IPEC : Protection d’un rameur par le droit d’auteur

Décryptages
Outils
TAILLE DU TEXTE

Le Tribunal britannique de la Propriété Intellectuelle (‘IPEC’) s’est prononcé sur la protection d’un rameur par le droit d’auteur. « Spoiler alert », le rameur ne peut prétendre à cette protection ; il existe un conflit entre le droit de l’Union européenne assimilé et le droit national à cet égart. Explications par Sarah Husslein, Avocate au sein du cabinet Bristows LLP (Londres / Bruxelles).

Dans un arrêt du 11 novembre 2024 (WaterRower v Liking 2024 EWHC 2806 [IPEC]), l’IPEC s’est prononcé sur les conditions requises pour assurer la protection, par le droit d’auteur, des objets dont la forme est fonctionnelle et produite à grande échelle (« œuvres d’art appliqué »). 

Ce jugement était attendu outre-Manche afin de clarifier la position britannique par rapport aux décisions européennes en la matière.

Bref rappel des règles en vigueur 

Traditionnellement, les formes fonctionnelles sont protégées par le droit des modèles non enregistrés, et non par le droit d’auteur. Par conséquent, si la conception de l’objet est limitée à sa fonction, le droit d’auteur ne s’applique pas et l’auteur devra s’appuyer sur le droit des modèles non enregistrés si éligible.

L’article 1(1)(a), de la loi britannique de 1988 sur le droit d’auteur, les dessins et modèles et les brevets (Copyright Designs Patents Act 1988, «CDPA») dispose qu’un droit d’auteur subsiste dans les œuvres artistiques originales. L’article 4 de ce même texte contient une liste restrictive des œuvres éligibles au droit d’auteur. L’article 4(1)(c) CDPA définit une œuvre artistique notamment comme une œuvre d'artisanat artistique. Cependant, qu’en est-il alors des « œuvres d’art appliqué » ? Cet article exclu ce qui n’est pas une œuvre artistique.

La liste fermée des œuvres éligibles au droit d’auteur de l’article 4 CDPA au Royaume-Uni semble incompatible avec les décisions récentes rendues dans ce domaine, au niveau de l’Union européenne, notamment pour des vêtements (Cofemel) et des vélos (Brompton). Dans ces arrêts, la Cour de Justice de l’Union européenne a confirmé que le droit d’auteur existe pour un objet même dans le cas où la réalisation de celui-ci a été dictée par des considérations techniques, à condition que cela n’ait pas empêché l’auteur de refléter sa personnalité dans cet objet, en tant qu’expression de choix libres et créatifs.

Les spécialistes de la propriété intellectuelle et le monde du design au Royaume-Uni attendaient donc avec impatience de voir comment les tribunaux britanniques appliqueraient les affaires Cofemel et Brompton, particulièrement dans le contexte post-Brexit.

Le rameur ne peut prétendre à la protection par le droit d’auteur britannique

En l’espèce, la société WaterRower (UK) Limited alléguait que son rameur (dont une image est reproduite ci-dessous) (le « WaterRower ») était protégeable par le droit d’auteur, soit parce qu’il s’agissait d’une œuvre artistique au sens de l’article 4(1)(c) CDPA et/ou parce qu’il était protégé par le droit d’auteur en vertu des principes du droit de l’United Européenne.

rameur

La question à laquelle le Tribunal devait répondre, était de savoir si le WaterRower était une œuvre d'artisanat artistique (et, ce faisant, si ce rameur pouvait être protégé par le droit d'auteur de la même manière qu'une œuvre d'art) ou s’il s’agissait d’une machine simplement fonctionnelle qui ne pouvait pas prétendre à cette protection.

À cet égard, la demanderesse soutenait que le rameur était conçu comme un meuble raffiné, fabriqué en grande partie à la main et offrait ainsi une « connexion émotionnelle » à son utilisateur. En outre, le design du WaterRower a été mis en avant dans des publications telles que celles du Museum of Modern Art (MoMA), d’Architectural Digest et de GQ. Ces éléments auraient pu convaincre le juge de l’aspect artistique du rameur.

Le juge a alors appliqué le test britannique pour répondre à la question qui lui était posée. Il a reconnu que le WaterRower était esthétiquement agréable et conçu avec une grande qualité. Pour autant, le savoir-faire de sa création n’était pas de nature artistique. Les éléments de preuve ne démontraient pas que la conception du WaterRower résultait d’un désir de produire quelque chose de beau ayant « une justification artistique en soi ».

Dès lors, le juge a estimé que le WaterRower n’était pas une œuvre d'artisanat artistique et ne remplissait donc pas les critères de protection du droit d’auteur selon le droit britannique. 

Cette décision confirme qu’il existe un conflit entre le droit de l’Union européenne assimilé et le CDPA.

En effet, si le test européen était appliqué, le rameur pourrait bénéficier de la protection par le droit d’auteur. Sa forme n’était pas dictée uniquement par sa fonction et certains éléments visuels constituaient une expression claire des choix créatifs de l’auteur.

Le juge anglais a estimé que les décisions de la CJUE dans les affaires Cofemel et Brompton, qui excluent la prise en compte du mérite artistique, ne peuvent être conciliées avec l’article 4(1)(c) CDPA, qui exige un savoir-faire artistique et plus qu’un attrait visuel. Le test britannique, plus restrictif, a donc prévalu.

Commentaires

Il s’agit d’une décision de première instance, susceptible d’appel, si WaterRower (UK) Limited en obtient l’autorisation. Elle reste très relative aux faits de l’espèce : un rameur n’est peut-être pas le meilleur exemple pour essayer de changer la pratique britannique. Il n’est en aucun cas indiqué dans cette décision que les œuvres d’art appliquées ne bénéficieront pas de la protection du droit d’auteur. Une décision de Cour d’appel pourrait également revoir le test de l’Union européenne, tel que décrit dans Cofemel et Brompton, et redessiner la frontière entre le droit d’auteur et le droit des modèles non enregistrés au Royaume-Uni.

Une affaire à suivre donc, « watch this space » !

Sarah Husslein, Avocate au sein du cabinet Bristows LLP (Londres / Bruxelles)