, il a été chargé de mission pour Dominique Perben en 2005, il a participé aux travaux du Conseil Economique et Social en 2007 et 2008. Son engagement n’est pas près de s’arrêter. Le retrouverons- nous Président de l’UNAPL... ou peut-être Bâtonnier ?

Quant à Jean Castelain, c’est la plus lourde des missions qui l’attend maintenant. Elu Bâtonnier sur un programme ambitieux, les chantiers qui l’attendent sont nombreux. Avant même de prendre ses fonctions, il a secoué la structure traditionnelle de l’Ordre par la création d’une fonction de vice-Bâtonnier. Dès qu’il sera en exercice, il prévoit de s’attaquer à la déductibilité fiscale des honoraires, à la création d’un " chèque avocat ". Il veut moderniser l’Ordre et en simplifier l’organigramme et souhaite que Paris joue pleinement son rôle au sein du CNB.  Nous attendrons qu’il ait fini tout cela pour lui demander ce qu’il compte faire après.


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