La contribution des juristes et du droit à la perfomance de l'entreprise : interview de Virginie Lefebvre-Dutilleul, Associée, Ernst & Young

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Virginie Lefebvre-Dutilleul, Associée, Ernst & YoungLe Monde du Droit a rencontré Virgine Lefebvre-Dutilleul dans le cadre de la publication de l'ouvrage "La contribution des juristes et du droit à la performance de l’entreprise" auquel elle a participé. 

Pourquoi avez-vous décidé de participer à l'ouvrage "La contribution des juristes et du droit à la performance de l’entreprise" ?

 Cet ouvrage reprend certaines présentations de la conférence sur la performance et la culture juridique d’entreprise organisée par l’EDHEC Business School à Lille. C’est Monsieur Christophe Roquilly, professeur à l’EDHEC Business School et directeur du centre de recherche Legal Edhec, qui nous avait demandé, mes deux associés (Fabrice Naftalski – Avocat, Associé en charge du département IP-IT et Données personnelles et Stéphane Baller, Associé, pilote notamment de l’Observatoire des Directions Juridiques) et moi-même, de participer à ce projet.

Cela touchait aux juristes, au droit, et à la performance de l’entreprise. C’était un sujet à la fois intéressant et original, sur lequel nous avons immédiatement accepté de travailler. Nous avions déjà étudié ces sujets pour l’Observatoire des Directions juridiques et toutes les réponses n’avaient pas pu être apportées : c’est un sujet riche.

Par ailleurs, nous sommes assez peu à nous intéresser au rôle des juristes dans la performance de l’entreprise, et le projet de Monsieur Roquilly nous permettait tant de réaffirmer notre savoir-faire que d’échanger avec d’autres spécialistes sur ces thématiques.

A quelles problématiques répond aujourd'hui cette contribution ?

Cet ouvrage cherche à expliquer le rôle des juristes de nos jours et à démontrer la valeur ajoutée qu’ils représentent pour les entreprises : apporter des solutions aux problèmes et participer à la conformité au sein de l’entreprise.

Les études de l’ouvrage portent sur la culture juridique des entreprises et la prise en compte du juridique dans leur performance. On y explique en quoi le droit aide à protéger le patrimoine industriel et informationnel de l’entreprise.

Les juristes sont effectivement ceux qui identifient les risques et apportent des solutions face à la complexité réglementaire tant nationale qu’internationale. Un exemple de cette inflation législative est l’approche statistique du secrétariat général du gouvernement qui, en janvier 2011, comptait en France " 58 codes, 2000 lois, 26000 décrets ", et ça n’inclut ni le droit international, ni le droit européen. Alors, vous imaginez bien la nécessité pour les sociétés de recourir à des juristes pour les éclairer sur le droit applicable.

De plus, la rapidité de l’information est à la fois une opportunité et une menace pour les entreprises : cette information à grande vitesse peut causer des dommages irréparables à la réputation des sociétés dès lors que celles-ci ne disposent pas d’une bonne organisation de la conformité.

Ce sont donc les risques juridico-réglementaires auxquels les juristes doivent aujourd’hui préparer les entreprises, notamment en passant par la formation des dirigeants, salariés, partenaires, …, sur les pratiques anticoncurrentielles par exemple.

Il faut notamment former les différents acteurs de l’entreprise – en particulier les acheteurs ou les vendeurs - sur ce que constitue une entente, car ils ne réalisent pas toujours, par exemple, que la simple discussion de prix avec des représentants d’autres entreprises peut déjà avoir des conséquences lourdes du point de vue juridique (constitution d’une entente).

Je suis en train de rédiger un nouvel ouvrage à paraître dans les mois à venir sur le thème de la conformité, plus précisément sur la mise en place de codes de conduite intelligents et efficaces.


Quel rôle doit-on aujourd'hui reconnaître aux juristes dans la performance de l'entreprise ?

D’abord, les juristes sont là pour éviter à l’entreprise les risques, les sanctions et les condamnations ; ils doivent aussi protéger l’image de l’entreprise.

De nos jours, on peut, peut-être, se permettre de perdre de l’argent, mais certainement pas sa réputation ; c’est pourquoi les sociétés investissent de plus en plus dans leur protection juridique. C’est donc le premier rôle du juriste que d’intervenir en amont, en anticipation des risques de l’entreprise.

