Louis Degos : « L’impact d’un arbitrage sur des tiers est une question de spécialistes »

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louis-degosLouis Degos, avocat associé chez K&L Gates et arbitre reconnu à l’international, explique le contexte et les conséquences d'une décision emblématique rendue en matière d’arbitrage permettant une tierce opposition contre une sentence arbitrale.

 

Pouvez-vous nous rappeler le contexte de ce contentieux ?

Deux grands groupes, belge (SESVanderHave) et allemand (Strube), dans le domaine de la sélection et la culture de la betterave sucrière, avaient un désaccord majeur dans l’exécution de leur relation contractuelle qui les liait depuis fort longtemps. Ce contentieux avait donné lieu à un arbitrage international en Belgique, au terme duquel le groupe Strube avait été condamné notamment à payer plus de cent millions d’euros à son cocontractant.

Dans le cadre de l’exécution de cette sentence, SESVanderHave a été conduite à agir en justice dans plusieurs pays, y compris en France contre la société Deleplanque et Cie, une PME semencière française indépendante bien plus petite, qui s’est trouvée entraînée au beau milieu d’un contentieux très stratégique et engagée dans diverses procédures, alors même qu’elle n’avait rien à voir avec la sentence arbitrale et qu’elle ne faisait partie d’aucun des grands groupes belligérants.

Mais elle avait le tort d’être le maillon essentiel de la vente de semences de betterave en France et de participer à la sélection de variétés en faisant travailler quelques milliers d’agriculteurs, eux aussi indépendants, à la multiplication de nouveaux plants. C’est dans ce contexte que la société Deleplanque et Cie nous a demandé de les assister.

Qu’avez-vous fait ?

Bien sûr nous avons fait le nécessaire pour résister aux assauts répétés de SESVanderHave qui voulait absolument exécuter la sentence arbitrale rendue en sa faveur. Mais la pression était extrêmement forte à tel point qu’il était réclamé à l’entreprise Deleplanque et Cie, rien moins que le paiement intégral des quelques cent millions d’euros de condamnation !

Il nous fallait trouver le moyen d’étouffer dans l’œuf toutes ces actions fondées sur un arbitrage qui ne concernait pas notre cliente… Mais toute la difficulté était qu’en tant que tiers à l’arbitrage, Deleplanque et Cie n’était pas recevable à exercer un recours en annulation contre la sentence, non plus qu’un appel contre l’Ordonnance d’exequatur rendue en France, et qu’en Belgique, siège de l’arbitrage, comme en France d’ailleurs, la tierce opposition contre la sentence arbitrale internationale n’existe pas. Bref aucun recours contre le titre qui lui était opposé !

Nous avons donc du innover, et nous avons formé une tierce opposition contre l’ordonnance d’exequatur en France de la sentence arbitrale belge. Ce recours n’est pas prévu dans notre droit, mais il n’est pas interdit non plus…

Par une décision du 25 avril 2017, le Tribunal de Grande instance de Paris a accueilli cette tierce opposition en relevant que ce recours n’était pas interdit contre l’ordonnance d’exequatur et que cette ordonnance faisait elle-même grief à Deleplanque et Cie puisque celle-ci avait subi une saisie-attribution fondée sur la sentence exequaturée. Mais les juges ont ensuite rejeté au fond cette tierce opposition en disant que Deleplanque et Cie n’avait pas été condamnée et ne pouvait donc pas subir de préjudice. Comme l’a dit la doctrine, « il n’empêche que c’est bien une nouvelle voie de recours prétorienne qui vient d’être ouverte » (cf. Th. Clay, Panorama, Recueil Dalloz, 28 décembre 2017, n° 44, p 2572).

Quels sont les enseignements à tirer de cette décision ?

L’impact d’un arbitrage sur des tiers est une question de spécialistes car une sentence arbitrale, comme toute décision de justice, s’impose à tous mais en même temps elle est limitée par un double effet relatif : l’autorité relative de chose jugée et l’effet relatif de la convention d’arbitrage… Or l’arbitrage, et plus généralement les modes alternatifs à la justice étatique, se « démocratise » et se développe : ces questions vont donc se poser de plus en plus.

Propos recueillis par Arnaud Dumourier (@adumourier)