Propositions pour évaluer la qualité des climats des affaires : interview de Patrick Patelin

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Patrick Patelin - Avocat - CMS Bureau Francis LefebvrePatrick Patelin et Claude Revel, Conseillers du Commerce extérieur de la France (CCEF), membres de la Commission Droit et Influence internationale, sont les coauteurs du rapport « Propositions pour évaluer la qualité des climats des affaires ». A l’occasion du colloque "Le Droit Continental, vecteur de compétitivité" qui se tient à l’Assemblée Nationale sous le haut patronage du Président de la République Nicolas Sarkozy, Patrick Patelin revient pour le Monde du Droit sur les systèmes d'évaluation à l'épreuve dans les milieux des affaires et présente le rapport qui propose une approche nouvelle dans ces modes d’évaluation des climats des affaires, pour susciter ainsi la structuration d’une réflexion à un échelon multilatéral. Le rapport souligne notamment l’exigence dans le contexte actuel d’une moralisation des affaires, les points faibles du rapport Doing Business, publié chaque année par la Banque Mondiale, et propose de nouvelles bases pour construire de nouveaux indicateurs.

Depuis plusieurs années la France a une position peu flatteuse dans les systèmes d'évaluation nationaux ou internationaux, comment expliquez-vous cela ?

Dans le Doing Business de la Banque Mondiale la France occupe la 29ème place sur un total de 183 pays derrière la Géorgie (16), et la Thaïlande (17) !Elle enregistre ses plus mauvais résultats dans le domaine de la propriété (2012 : 149ie) et pour la protection des investisseurs (2012 : 79ie) !

Le système d’évaluation utilisé par Doing Business tout comme les autres systèmes d’évaluation sont basés sur des critères anglo-saxons. Ceci explique en grande partie le bon classement des pays anglo-saxons et de la Thaïlande qui a suivi les recommandations de la Banque Mondiale, et le classement de la France.

Quels sont selon vous les atouts du Droit continental face à la Common Law ?

Première remarque : un fort courant oppose la « market-inhibiting civil law » (entendre tradition civiliste) à la « market supporting common law ».
Notons que cette classification simpliste et réductrice qui a influencé le groupe Law and Finance de la Banque Mondiale est d’ailleurs discutée outre manche (J.Reitz, Toward a study of the Ecology of Judiucial Activism, 59 U.Toronto L.J.185 -2009).

Deuxième remarque : 24% de la population mondiale vit sous un système de droit civil tandis que seulement  6,5% de cette population est concerné par le système de la Common Law.
Par ailleurs, plus de 150 états qui représentent près de 60% de la population mondiale connaissent un système de droit écrit, pur ou mixte.

Troisième remarque : les crises actuelles ont démontré les dysfonctionnements et inadaptations de nombreux des outils juridico économiques d’origine anglo-saxonne.

Dans ce contexte, il s’agit de ne pas ignorer les atouts du droit civil notamment au niveau de sa rigueur conceptuelle. Rationaliser et ordonnancer le droit, le codifier, c’est faciliter sa prévisibilité et donc améliorer la sécurité juridique. Sur ce plan, les pays de droit continental offrent une garantie appréciable.

Par ailleurs, les pays qui adoptent le droit continental ont démontré l’importance qu’ils attachent à la responsabilité environnementale, sociale et sociétale des entreprises.
En d’autres termes, le droit continental fait preuve peut être de plus « d’humanisme ».
 

D'aucuns expliquent ces mauvais résultats par la rivalité entre droit civil ou droit continental et Common Law illustrée par les rapports Doing Business de la Banque mondiale où la France est régulièrement mal classée, est-ce aussi simple que cela ?

Le classement de la France dans le rapport Doing Business de la Banque Mondiale résulte plus d’une méthode d´évaluation que de la qualité « su generi » d’un système juridique.
Tant le monde des affaires que celui du droit est conscient du fait que le rapport Doing Business est un rapport partisan. Pour le caricaturer on pourrait dire que, selon les critères de Doing Business, le meilleur pays pour faire des affaires serait celui dans lequel on ne paierait pas d’impôts, où les salariés ne bénéficieraient d’aucune protection et où les entreprises n’auraient aucune responsabilité sur le plan éthique ou environnemental.

La réalité est en fait plus complexe, le droit anglo-saxon et le droit civil sont des droits complémentaires dans les affaires en général. Il s’agit tout simplement de respecter l’espace de chacun. Lorsque ce n’est pas le cas, cela pose un problème. C’est ce que je constate dans la pratique des fusions et acquisitions,  en Amérique Latine (où j’exerce) par exemple, lorsque l’on soumet la cession d’actions d’une société argentine entre un acheteur européen et un vendeur local au droit de l’Etat de New York ou encore lorsque l’on rédigera une clause telle que celle de la « material adverse effect »dans un contrat soumis au droit brésilien ou au droit argentin bien que ce concept n’ait pas été  pas défini par le droit local. Le rapport Doing Business devrait  prendre en compte des critères permettant de démontrer la complémentarité de ces deux systèmes et de la promouvoir.

