Refonte du droit de l’urbanisme, l'éclairage d'un avocat spécialiste : Emmanuel Vital-Durand

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Emmanuel Vital-Durand - Avocat - Gide Loyrette NouelEmmanuel Vital-Durand, Avocat Associé du Cabinet Gide Loyrette Nouel, fait partie du groupe d'experts chargé de réfléchir à la réécriture de la récente réforme des autorisations d'urbanisme et à la mise en œuvre de ces autorisations. En tant qu'expert, il a accepté de répondre aux questions du Monde du Droit.

Pouvez-vous nous expliquer la réforme tout d’abord ? Quel est l’objectif ?

La loi portant engagement national pour l'environnement ("Grenelle II") du 12 juillet 2010 ne pouvait, en dépit de sa longueur (pour mémoire, 256 articles !), réformer simultanément en profondeur le code de l'environnement, le code de la construction et de l'habitation et le code de l'urbanisme. Par ailleurs, sa discussion a été particulièrement longue (18 mois), alors même que le gouvernement avait déclaré l'urgence pour ne pas prolonger indéfiniment la navette parlementaire. Dans ce contexte, le législateur a préféré confier au pouvoir exécutif le soin de prendre par voie d'ordonnances les mesures d'application du Grenelle II dans le domaine de l'urbanisme.

En synthèse, les ordonnances à prendre dans le délai de 18 mois suivant la publication de la loi Grenelle II, soit au plus tard d'ici janvier 2012, poursuivent plusieurs objectifs : le premier est de simplifier la rédaction de la partie législative du code de l'urbanisme, notamment en restaurant la cohérence de dispositions successivement introduites au fil du temps ; le second est de prolonger et d'adapter la réforme intervenue en 2007, en corrigeant les insuffisances apparues depuis lors et en simplifiant le cadre juridique des opérations d'urbanisme.

Le constat unanime, partagé tant par l'administration que par les praticiens, est double : premièrement, le droit de l'urbanisme est devenu effrayant de complexité. Ce que la réforme de 2007 n'a pas corrigé.  Deuxièmement, la longueur des procédures et des contentieux pénalise la mise en œuvre des projets immobiliers, alors que la production de logements est insuffisante en zones tendues et que le développement urbain est un moteur essentiel de la croissance économique. L'ambition affichée par les auteurs de la réforme à venir, en particulier par le ministre du Logement, Benoît Apparu, est donc d'introduire de la souplesse dans un cadre juridique devenu trop contraignant. Les opérateurs immobiliers et leurs conseils ne peuvent qu'adhérer à cette démarche. Ils attendent donc beaucoup des textes en gestation.

Quelles en sont les principales mesures ? Que changent-t-elles ?

Pour être précis, selon l'habilitation législative, les futures ordonnances ont pour objet  de : " 1° Clarifier et simplifier les procédures d'élaboration, de modification et de révision des documents d'urbanisme ; 2° Clarifier les dispositions relatives aux établissements publics fonciers et d'aménagement et mieux distinguer le cadre juridique qui leur est applicable, en précisant leurs compétences et missions et en rénovant leur mode de gouvernance ; 3° Unifier et simplifier la définition des surfaces de plancher prises en compte dans le droit de l'urbanisme ; 4° Apporter au régime des permis de construire et des autorisations d'urbanisme, issu de l'ordonnance n° 2005-1527 du 8 décembre 2005 relative au permis de construire et aux autorisations d'urbanisme et de l'ordonnance n° 2005-1128 du 8 septembre 2005 relative aux monuments historiques et aux espaces protégés, les corrections dont la mise en œuvre de la réforme pourrait faire apparaître la nécessité".

Certaines de ces mesures sont déjà intervenues : réforme des établissements publics fonciers (ordonnance du 8 septembre 2011) ou sont déjà connues (redéfinition de la surface construite). Les autres sont impatiemment attendues, notamment celles portant sur l'adaptation du cadre juridique des opérations d'urbanisme et celles tendant à lutter contre les recours abusifs et à accélérer le traitement des recours contentieux.

Quelle est la mission de votre comité ? Qui en sont les membres ? Pourquoi pensez-vous avoir été choisi ?

A l'issue de la publication de la loi Grenelle II, le gouvernement a voulu une large concertation entre les acteurs de l'urbanisme : opérateurs immobiliers, élus locaux, urbanistes, architectes, géomètres, associations représentatives, avocats spécialisés, … Le ministre du Logement a donc constitué quatre groupes de travail thématiques ouverts à ces intervenants : stratégies foncières (comment favoriser l'offre foncière ?), fiscalité et financement de l'urbanisme, planification urbaine (simplification et harmonisation des procédures d'élaboration, de modification et de révision des documents d'urbanisme), urbanisme de projet (simplification du régime des autorisations d'urbanisme, relance des opérations d'aménagement). C'est dans ce dernier groupe de travail, présidé par les architectes Yves Lion et Laurent Théry, que j'ai été nommé à l'automne 2010.

Ce groupe s'est réuni chaque mois pendant une demi-journée de septembre à mai, sur un ordre du jour préparé par les services de la Direction générale de l'aménagement, du logement et de la nature (DGALN). De l'échange entre professionnels sont sorties de nombreuse propositions, dont la synthèse a été débattue en mai 2011 lors d'un séminaire conjoint aux quatre groupes de travail, en présence du ministre et des principaux responsables de la DGALN.

Ma pratique du droit de l'aménagement et de l'urbanisme depuis une douzaine d'années au sein du cabinet Gide Loyrette Nouel, au soutien de nombreuses opérations sur l'ensemble du territoire national, dans la phase du montage opérationnel et en contentieux, a sans doute justifié ma désignation comme "expert". Et ce d'autant plus que je tente de m'impliquer dans la "fabrique" de ce droit, dans le cadre d'associations, telles que le GRIDAUH, ou en répondant aux sollicitations de commissions parlementaires et de fédérations professionnelles réfléchissant à l'évolution du droit positif. Dans le cadre du groupe de travail "urbanisme de projet", je me suis efforcé de porter le point de vue d'un avocat témoin de l'empilement de réglementations, de la succession de procédures et de l'évolution d'un contentieux qui n'est pas toujours animé par la seule volonté de faire prévaloir le respect de la norme…

J'ai donc plaidé pour la mise en cohérence de législations "indépendantes" et l'institution de nouvelles règles procédurales contentieuses, telles que l'instauration d'un calendrier de l'instance dès l'introduction de la requête ou l'instauration d'un référé sur demande du défendeur.

Il ne s'agit pas de brimer le droit au recours, mais de mieux encadrer son exercice dans le temps, afin que l'urbanisme de projet ne reste pas … qu'à l'état de projet.