Comment gérer la sécurité de ses collaborateurs à l'étranger ?

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Sarah Mustapha - Avocate - Bignon LebrayLe 8 septembre 2011 avait lieu une rencontre autour du thème "Comment gérer la sécurité de vos collaborateurs à l'étranger". A cette occasion, Le Monde du Droit a rencontré Sarah Mustapha, avocat en droit social qui intervenait sur le sujet.

Quels sont les différents outils juridiques pour l'envoi de salariés à l'étranger ?

Lorsqu'une société envoie un salarié en mission à l'étranger, le mécanisme du détachement ou de l'expatriation est souvent utilisé. La durée de la mission dictera l'emploi de l'un ou l'autre de ces termes, le détachement correspondant à une mission de courte durée et l'expatriation à une mission de longue durée.

En réalité, ces deux notions n'ont de signification claire qu'au regard du droit de la sécurité sociale.

Est considéré comme étant en situation de détachement le salarié d'un employeur ayant son siège social en France, le salarié envoyé en mission à l'étranger pour une durée n'excédant pas la durée maximum de détachement autorisé, ou le salarié continuant à être payé directement par l'employeur qui le détache, celui-ci s'engageant à verser au régime français de sécurité sociale l'intégralité des cotisations afférentes au salaire.

Le salarié détaché est automatiquement soumis au régime d'assurance sociale française.

En revanche, le salarié expatrié ne bénéficie pas du régime d'assurance sociale française, sauf affiliation volontaire.

Est considéré comme étant en situation d'expatriation le salarié ne remplissant pas les conditions prévues pour le détachement, le salarié dont l'employeur n'a pas choisi le détachement alors même que les conditions étaient réunies, ou encore le salarié ayant d'abord été détaché mais dont la mission à l'étranger a dépassé la durée permettant le maintien au régime du détachement.

Quel est le cadre juridique de l'obligation de sécurité de résultat de l'employeur ?

Rappelons que l'article L.4121-1 du code du travail prévoit que :"l'employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs (...)".

Depuis le début des années 2000, on observe une tendance au renforcement de la responsabilité du dirigeant d'entreprise par la reconnaissance de l'obligation générale de sécurité et de résultat vis-à-vis des salariés (principe consacré dans les dossiers de l'amiante). Cette évolution a été confirmée par une décision de justice de 2004 ("jurisprudence Karachi") imposant aux employeurs une obligation générale de sécurité de résultat en cas d'envoi detravailleurs à l'étranger.

L'employeur est donc tenu d'anticiper les risques auxquels elle expose ses salariés particulièrement lorsqu'il envoie ses travailleurs dans des pays dits à risque (au regard des risques d'attentats, d'épidémies, catastrophes naturelles, troubles politiques...).

Le manquement à cette obligation a le caractère d'une faute inexcusable lorsque l'employeur aurait dû avoir conscience du danger auquel était exposé le salarié et n'a pas pris les mesures nécessaires pour l'en prévenir.

Quelles précautions l'employeur doit-il prendre ?

Face au risque de mise en cause de sa responsabilité pour manquement à son obligation de sécurité, l'employeur doit non seulement assurer la sécurité de ses salariés mais aussi être à même de prouver l'efficacité des dispositifs mis en oeuvre.

D'abord, l'employeur est tenu à une obligation d'information vis-à-vis des salariés (sur le pays de destination : risques encourus, lois et coutumes du pays concerné, situation sanitaire/politique...) qu'il envoie dans des pays à risque. Toutefois, la protection des salariés doit être concrète : une simple information sur les risques encourus ne suffit pas.

En plus du devoir d'information, l'employeur doit prendre toutes les mesures nécessaires pour assurer l'effectivité de la protection de ses salariés. Parmi ces mesures, on peut imaginer les suivantes :

- adoption de mesure témoignant de la sensibilisation de l'entreprise aux risques (ex : audit juridique des risques)

- gestion des risques en concertation avec le personnel concerné et le CHSCT

- mise en place d'une organisation et de moyens adaptés pour assurer la sécurité et protéger la santé des salariés (ex : intervention de sociétés privées de sécurité, accueil à l'aéroport, validation des hôtels, consignes de sécurité, système de géolocation, assistance et rapatriement...).

Quelles sont les sanctions ?

Au-délà de la reconnaissance d'une faute inexcusable sur le plan civil (ce qui peut représenter un coût important pour l'entreprise d'où l'intérêt pour cette dernière de s'assurer contre ce risque), la sécurité du salarié est susceptible d'être pénalement sanctionnée.

Ainsi, en cas de décès ou de blessure d'un salarié, la responsabilité pénale de la société et/ou de ses dirigeants pourra être recherchée par le juge français sur le terrain de l'homicide ou des blessures involontaires. Il semble réaliste de considérer que le défaut de sécurité, qui a été reconnu comme constitutif d'une faute inexcusable par la juridiction civile, puisse également être considéré comme fautif par le juge pénal.

Quoiqu'il en soit, les conséquences en terme d'image et financier sont suffisamment importantes pour que l'employeur mette en place des outils de gestion efficaces de ce risque et réfléchisse sur les voie d'exonérations possibles (ex : délégation de pouvoirs). Enfin, certaines conventions collectives prévoient des "guidelines" en cas d'envoi de salariés à l'étranger et il convient de s'y référer (c'est le cas notamment de la convention collective des ingénieurs et cadres de la métallurgie, SYNTEC, cadres du bâtiment).