Gestion de crise Covid-19 au sein du Barreau des Hauts-de-Seine : entre réactivité et agilité locales

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Comment défendre les intérêts de 2 400 avocats et assurer la bonne marche du service public de la Justice lorsqu’un événement imprévisible et inédit comme le Covid-19 déferle et bloque tout un système qui repose sur des structures que l’on croyait fiables et inébranlables ? Action, réaction, initiatives et solidarités locales sont les maîtres-mots du Barreau des Hauts-de-Seine, comme nous l’expose son bâtonnier Me Vincent Maurel.

« Il est impossible de faire face seul aux très nombreuses difficultés causées par cette terrible crise sanitaire, qui arrivent de tous côtés. Un énorme travail d’équipe est nécessaire et j’ai la chance d’avoir un Conseil de l’Ordre formidable qui s’est immédiatement mobilisé pour venir en aide aux confrères, auquel s’est adjoint un petit groupe d’avocats volontaires, tous particulièrement motivés », déclare le Bâtonnier des Hauts-de-Seine, Me Vincent Maurel pour décrire l’organisation qui s’est mise en place au lendemain de la mise en confinement lié à l’épidémie de Covid-19. « Il fallait aller vite, informer et soutenir les confrères, rationaliser les informations qui, les premières semaines, partaient dans tous les sens sur les réseaux et étaient même parfois contradictoires. Que ce soient les membres du personnel (à la communication en particulier) ou ceux du Conseil de l’Ordre, tous ont œuvré à cet effet. Nous avons enchaîné les réunions téléphoniques et les visioconférences, bien au-delà du rythme régulier des réunions du Conseil de l’Ordre. Il était impératif que tout soit en place dans les 10 premiers jours qui ont suivi le début de la crise », poursuit le Bâtonnier.

« En outre, je crois en la réactivité et en l’agilité des collectivités locales et des entreprises, bien plus qu’en celle de l’Etat », confie-t-il. « Ainsi, au bout de trois semaines, nous avons obtenu 1 000 masques grâce à l’intervention du Conseil régional, de sa Présidente et de sa Vice-présidente (avocate au Barreau de l’Essonne), qui ont permis de doter les quelques avocats qui assurent aujourd’hui les permanences dites “ d’urgence”. De même, du gel hydro-alcoolique nous a été fourni par le groupe LVMH, que je remercie également ».

Plus spécifiquement, deux équipes ont été constituées au sein du Conseil de l’Ordre : l’une en charge des questions liées au fonctionnement des juridictions (et pas uniquement celles des Hauts-de-Seine) et l’autre responsable des problématiques relatives aux mesures économiques et aux aides financières. Puis, il a été procédé à la répartition des thématiques entre les membres de chacune d’entre elles. Des réunions régulières ont été organisées par équipe ainsi qu’entre les coordinateurs de chacune des deux équipes, afin de s’assurer de l’harmonisation des réponses et de l’absence de « trou dans la raquette ».

« L’information a été obtenue d’abord localement. Malgré les grèves, nous avons conservé de bonnes relations avec les chefs de juridiction. De ce fait, avec le Tribunal judiciaire, le Tribunal de commerce et le Conseil des prud’hommes, nous avons pu disposer très rapidement d’informations fiables qui ont été transmises aux confrères sous forme de circulaires et de bulletins sur le site matoque92.com et via les réseaux sociaux », développe le Bâtonnier. Et les résultats sont là : 15 circulaires et 21 points d’actualité à ce jour ; une page Covid-19 et une FAQ régulièrement mises à jour ; une réunion d’information en visioconférence qui a attiré plus de 200 avocats pour répondre à leurs interrogations sur le fonctionnement des tribunaux (renvoi d’audiences, etc.) et les mesures d’aide ; des permanences téléphoniques d’accès au droit pour les particuliers via les mairies et à destination des victimes de violences intrafamiliales ; des actions à destination des entreprises en partenariat avec la CCI et la CMA 92…