La France réagit depuis quelques années avec notamment la Fondation pour le Droit continental est-ce suffisant ?

L’économie se globalisant, il est un fait que les promoteurs du droit anglo-saxon et les outils de la Common Law ont réussi à persuader les acteurs de l’économie mondiale y inclus les gouvernements que le droit anglo-saxon constitue un véhicule indispensable à un développement économique orthodoxe

La Fondation pour le Droit Continental et l’une des institutions qui devrait permettre de démontrer si besoin était que le droit continental ou le droit civil a sa place dans le droit des affaires internationales, mais qu’il est également un système viable et fiable pour de nombreux pays qui pourraient s’en inspirer.
L’action de cette fondation s’inscrit semble il dans une démarche européenne. Il est souhaitable que la démarche aille au-delà et que d’autres institutions l’accompagnent.

Vous proposez une approche nouvelle dans les modes d’évaluation actuels des climats des affaires, vous pouvez-nous en dire quelques mots ?

Un groupe de travail animé par Claude Revel et moi-même et composé de Dominique de Courcelles et de Bruno Gouthière a rédigé un rapport au sein de la Commission Droit et Influence Internationale de la France du CNCCEF visant à faire des propositions pour évaluer le climat des affaires suite au rapport Doing Business de la Banque Mondiale.

Nous avons en effet  constaté à la lecture de  ce rapport, tout comme d’autres l’ont fait, que ce classement constituait un guide qui pouvait influencer non seulement les pays mais également les entreprises. A titre d’exemple, certains ont modifié leur législation pour prendre en compte les critères établis par la Banque Mondiale afin d’obtenir un meilleur classement ou encore,  le taux d’un crédit proposé à un emprunteur peut varier selon le classement d’un pays dont on applique la loi.

Dans ce contexte, il nous paraissait indispensable de fournir des critères d’une approche nouvelle dans les modes d’évaluation retenus par le rapport Doing Business et de proposer de nouveaux indicateurs. En d’autres termes, notre objectif est double , faire en sorte que ce guide soit moins partisan, qu’il tienne compte de valeurs indiscutables étrangement ignorées telles que l’éthique, l’environnement, la protection des salariés etc., et inviter d’autres personnes et institutions à compléter et à enrichir notre démarche.

Comment construire ces nouveaux indicateurs ?

Nous considérons que le rapport Doing Business présente un certain nombre d’imperfections, d’une part dans la méthodologie utilisée et d’autre part en ce qui concerne le nombre d’indicateurs proposés.
Ainsi, nous avons considéré indispensable d’enrichir la liste établie par la Banque Mondiale de trois nouvelles catégories de critères de mesure :la bonne administration de la justice, la gouvernance des entreprises,la responsabilité et l’éthique.

A titre d’exemple, en ce qui concerne la bonne administration de la justice, trois nouveaux indicateurs pourraient être développés : le coût des procédures judiciaires, le taux d’infirmation en appel des décisions de première instance et la qualité et intégrité des tribunaux et des fonctionnaires de justice.
Autres exemple, en ce qui concerne la responsabilité sociale, nous avons proposé plusieurs indicateurs notamment : la pprotection des employés contre l’arbitraire, la discrimination et les mauvais
Traitements, le nniveau d’affirmation des droits et libertés individuels et collectifs et consécration de garanties concrètes, notamment en matière de respect de la vie privée et de la dignité des personnels salariés (élimination des mauvais traitements, de
l’arbitraire et du harcèlement moral comme sexuel) et, d’un point de vue collectif, en matière de liberté syndicale, de droit à la négociation collective..., le niveau d’élimination des discriminations telles que définies par les instruments internationaux pertinents (ONU, OIT), la ratification des principaux accords internationaux relatifs aux conditions de travail (BIT, ONU)…

Il s’agit toutefois de noter que ces propositions et la liste des indicateurs proposés n’est pas limitative. Il serait intéressant que plusieurs institutions et notamment la Fondation pour le Droit Continental se penchent sur les indicateurs précités et sur la constitution de nouveaux indicateurs qui permettrait aux acteurs économiques et aux gouvernements d’avoir une vision objective et fiable de la sécurité juridique et de la facilité à faire des affaires qu’offrent chacun des pays du monde.

A propos

Patrick Patelin. Inscrit aux barreaux des Hauts-de-Seine (France) et de Rosario (Argentine), Patrick Patelin, avocat associé du cabinet CMS Bureau Francis Lefebvre, est responsable depuis 1996 des trois bureaux de la zone Mercosur (Buenos Aires -Argentine, São Paulo –Brésil et Montevideo -Uruguay). Parallèlement à son activité d’avocat, Patrick Patelin est Conseiller du commerce extérieur de la France et apporte notamment au bureau de la Commission Droit et Influence Internationale de la France, son expérience du continent Sud-américain.


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