Le grand absent de la communication des avocats en France : le pro-bono

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Le Pro-Bono, l’activité bénévole des avocats, est l’arme de séduction massive de nombreux cabinets américains. En faisant publiquement état du nombre d’heures gratuites consacrées par ses avocats à des missions caritatives ou d’utilité publique, un cabinet se valorise aux yeux de ses clients comme aux yeux de ses futures recrues. Le Monde du Droit a rencontré David Gordon Krief, ancien président de l’UJA de Paris, ancien président de la FNUJA, Ancien Membre du Conseil de l’Ordre et engagé à de nombreux titres dans les grandes réflexions de la profession d’avocat.

Comment expliquer ce "vide français" s’agissant de l’activité Pro Bono ?


David Gordon-Krief : Lorsque je suis arrivé à l’Ordre j’avais proposé de lancer un grand programme de Pro Bono à destination des grands cabinets auxquels je demandais de mettre à disposition des spécialistes de toutes les matières dans une sorte de structure commune pour que les personnes les moins bien armées puissent
avoir accès au meilleur du droit dans tous les domaines. Pour sensibiliser les cabinets, j’avais évidement proposé de publier le nombre d’heures, de jours/ homme donnés par les cabinets et d’établir un classement comme aux USA qui aurait été utilisé à l’EFB comme outil de communication en direction des futurs collaborateurs. Malgré un accueil enthousiaste de certains cabinets, cette impulsion ne s’est malheureusement
pas concrétisée.

Y aurait-il une confusion dans les esprits entre l’aide judiciaire et le Pro Bono ?

Je pense effectivement qu’il peut y avoir une confusion entre l’aide judiciaire et le Pro Bono alors que ce sont deux choses très différentes. L’aide judiciaire consiste à mettre à la disposition de ceux qui en remplissent les conditions des avocats dans le contexte contentieux. Cette activité est une activité rémunérée.
Le Pro Bono est une activité gratuite dont l’initiative est privée. C’est également très souvent une activité de conseil.


A l’image de ce qui se passe aux Etats-Unis, les cabinets français pourraient bénéficier de l’image très positive véhiculée par le Pro Bono.

Comme toujours, les avocats souffrent d’une absence de coordination et d’une absence de réflexion en amont. Il y a des choses qui sont faites en direction de la société : consultations gratuites, aide pour les déclarations fiscales, mais il est évident que les avocats pourraient aller plus loin. En particulier, à l’heure où les débats sur l’aide judiciaire et l’accès au droit font ressortir des critiques sur le soi- disant corporatisme acharné des avocats, le Pro Bono serait une belle manière, surtout pour les plus structurés d’entre nous, de montrer qu’ils sont concernés par la société dans laquelle ils évoluent.

Y a-t-il des freins réglementaires ou déontologiques qui empêcheraient d’imiter ce qui se fait ailleurs ?

Il n’y a aucun obstacle. Tout est une question d’organisation. Il est plus facile pour une grande structure de libérer du temps que pour un avocat exerçant à titre individuel. Par ailleurs, il y a peut être chez certains des craintes que des cabinets viennent prendre le marché de l’AJ. Il y a malheureusement trop de cabinets qui ont besoin de l’AJ pour vivre et qui seraient très mécontents de voir d’autres prendre cette fonction sociale.
Si cette perception existe, elle est fausse car comme je le disais, l’AJ est le Pro Bono sont deux choses différentes et complémentaires.

Y a-t-il un problème français à faire de son altruisme un argument marketing ?


Il y a une pudeur à mettre en avant un engagement caritatif. C’est dommage : il n’y a aucune raison que, dans sa communication, un cabinet ne fasse pas valoir qu’il intervient régulièrement et gratuitement aux côtés de telle ou telle association. Ceux qui crieraient à la surenchère auraient tort. Si ces associations sont aidées ... tant mieux.

A titre personnel, comment souhaiteriez-vous voir évoluer les comportements ?

Le Pro Bono a toute sa place à la fois dans son rôle social et dans la politique des cabinets. Le Pro Bono est un élément fédérateur. C’est un élément de communication vis-à-vis des jeunes et vis-à-vis du barreau et des pouvoirs publics. Ce serait un signe fort de la profession qui prouverait qu’elle ne pense pas qu’à elle tout le temps. Aussi, ça casserait l’image parfois négative des cabinets anglo-saxons de prendre ces initiatives et de le faire savoir. Cela étant, beaucoup de cabinets sont sûrement engagés dans des activités qu’ils décident de ne pas faire payer mais personne ne le sait donc le cycle vertueux n’est pas amorcé.


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