IA générative : démystifier, comprendre et envisager l'avenir

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Le 6 février de 14 à 19h à l’Espace Hamelin, l’association Juriconnexion consacre son rendez-vous annuel aux évolutions des pratiques et métiers provoquées par l’arrivée de l’Intelligence Artificielle Générative dans l’écosystème juridique.

Nous avons interrogé des acteurs de cet événement pour en savoir plus : Mesdames Michèle Bourgeois et Laurence Longet membres du comité d’organisation de l’événement (présidente er ancienne présidente de l’association), Mme Nathalie Rehby qui présidera ce rendez-vous et M. Bertrand Cassar qui y interviendra.

Mesdames, pourquoi organiser un événement sur un sujet déjà fréquemment abordé ? En quoi l’approche de Juriconnexion est-elle particulière ?

Les propositions de conférences et de formations sur l’IA générative sont en effet très nombreuses en ce début d’année. Nous avons néanmoins souhaité y consacrer notre Rendez-vous Juriconnexion 2024 car cette technique impacte les pratiques professionnelles de tous nos adhérents, qu’ils soient avocats, magistrats, enseignants, étudiants, documentalistes, veilleurs, Knowledge managers. Il nous paraissait important de les réunir autour d’un sujet qui les intéresse tous. Nous avons choisi pour présider cette conférence, Nathalie Rehby, conseil en stratégie et communication pour des avocats, car Nathalie nous conduit à nous interroger sur notre positionnement dans l’usage des IA.

Par ailleurs, cette manifestation est ouverte aux personnes non-adhérentes de notre association car nous avons toujours à cœur, selon l’objet de Juriconnexion, de partager de l’information et des discussions sur l’évolution de la diffusion du droit en ligne avec toutes personnes intéressées par ce sujet, sans distinction de profession ou de qualité.

En lisant la presse générale et spécialisée dans le cadre de notre veille sur ces questions, nous avons constaté que les discours autour de l’IA générative sont soit dithyrambiques - l’IA générative, c’est magique ! Cela va répondre à toutes nos questions et nous faire gagner un temps considérable ! – soit anxiogène – Nous allons tous être supplantés par de l’IA !

Nous voulions en élaborant le programme de cette conférence, démystifier l’IA générative et donner la parole à des spécialistes chevronnés, qui pratiquent l’IA générative au quotidien, soit pour développer de nouveaux services, soit pour en tester les capacités et les limites. Ces personnes réfléchissent également au futur cadre réglementaire de ces outils. Il nous semblait important d’entendre leur point de vue et leurs retours d’expériences, et enfin pouvoir initier des échanges avec eux, dont nous pensons qu’ils ne se limiteront pas à cette année 2024.

Mme Rehby, vous êtes présidente de la manifestation de Juriconnexion, quelle orientation générale voudriez-vous donner à cette journée ?

Je suis ravie d’avoir été invitée à présider cette manifestation. Mais je serai plutôt dans la position de Candide que dans celle d’un chef !

Nos métiers (documentation, KM, veille, communication, conseil…) sont complémentaires et très en relation, nous partageons le même langage, souvent nous pratiquons un autre métier que le nôtre –le communicant fait de la veille, le documentaliste fait de la communication, etc. Ce qui nous relie, c’est l’information, et nous avons beaucoup de points communs. Nous avons par essence beaucoup à partager. Et ce sujet de l’IA générative en est un, ne serait-ce que parce qu’il nous touche tous.

Devant le phénomène IA, nous sommes soumis aux mêmes questionnements : Les questions d’usage : comment allons-nous l’utiliser et quand ? Cela va-t-il nous aider sur certaines tâches mais lesquelles ? Quels outils pour quels gains ?... Les mêmes appréhensions : gadget ou outil ? Allons-nous être remplacés par la machine ? Quel assistant pour nos métiers ?... L’impact de l’ampleur du débat que suscite l’IA ne cesse de me surprendre et j’attends de ce rendez-vous avec impatience afin que nous puissions y réfléchir collectivement et apprendre ensemble.

J’aborde ce débat avec un autre angle de vue : l’utilité des soft skills. En portant deux idées : d’abord l’idée que nos savoirs professionnels ne sont pas remplaçables par l’IA : le collaboratif, la gestion de projet, le travail en transversal, la complexité, l’abstraction, le multiculturel…  La machine ne sait pas faire cela. Ensuite que nos qualités et exigences professionnelles sont des atouts face à l’IA qui permettront même de mieux l’utiliser. La communication, la curiosité, la créativité… Ainsi, savoir formuler un prompt sera sans doute bien plus facile à un spécialiste de la recherche qui sait questionner les bases de données ou à un spécialiste du story telling. Nous devons développer les paramètres les plus humains de nos métiers. Oui l’IA va nous obliger à être plus humain !

M.Cassar, le déploiement de l’IA générative dans l’écosystème juridique et ses perspectives dépendent-ils étroitement de sa régulation ?

L'apparition de ChatGPT et la découverte, par le grand public, des systèmes d'IA générative a beaucoup interrogé durant l'année 2023. Les nouveaux cas d'usages qu'offre ce type de technologie semblent répondre à des rêves longtemps refoulés. Pourtant, il existe un risque important de générer des documents comprenant de nombreux biais ou ne respectant pas la réglementation en vigueur. A titre d'exemple, on pourrait évoquer le cas de cet avocat américain dont l'usage de systèmes d'IA générative avait produit de faux arrêts dans ses conclusions (https://www.radiofrance.fr/franceinter/un-avocat-americain-a-utilise-chatgpt-pour-preparer-un-proces-et-n-a-cite-que-des-faux-arrets-3833906). Une autre question fait actuellement l'actualité, elle s'intéresse à l'étroite relation entre ce type de systèmes et le respect de la propriété intellectuelle attachée à certaines données.

La régulation n'est pas une condition sine qua none pour que les IA génératives inondent le marché du droit. En revanche, elle donnera un gage de confiance et garantira, en l'état de l'art, le respect des différents droits applicables sur les données. Au-delà de la simple réglementation de l'usage de ce type de système - notamment par le biais de la proposition de règlement sur l'intelligence artificielle (RIA ou AI Act) - le véritable enjeu autour de ces systèmes se cristallisera dans le respect de la gouvernance des données (entendue ici comme étant le respect des différentes protections juridiques s'appliquant sur ces informations). Ainsi, un professionnel du droit devra veiller à ce que ses obligations professionnelles soient bien respectées par le traitement des données, notamment en déployant cette technologie sur un hébergement souverain. L'usage devra également être fait en connaissance de cause, en s'assurant du respect du droit d'auteur et des différentes protections juridiques relatives aux données, ainsi que l'absence de biais pouvant induire un préjudice au bénéficiaire.

Le RIA est donc un vecteur de confiance, essentiel à notre marché européen, favorisant ainsi l'implémentation des systèmes d'IA générative au sein du marché du droit. Après, en toute mesure, l'entrée en application de ce texte ne devrait pas avoir lieu avant la mi 2026. »

D’autres interventions, dont la première aura pour objectif pédagogique de faire comprendre les termes et concepts clé de l’IA générative, et une table-ronde pour clore cet après-midi, proposeront une exploration détaillée de ces problématiques. Un cocktail aura lieu à la suite de la demi-journée. Le programme complet peut se consulter sur le site de l’association https://www.juriconnexion.fr/save-the-date-le-prochain-rendez-vous-juriconnexion-aura-lieu-le-mardi-6-fevrier-2024-de-14h00-a-19h00/ Le lien pour s’inscrire en ligne se trouve à la fin du programme.

Propos recueillis par Jean Gasnault, la Loi des Ours