La société européenne est-elle utile ?

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Forme sociale peu connue et surtout peu utilisée, la Société Européenne reste un mystère pour de nombreux praticiens. Catherine Cathiard, Avocat Counsel au sein du Cabinet Lefèvre Pelletier et Associés était membre du groupe de travail qui a mis en oeuvre les dispositions d’intégration en droit interne de la Société Européenne.
Elle répond à nos questions et nous éclaire sur l’utilité de la Société Européenne.

Seulement sept sociétés européennes (SE) ont été immatriculées en France depuis 2006. Pourquoi si peu ?

Catherine Cathiard : Le fait que seulement 7 SE aient été immatriculées à ce jour en France ne peut s’analyser comme un désintérêt des groupes français pour la SE. La plupart des groupes ont aujourd’hui intégré la SE dans leurs réflexions. Il faut rappeler que le dernier décret d’application concernant la SE n’a été publié qu’en 2006.

Il est vrai que pour certains, le « volet social » de la SE, tel que prévu aux termes de la Directive 2001/86/CE, incluant des négociations avec les salariés des sociétés du périmètre de la future SE qui peuvent s’étendre pendant une durée de six mois renouvelable une fois, peut paraître un obstacle a priori difficilement surmontable. Toutefois, l’exemple de la SE constituée par le groupe Allianz en Allemagne ou celui des 3 SE constituées par le groupe SCOR en 2007 en France démontre que des négociations avec les salariés amorcées dès en amont du processus de création de la SE permettent d’aboutir à l’immatriculation de la SE en moins d’un an, voire moins de six mois.

Certains détracteurs de la SE font valoir que les nombreux renvois opérés par le Règlement communautaire au droit national des sociétés anonymes font de la SE une forme sociale assise non pas sur un droit unique mais sur autant de droits qu’il existe d’Etats membres, ce qui la rend complexe et peu intéressante. Je pense, au contraire, qu’en fonction des besoins d’un groupe, il existera une flexibilité permettant de choisir l’Etat d’immatriculation de la SE dans une optique d’optimisation. Dans l’attente de l’achèvement des travaux d’harmonisation des règles juridiques et fiscales applicables aux sociétés au sein de l’Europe, la SE est aujourd’hui une forme sociale qui ouvre des opportunités intéressantes à ceux qui savent optimiser ces disparités.

Le projet de loi de transposition de la Directive " fusions transfrontalières " a récemment été publié en France. Quel sera l’impact de cette transposition sur la SE ?

C.C : Il s’agit de deux régimes différents et totalement autonomes. Si la fusion transfrontalière est l’un des 4 modes de création d’une SE, le statut de la SE a des objectifs bien plus vastes et présente un intérêt propre en l’absence de toute restructuration d’un groupe par voie de fusion transfrontalière. Et une fois la SE immatriculée, elle pourra toujours effectuer des fusions transfrontalières sur la base de la directive fusions transfrontalières au même titre que toute autre société anonyme.

En dehors de la possibilité de réaliser des fusions transfrontalières, quels sont les principaux atouts de la SE qui ont motivé les groupes à opter pour ce statut ?

C.C : Le recours au statut de la SE permet de se prévaloir du label SE et de présenter l’image moderne d’un groupe ancré au sein de l’Union en assurant une meilleure visibilité au niveau international. Si cet atout peut paraître dérisoire au premier abord, il a été déterminant en terme de marketing commercial pour un grand nombre de groupes qui ont adopté le statut SE au sein de l’Union.

La SE présente également l’avantage d’être une forme sociale qui relève prioritairement du droit communautaire directement applicable à tous les Etats membres et à ce titre de dispositions communes qui trouveront application quel que soit l’Etat membre d’immatriculation de la SE. C’est donc une forme sociale qui inspire confiance dans les rapprochements de grands groupes (par exemple lors de l’offre publique d’achat lancée par Suez sur Electrabel). Récemment, l’on a pu constater que des groupes non européens, qui n’ont pas aujourd’hui un accès direct à la constitution d’une SE, procèdent à des rapprochements avec des groupes européens et s’orientent vers le statut de SE. Tel est le cas de NARADA Europe SE qui a été immatriculée en 2006 en Norvège et qui est le fruit du rapprochement entre le groupe chinois NARADA et le groupe norvégien ELTEK. Un des atouts majeurs de la SE réside également dans la possibilité de pouvoir transférer son siège social d’un Etat membre à un autre sans perdre la personnalité morale et sans que cette décision nécessite une décision unanime des actionnaires.

En quoi la France, dont on connaît les contraintes de la législation en matière fiscale et sociale notamment, peut-elle s’avérer une localisation intéressante pour les SE ?

C.C : Vous évoquez la rigidité du droit français, peu attractif. Toutefois, si l’on se tourne vers l’Union européenne, l’on constate qu’à ce jour, sur la centaine de SE immatriculées, la plupart le sont en Allemagne, en Autriche, aux Pays-Bas, en France et en Belgique. Il n’existe pas de corrélation flagrante entre la souplesse de la législation d’un Etat membre et le nombre de SE constituées dans ce même Etat membre. Les Etats tels que l’Allemagne et l’Autriche où sont situées majoritairement les SE, disposent d’une législation très complète concernant la SE, laissant peu de place aux difficultés d’interprétation, ce qui semble être un élément rassurant.
En France, si un certain nombre d’interrogations pouvaient subsister lors de la publication des textes d’intégration des dispositions communautaires sur la SE dans notre droit interne, les réponses qui ont été apportées, notamment par le biais de questions ministérielles, ont permis d’éclaircir la situation et de sécuriser les montages juridiques impliquant la création d’une SE. Les sociétés cotées peuvent, par exemple, se tourner utilement vers l’AMF en amont du processus de création d’une SE pour sécuriser de façon informelle leur projet. En un mot, la France est aujourd’hui prête à accueillir les SE.

A votre avis, quel est l’avenir de la SE ?

C.C : Plus d’une centaine de SE sont aujourd’hui immatriculées au sein de l’Union. Nous avons vu que les atouts de la SE sont significatifs. Certes, le statut actuel de la SE présente quelques rigidités. Il pourrait cependant être prochainement assoupli puisqu’il est d’ores et déjà prévu que la Commission européenne présente au Conseil et au Parlement un rapport sur l’application du Règlement 2157/2001/CE assorti de propositions de modifications. La France oeuvre à ce processus au travers notamment du rapport établi par Madame Noëlle Lenoir à la demande du garde des Sceaux dont les conclusions seront portées devant les autorités communautaires. La présidence française de l’Union au second semestre 2008 est elle-même porteuse d’une volonté de réformes qui pourront profiter à la SE. Des propositions de modifications visant la possibilité de dissocier le siège statuaire de la SE de son administration centrale ou la mise en place d’une base commune consolidée pour l’impôt sur les sociétés sont ainsi avancées.

Par ailleurs, le statut de la société privée européenne (SPE) verra bientôt le jour et ouvrira le statut de la SE aux PME. La SE - comme demain la SPE - paraît être la forme sociale quasiment incontournable pour les groupes implantés en Europe.

Madame Lenoir nomme la SE la " boîte à outils ". N’hésitons plus à ouvrir la boîte et à utiliser ces outils.


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