Deuxièmement, ils doivent protéger les inventions et le savoir-faire de l’entreprise, notamment par les outils de confidentialité et de propriété industrielle. Il s’agit à la fois d’établir une bonne sécurité juridique et informatique, en évitant les fuites – souvent dues à des maladresses plutôt qu’à une véritable intention de nuire des acteurs de l’entreprise. Pour cela, c’est une fois de plus la formation de tous les acteurs de l’entreprise sur les risques potentiels d’atteinte à la conformité et au secret des affaires qui s’impose et repose entre les mains des juristes d’entreprise.

Troisièmement, les juristes apportent des solutions aux enjeux stratégiques et opérationnels, en soutenant le développement de l’entreprise, par exemple, via la mise en place d’un réseau de distribution ou la négociation d’un contrat d’acquisition efficaces. Ils apportent donc des solutions juridiques adaptées aux entreprises. Ainsi, les juristes ont un rôle primordial, ils doivent être en amont des projets de l’entreprise.

Apple est un exemple du rôle fondamental des juristes de nos jours. Bien entendu, il s’agit d’abord d’une vision, d’un projet, d’inventions mais aussi, c’est une organisation contractuelle, juridique et stratégique impressionnante. Les juristes ont mis en place un dispositif juridique sophistiqué pour protéger les éléments de valeur de l’entreprise. Cette organisation, protégeant la confidentialité, le savoir-faire, la propriété industrielle et organisant la distribution, a été très bien pensée et mise en œuvre.


Selon vous, les entreprises tendent-elles à s’externaliser vers les cabinets d’avocats ou préfèrent-elles construire une direction juridique solide?

Les deux ! Les entreprises construisent des directions juridiques solides car elles ont de plus en plus conscience de la nécessité de la formation et de la protection juridique. Les équipes sont de grande qualité, pour certaines extrêmement spécialisées et avec une vision stratégique adaptée au monde de l’entreprise.

Néanmoins, ces directions sont en surcharge de travail, elles doivent répondre à des problèmes urgents et divers, et ne peuvent pas assurer la totalité de la protection juridique nécessaire à l’entreprise.

De plus, certaines entreprises de moyenne et petite taille ne disposent pas forcément des juristes. Parfois, même dans les grosses entreprises, la direction juridique est centralisée et les filiales, en particulier étrangères, se retrouvent souvent sans conseil juridique intégré.

Il peut s’en suivre une certaine perte de contrôle des aspects juridiques ; généralement, ce sont les directeurs administratifs et financiers qui s’approprient localement le sujet en recouvrant à des avocats locaux.

Le juriste d’entreprise, en surcharge de travail, doit hiérarchiser ses priorités et savoir confier certains domaines juridiques aux avocats. Il doit aussi être capable de déterminer quel degré de spécialisation est requis pour chaque dossier et reconnaître quand son équipe n’est pas suffisamment spécialisée sur un sujet pour pouvoir le traiter.

Au-delà, sur certains sujets, l’avocat peut apporter au juriste d’entreprise un confort supplémentaire ou encore la confidentialité nécessaire pour traiter les dossiers sensibles. Les directions juridiques peuvent parfois, par exemple, traiter 90% des sujets mais recourir aux avocats pour les 10% restants. Le recours à un réseau international lui permet aussi de conserver le contrôle sur les aspects juridiques des filiales étrangères.

En fait, c’est un véritable partenariat qui s’institue entre les directions juridiques et les avocats : une réflexion à deux s’opère avec un enrichissement mutuel, par croisement des connaissances techniques et opérationnelles.

 

Virginie Lefebvre-Dutilleul

Virginie Lefebvre-Dutilleul a passé le CAPA en 1993. Elle rejoint alors le cabinet Archibald Andersen, puis Ernst & Young Société d’Avocats, dont elle dirige aujourd’hui le département Droit des Affaires. Elle intervient en fusions-acquisitions (M&A) et dans le secteur des sciences de la vie. Elle assiste également les entreprises en matière de compliance et d’éthiques au sein des entreprises.

L'ouvrage

contributionjuristes

La contribution des juristes et du droit à la perfomance de l'entreprise : Management juridique et culture juridique d'entreprise

Editions Joly

Collection pratique des affaires
327 pages

ISBN : 978-2306000274