Coté aides financières, le Barreau a été très réactif : « notre première décision a été d’abonder immédiatement le fonds Blavier (NDLR : nom du 1er bâtonnier du Barreau). Ce fonds permet d’accorder des prêts d’honneur (prêt à taux zéro avec une date de remboursement assez lointaine pour laisser le temps à l’avocat emprunteur de se refaire une santé financière). Il a une double fonction : aider les confrères, quelle que soit leur structure d’exercice, à passer les échéances de fin et début de mois et maintenir les contrats de collaboration. Cette aide a pu être proposée dès le 19 mars et, début avril, 24 prêts d’honneur ont été accordés pour un montant global d’environ 50 000 euros. Leurs montants varient entre 1 500 à 5 000 euros selon les besoins », précise Me Maurel. Les atouts de ce dispositif ? La rapidité avec laquelle les sommes prêtées peuvent être mises à disposition. Il est en outre cumulable avec les mesures prises par le gouvernement au niveau national : l’avocat qui en a besoin, peut disposer des sommes nécessaires pour faire face à un besoin immédiat, nonobstant les aides qu’il a pu demander par ailleurs, dont l’obtention est incertaine ou soumise à des délais.

A cela s’ajoute une aide confraternelle : une dotation qui n’a pas pour vocation d’être remboursée, destinée à ceux qu’un simple prêt ne suffirait pas à aider. « Cette aide sociale, financée par la CARPA, a pris plus de temps à être mise en place pour des questions de validation juridique. Ce fonds est géré par la Commission protection-prévoyance-solidarité du Barreau et a été lancé la semaine dernière ; nous commençons à recevoir les premières demandes d’aide. Elles devraient se multiplier vers la mi-juin car si jusqu’à présent la plupart des confrères disposaient de trésorerie, le déconfinement du 11 mai n’annonce pas, malheureusement, la reprise immédiate de l’activité. Généralement les avocats n’osent pas solliciter une aide. Pourtant, ce n’est pas déchoir que de demander quand on est dans la difficulté et le Barreau est là pour soutenir les avocats, avec bienveillance et dans la plus stricte confidentialité », rappelle le Bâtonnier.

La reprise… parlons-en justement. Elle s’organise dans les juridictions de Nanterre sans attendre les annonces ministérielles. Pour Me Maurel, le confinement aura révélé deux « problèmes », qui mériteront une véritable réflexion à l’issue de la crise. «D’abord, l’incapacité de la Chancellerie à coordonner les juridictions, son manque de réactivité et son appréciation de la place de l’avocat dans le monde judiciaire, puisque, bien qu’auxiliaire de justice (ce que le Conseil d’Etat a dû rappeler !), celui-ci a été exclu du déploiement de masques dont a bénéficié magistrats et greffiers. Ensuite, l’incapacité du système RVPA de répondre à la crise. Magistrats et greffiers ne peuvent travailler à distance. C’est aberrant. Cela étant souligné, les juridictions ne pourront fonctionner normalement dès le 1er mai : les magistrats et greffiers, parents de jeunes enfants pour beaucoup, dépendent du plan de déconfinement qui n’est pas clairement fixé en ce qui concerne la reprise des écoles. En outre, certains sont considérés comme des personnes fragiles et, tout naturellement, les juridictions préfèrent ne pas les voir venir au tribunal. Conclusion : le Tribunal judiciaire devrait fonctionner avec un effectif de l’ordre de 50 %. Le retour à la normale ne devrait pas intervenir avant septembre ».

Pour pallier cette reprise en demi-teinte, à nouveau l’initiative locale prend le pas. « Pour aider le Tribunal judiciaire à redémarrer au plus vite, il a été convenu avec sa présidente que l’Ordre allait mettre à disposition un local pour réceptionner les dépôts de dossiers des avocats et les orienter vers les bonnes chambres. Cela permet d’alléger le travail des greffiers, en sous-effectifs, qui peuvent ainsi se consacrer à d’autres tâches. Les locaux seront désinfectés et les mesures pour garantir la distanciation prises pour que, dès lundi 4 mai, la réception des dossiers de plaidoirie soit possible. C’est à l’ancienne mais il y a un moment où il faut être pragmatique. On tiendra le temps qu’il faudra, jusqu’à la date d’activation, encore inconnue, de la plateforme PLEX, qui permettra des dépôts dématérialisés », explique le Bâtonnier.

