Philippe Poutou : « La justice dans la société d’aujourd’hui est une institution qui sert les intérêts des dominant-e-s, et donc de classe, raciste et patriarcale »

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Le Monde du Droit a interrogé Philippe Poutou, candidat du Nouveau Parti Anticapitaliste (NPA), à l'élection présidentielle de 2022 sur ses propositions en matière de Justice. Son programme, centré sur l'idée d'une justice au service de la population, comprend notamment l'abrogation des lois "Sécurité globale" et "Séparatisme", un plan de recrutement massif et la réorientation de notre politique pénale.

Que pensez-vous de l'état de la justice en France dont les professionnels du droit fustigent le manque de moyens ?

Comme la quasi-totalité des services publics, la justice a été sacrifiée par les derniers gouvernements, qu’ils soient de droite ou PS, sur l’autel des politiques d’austérité et se trouve actuellement asphyxiée par manque de moyens. Il en résulte des délais d’attente inadmissible pour les justiciables et des conditions de travail intenables pour les greffier-e-s et les magistrat-e-s, elles-mêmes source d’une souffrance au travail aigüe qui a malheureusement éclatée au grand jour avec le suicide d’une jeune magistrate en novembre dernier. Nous partageons donc le constat des organisations syndicales ayant voté au mois de janvier une demande d’expertise sur le risque grave auquel sont exposé-e-s les agent-e-s des services judiciaires. 

Faut-il réformer l'institution judiciaire dans son ensemble ? Faut-il davantage de magistrats ?

La France compte deux fois moins de juges par habitant-e-s que la moyenne européenne. Un plan de recrutement massif est indispensable pour mettre un terme à la surcharge de travail des magistrat-e-s et améliorer les délais de traitement pour les usager-e-s.

L’urgence est également, notamment par une réorientation de la politique pénale et l’abrogation des lois liberticides introduites par les précédents gouvernements (loi « sécurité globale, loi « séparatisme », lois du 3 juin 2016 et du 30 octobre 2017), à placer le service public de la justice réellement au service de la population plutôt qu’en défense des intérêts des possédant-e-s et de l’ordre social capitaliste. Il est grand temps d’arrêter l’acharnement contre les habitant-e-s des quartiers populaires et d’instituer en priorité le traitement des violences faites aux femmes et la répression de la délinquance patronale.  

Est-ce que les États généraux de la Justice lancés par Emmanuel Macron peuvent apporter des réponses selon vous au manque de moyens et au mal-être des magistrats, fonctionnaires de greffe ?

Ces États généraux sont une opération de communication du gouvernement, une fausse consultation destinée à apporter un vernis démocratique à sa politique qui ne bougera pas d’un iota. Le gouvernement a déjà usé de cette méthode avec les « chantiers de la Justice » en 2018 qui ont donné lieu à la loi du 23 mars 2019, contestée à juste titre par les organisations syndicales de magistrat-e-s. 

Que ferez-vous des conclusions des États généraux de la justice ?

Compte tenu de ce qui précède, ces États généraux n’ont aucun intérêt. Une véritable concertation avec les organisations syndicales et les associations œuvrant pour la défense des droits est indispensable. 

En définitive, quelles sont vos principales propositions en matière de justice ?

En finir avec l’asphyxie et la casse de ce service public, lui redonner les moyens de fonctionner sans maltraiter les agent-e-s chargé-e-s de l’administrer. Revenir sur l’inscription dans le droit commun du régime dérogatoire de l’état d’urgence et sur les autres lois liberticides. Mettre la justice au service de la population en réorientant radicalement la politique pénale. Étendre l’accès au droit et à l’aide juridictionnelle, en finir avec la dématérialisation tous azimutsqui éloigne les usager-e-s les plus vulnérables du service public. La justice dans la société d’aujourd’hui est une institution qui sert les intérêts des dominant-e-s, et donc de classe, raciste et patriarcale. Elle ne pourra être réellement mise au service de l’intérêt collectif que dans le cadre d’un changement de société.

Quelles sont vos propositions pour les professionnels du droit ? 

Quelle que soit l’issue de la séquence électorale, le NPA et Philippe Poutou apportent tout leur soutien aux mobilisations des professionnels du droit et de leurs organisations syndicales, telle que celle du 15 décembre 2021, ou celle de janvier 2020 organisée par les avocats en défense de leur système de retraite et nous continuerons d’être à leur côté dans leurs combats contre la destruction du service public de la justice et pour des conditions de travail dignes.  

Propos recueillis par Arnaud Dumourier


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