L'avocat-CIL : un "métier" en devenir

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Christiane Féral-Schuhl

Depuis février 2010, une convention de partenariat a été mise en place entre la CNIL et le Conseil National des Barreaux portant sur des actions communes de sensibilisation à la loi « informatique et libertés » et de formation du correspondant informatique et libertés. Objectif : développer le « métier » d’avocat CIL.

Entretien avec Christiane Féral Schuhl

 

En quoi l’avocat est-il l’intervenant naturel pour assumer la fonction de correspondant informatique et libertés (CIL) ?


Christiane Féral-Schuhl : L’avocat CIL, également dénommé « correspondant à la protection des données personnelles », a tout de suite été considéré comme un acteur possible par la Commission nationale informatique et libertés (CNIL) au moment de la promulgation de la loi du 6 août 2004. L’avocat CIL est, en effet, l’interlocuteur légitime et naturel de l’entreprise qui veut faire appel à un CIL. Il a la connaissance de la matière et toute la maîtrise du dispositif pour être le bon partenaire.

Certaines questions se sont posées en termes de compatibilité entre ce nouveau métier et la profession d’avocat. Mais depuis mars 2009, une adaptation du Règlement intérieur national (RIN) a permis de lever ces difficultés en encadrant la manière dont l’avocat peut exercer le métier d’avocat CIL. Les questions posées étaient de deux ordres : tout d’abord, le rappel de la règle du conflit d’intérêt, qui est naturelle chez l’avocat du fait de sa profession, sa prestation de serment, de sa déontologie.

Plus délicat était le respect d’une règle prévue par le législateur tenant au fait que lorsque le CIL constate une anomalie ou une irrégularité, et si le responsable du traitement ne veut pas déférer ou n’adhère pas à son analyse, le CIL doit en référer à la CNIL. C’est là qu’il pouvait y avoir une difficulté d’application de la règle pour l’avocat, qui a une obligation de secret professionnel. Mais cette difficulté a été levée. Lorsque l’avocat CIL rend compte de son analyse et informe le responsable du traitement, lequel ne veut pas déférer ou ne veut pas adhérer à cette analyse, l’avocat CIL a l’obligation de se retirer.


Cette mission nouvelle pour l’avocat est-elle amenée à se développer ?


C. F.-S. : Il n’y a pas encore de statistiques sur le nombre d’avocats CIL, mais c’est une fonction qui a vocation à se développer et à laquelle je crois beaucoup. Je pense que cela participe de ces nouveaux métiers à travers lesquels les avocats doivent occuper le terrain.

Je crois que l’avenir de cette profession est très riche, pour peu que les avocats explorent et investissent ces nouveaux champs d’activité, une évidence qui est partagée sans difficulté par la jeune génération. Agent sportif, avocat fiduciaire, avocat mandataire en transactions immobilières, avocat CIL, de véritables spécialisations se mettent en place. Les avocats qui ne s’investissent pas dans ces nouvelles voies laissent la place à d’autres professions.


Pourquoi cette ouverture de la profession d’avocat ?


C. F.-S. : Il y a une évolution profonde de la société qui attend l’avocat dans beaucoup plus de matières et de rôles qu’auparavant. Lorsque je suis entrée dans cette profession, nous étions 6 000 à Paris. Aujourd’hui, nous sommes 23.000. La profession a forcément beaucoup évolué et le périmètre s’est élargi. Même s’il y a des avocats en situation difficile, la profession, dans son ensemble, est capable d’occuper le terrain. Je pense cependant qu’elle doit faire plus d’efforts en ce sens.

On est sorti de l’image traditionnelle de l’avocat plaidant. Le réflexe de n’importe quel citoyen devrait être de faire appel à son avocat lorsqu’il rencontre une difficulté juridique, de manière à ce que cela devienne une démarche naturelle.

De même, concernant la protection des données personnelles, il faut que le chef d’entreprise systématiquement pose la question à son avocat de savoir si ce dernier a une compétence d’avocat CIL.

Encore faut-il qu’il sache que l’avocat est en mesure d’exercer ce métier. Nous abordons là un problème de communication et il appartient d’une part, à l’Ordre de bien communiquer sur ces nouveaux métiers et d’autre part, à chaque avocat de jouer un rôle moteur par une prise de conscience individuelle de ce potentiel, ce qui  drainera une nouvelle image de l’avocat.


Ces nouvelles fonctions, sont-elles pour les avocats, des missions accessoires ou peuvent-elles devenir l’essentiel de leurs activités ?


C. F.-S. : Le plus souvent ce sera à titre accessoire. C’est le cas de l’avocat mandataire en transactions immobilières. Ces voies nouvelles intéresseront davantage les avocats hyper-spécialistes dans certains domaines. Si vous prenez, par exemple,  le milieu du sport, le choix stratégique que ferait un avocat spécialisé en droit du sport d’exercer en tant qu’agent sportif en fait un interlocuteur naturel des sportifs. Il en est de même pour les spécialistes des données individuelles qui peuvent  décider  de fournir à leurs clients  un service d’avocat CIL.

En empruntant ces diverses nouvelles voies, les avocats apportent une valeur ajoutée dont il faut qu’ils prennent conscience. A nous avocats, d’occuper ces nouveaux champs d’intervention. Il s’agit là d’un axe stratégique clé pour avancer,  qui doit conduire chaque avocat à repenser sa manière d’exercer et son positionnement dans une société en pleine mutation.