Parallèlement, le recours aux MARD est fortement encouragé et une plateforme « Urgence Médiation Barreau 92» a été mise en place dès mi-avril pour remédier à la fermeture des tribunaux (Le Monde du Droit, 23 avril 2020).

Et demain ? Si, malgré toutes ces mesures, certains avocats risquent de quitter la profession, faut-il pour autant revoir le modèle économique des cabinets ? « Il ne faut pas forcément raisonner par rapport au modèle économique proprement dit mais plus par rapport à l’organisation des structures d’exercice. De surcroît, il faut distinguer les deux facettes du métier : le conseil et le contentieux. Selon les domaines d’intervention, certains cabinets arrivent plus ou moins à maintenir un minimum d’activité de conseil. Il apparaît finalement que ceux qui travaillent seuls, qui n’ont qu’une activité judiciaire ou exercent principalement dans le cadre de l’aide juridictionnelle sont les plus exposés à la crise, même si c’est très dur pour tous. », estime Me Maurel.

Concernant le Barreau, et malgré la crise, le Bâtonnier entend mener à terme ses projets d’ici la fin de son mandat dans 8 mois pour maintenir la dynamique : « Nous avons pour ambition de poursuivre nos démarches d’ouverture du Barreau à l’international. Un colloque est prévu en septembre avec l’UIA, un autre avec l’association des Juristes Franco-Britanniques, si la situation sanitaire le permet. De même, nous allons continuer notre action, menée en partenariat avec la CCI et la CMA du département, pour venir en aide aux entreprises. Depuis deux ou trois semaines, plus de 60 avocats volontaires, assistés d’une quinzaine d’élèves avocats, apportent leur soutien aux entreprises rencontrant des difficultés (rédaction de lettres types et de fiches, de premières réponses juridiques, etc…). Cette action de solidarité permet de nouer des liens solides avec ces deux acteurs essentiels du tissu économique local et permettra, espérons-le, de faciliter le développement par les avocats de leur activité en droit des affaires quand sonnera l’heure d’une reprise économique “ normale ”. Autre projet : la création d’une semaine d’accès au droit, à l’image de celle menée à Paris avec “Avocat dans la cité ” ». Cette rencontre devrait avoir lieu fin septembre, début octobre sur le parvis de la Défense, toujours sous réserve des conditions sanitaires. Ce projet, intitulé “ Les avocats prennent La Défense ”, serait réalisé, le bâtonnier l’espère, avec le concours de nombreux partenaires. « Tout va dépendre de l’évolution de la crise et de sa durée ».

S’il faut saluer toutes ces initiatives locales, Me Maurel tient à préciser qu’elles sont aussi le fruit de la communication qui existe entre les bâtonniers : « Nous discutons énormément, via différents groupes WhatsApp ainsi que par visioconférence. Ensemble, nous échangeons sur les mesures mises en place dans nos barreaux respectifs. Nous adoptons celles qui nous semblent être les plus intéressantes et efficaces, tout en tenant compte de nos spécificités. Je l’ai dit, je le répète, le Barreau est là pour aider les avocats ! »

Pour l’heure, on soulignera que les bâtonniers des années 2019-2020 n’auront pas eu un mandat de tout repos : la réforme de la justice, la CNDA et la visioconférence, la réforme des retraites et maintenant le Covid-19. « Je ne l’imaginais pas comme cela ! », s’en amuse Me Maurel. « C’est toutefois un mandat extraordinaire, une expérience incroyable dans une vie d’avocat. Ce fut dur, c’est dur, mais en défendant nos confrères d’abord face à des réformes dont nous avons la conviction qu’elles sont mauvaises, puis à présent dans le cadre de la crise inédite que nous traversons, nous occupons pleinement notre fonction. Cela crée des liens forts avec nos confrères… et entre bâtonniers. » Malgré tout, ce dernier ne sera pas mécontent de transmettre le bâton et de retrouver ses dossiers : « J’aurai vraiment plaisir à me replonger dedans ! ».

Marie Beau