Contrôle des concentrations : pas de recours contre le test de marché décidé par l’Autorité de la concurrence

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Dan Roskis, avocat associé, et Antoine Rauwel, avocat collaborateur au sein du cabinet Eversheds Sutherland (France) LLP, reviennent sur l’ordonnance du Conseil d’Etat ayant rejeté la demande des sociétés Free et Iliad de suspendre la décision de procéder au test de marché au stade de la pré-notification du projet de fusion TF1/M6.

Par ordonnance du 12 novembre 2021 (l’« Ordonnance »), le Conseil d’Etat a considéré que les tiers à une opération de concentration, pré-notifiée à l’Autorité de la concurrence (l’« Autorité »), qui ont reçu un questionnaire dans le cadre d’un test de marché ne sont pas recevables à demander la suspension de l’instruction du dossier. 

En l’espèce, le groupe Bouygues avait pré-notifié le projet d’acquisition du groupe télévisuel Métropole Télévision (M6) à l’Autorité, ce qui a provoqué l’ouverture de l’instruction de ce dossier par cette dernière. 

La phase de pré-notification est une étape préalable à la notification formelle d’une opération de concentration en vue de son autorisation par l’Autorité au regard du droit de la concurrence. Cette première étape permet aux entreprises d’échanger de manière informelle avec le service de l’Autorité afin de s’assurer que le dossier est complet, d’approfondir certaines analyses ou confirmer que le projet relève du contrôle de l’Autorité (Lignes Directrices de l’Autorité relative au contrôle des concentrations, §191, 192 et 197). En effet, seules les opérations dépassant notamment certains seuils de chiffre d’affaires sont soumises à l’examen de l’Autorité pour autant qu’elles ne relèvent pas de la compétence de la Commission européenne. Au terme de son examen, l’Autorité peut interdire ou autoriser l'opération de concentration en subordonnant le cas échéant son cette autorisation à la réalisation effective d’engagements pris par les parties.

Dans le cadre de la pré-notification du projet d’acquisition du groupe télévisuel Métropole Télévision (M6), l’Autorité a adressé courant septembre 2021 un questionnaire aux opérateurs actifs sur le marché de la distribution des services de télévision afin de tester le marché.

Les sociétés Iliad et Free ont considéré que l’envoi de ce questionnaire établissait l’engagement de l’examen du projet de concentration par l’Autorité et ont simultanément formé un recours pour excès de pouvoir. Plus précisément, les deux opérateurs ont formé une requête en référé-suspension sur le fondement de l’article L. 521-1 du code de la justice administrative. L’objectif était de suspendre la décision de l’Autorité d'engager l'instruction de l'opération de concentration en cause.

Les deux opérateurs considéraient que la décision d’ouvrir la phase d’instruction et de procéder au test de marché au stade de la pré notification marquait en réalité le commencement de la procédure d’examen et d’autorisation de l’opération. Cependant, l’Autorité n’avait pas été officiellement saisie du dossier de concentration, puisque l'opération ne lui avait pas été formellement notifiée en vertu des articles L. 430-3 et R. 430-2 du code de commerce. 

Les requérants mettaient en avant un vice de procédure exposant le marché de façon durable à une situation d'incertitude et à une baisse de l'intensité de la concurrence, risquant d'altérer durablement et significativement la concurrence sur les marchés concernés par l’opération. 

Le Conseil d’Etat a rejeté la demande de suspension des deux opérateurs comme étant irrecevable. Le Conseil d’Etat a en effet considéré que les mesures adoptées au titre de la phase de pré-notification ont un caractère préparatoire, ne faisant pas grief au sens du droit administratif. Selon l’Ordonnance, ces mesures ne pouvaient donc pas faire l’objet d’un recours pour excès de pouvoir et, par là même, d’une demande de suspension sur le fondement de l’article L 521-1 du Code de justice administrative.

En matière de contrôle des concentrations, les décisions de l'Autorité de la concurrence interdisant l’opération ou, à l’inverse, l’autorisant, avec ou sans mesures correctrices, peuvent faire l'objet d'un recours en annulation ou d’un référé-suspension devant le Conseil d'État statuant en premier et dernier ressort. Le Conseil d’Etat est également compétent pour juger des recours portant sur les éventuelles sanctions prononcées par l’Autorité en cas d’inexécution, par les parties, des injonctions, prescriptions ou engagements dont est assortie l’autorisation comme dans le cadre de l’affaire Canal Plus – Vivendi (Conseil d’Etat, 21 décembre 2012, n° 362347).

Dan Roskis, avocat associé, et Antoine Rauwel, avocat collaborateur au sein du cabinet Eversheds Sutherland (France) LLP