La Société à Mission : mirage ou réalité ?

Décryptages
Outils
TAILLE DU TEXTE

Le concept de « société à mission » est né aux Etats-Unis en 2010 lorsque des entreprises américaines ont décidé d’ajouter à leur raison sociale un « purpose », une finalité particulière. Cette finalité particulière complète la prescription standard selon laquelle une société américaine peut être constituée pour « mener ou promouvoir quelque affaire commerciale légale » (« to conduct or promote any lawful business »).

En France, les sociétés à mission ont été introduites par l’article 176 de la loi Plan d’Action pour la Croissance et la Transformation des Entreprises dite « loi Pacte », du 22 mai 2019. On en dénombre aujourd’hui près de 1661, en France. 

Après avoir présenté le concept des « sociétés à mission », nous apprécierons leur portée vis-à-vis des tiers et des investisseurs pour en décrire les avantages et les risques. 

Qu’est-ce qu’une société à mission ?

Les sociétés à mission sont définies dans le Code de commerce qui prévoit également la procédure et les conditions à respecter par les entreprises afin d’obtenir une telle qualité.

Définition

Le concept de « société à mission » correspond à la qualité au titre de laquelle l’entreprise poursuit une mission d’ordre social et/ou environnemental, au-delà du but lucratif qui constitue usuellement son objet originel et principal. 

L’article L.210-10 du Code de commerce prévoit qu’une « société peut faire publiquement état de la qualité de société à mission lorsque […]  ses statuts précisent une raison d'être, au sens de l'article 1835 du code civil ; »

L’article 1835 du Code civil précise que la « raison d’être » d’une société est « constituée des principes dont la société se dote et pour le respect desquels elle entend affecter des moyens dans la réalisation de son activité. » 

Cette nouvelle qualité de « société à mission » est offerte à toutes les entreprises qui souhaiteraient obtenir et poursuivre de nouveaux objectifs sociaux et environnementaux ou, à tout le moins, affirmer plus pleinement leur raison d’être actuelle. 

Procédure d’obtention de la qualité de société à mission 

Toutes les entreprises qui le souhaitent peuvent devenir des sociétés à mission, et ce, quelle que soit leur forme juridique. En effet, une société à mission est une « qualité juridique » ou un « label » et non un nouveau statut de société ou une nouvelle structure juridique. Si cette labellisation peut être instaurée pendant la création de l’entreprise, elle peut également intervenir en cours de vie de l’entreprise.

L’article L.210-10 du Code de commerce liste les quatre conditions qu’une société doit respecter afin d’obtenir cette qualification. 

Ainsi, les statuts de la société doivent préciser :

  1. Sa raison d’être au sens de l’article 1835 du Code civil précité ;
  2. Un ou plusieurs objectifs sociaux et environnementaux que la société se donne pour mission de poursuivre dans le cadre de son activité ;
  3. Les modalités du suivi de l'exécution de la mission mentionnée au point 2 et notamment la mise en place d’un comité de mission (ou d’un « référent de mission » dans les entreprises de moins de 50 salariés) ;

En outre des précisions statutaires, la société doit déclarer sa « qualité de société à mission au greffier du tribunal de commerce, qui la publie au registre du commerce et des sociétés »2, sous réserve de la conformité de ses statuts aux précisions suscitées.  

Ainsi, quatre conditions sont requises pour qu’une société obtienne la qualification de société à mission. 

Les raisons de l’émergence des sociétés à mission 

Il est important d’analyser, en amont de l’obtention de la qualité de société à mission, les effets que ce statut aura sur les relations de la société vis-à-vis des tiers et des investisseurs.  

Les attentes des tiers (salariés/clients/consommateurs)

Aujourd’hui, les attentes vis-à-vis des entreprises sont nombreuses : contribuer au bien-être commun, développer des ressources nouvelles afin d’être compétitives, innover afin de répondre aux défis sociaux et environnementaux… L’image de l’entreprise qui vit dans l’unique objectif de maximiser son profit et d’obtenir un retour sur investissement toujours plus important pour ses actionnaires n’est plus d’actualité. 

L’entreprise qui ne serait pas soucieuse de l’ensemble de ses parties prenantes, à savoir de ses employés aux fournisseurs, en passant par ses clients, se verrait alors rejetée par ces derniers, devenus de plus en plus exigeants. 

Ce nouvel état d’esprit témoigne expressément de l’émergence du concept du « capitalisme des parties prenantes » prôné par plusieurs chefs d’entreprises et selon lequel les entreprises doivent concilier les intérêts et attentes de l'ensemble de leur écosystème (actionnaires, clients, fournisseurs, employés, communautés locales et environnement) et ce, sur le long terme. 

L’objectif est désormais double pour les entreprises qui se doivent de participer aux défis sociaux et environnementaux, tout en préservant leur performance économique sans laquelle leurs missions ne peuvent être accomplies. 

C’est de ce constat que la notion d’« entreprise contributive », définie comme « un nouveau mode organisationnel et opératoire de l’entreprise, basé sur la nécessité de répondre concrètement aux enjeux à la fois économiques, sociaux, sociétaux et environnementaux auxquels sont et seront désormais confrontées toutes les expressions de l’activité humaine »3, est née. 

Parmi ces entreprises contributives, peuvent notamment être citées les startups « Too Good To Go », « Carbios » ou encore « 1083 », qui révolutionnent les marchés et bouleversent les codes actuels. 

Dans ce contexte, un sondage Deloitte a été mené en 2019 auprès de travailleurs de la génération Y sur la question suivante : « Quel devrait être l’objectif principal des entreprises ? » auquel 63% des personnes interrogées ont déclaré que l’objectif premier devrait être d’« améliorer la société » plutôt que de  « générer des profits ». Un tel pourcentage est la preuve que la nouvelle génération privilégie le sens attribué à et par l’entreprise. 

Les entreprises ont donc tout intérêt, si ce n’est d’autre choix, que de s’adapter à ces changements de demandes et d’attentes sous peine de voir leur audience et clientèle diminuer. 

Les effets vis-à-vis des investisseurs

Laurence Douglas Fink, président de BlackRock, la plus grande société de gestion d’actifs et d’investissements au monde, a déclaré, dans sa lettre annuelle aux dirigeants d’entreprises « Purpose & Profit », que ce dernier sera dorénavant plus attentif à la manière dont les entreprises dans lesquelles il investit incorporent la raison d’être à leur stratégie. 

En effet, aujourd’hui les investisseurs cherchent à réaliser des investissements qui ont un sens à leurs yeux, c’est la notion de « l’Investissement Socialement Responsable » (ISR), soit la « démarche visant à appliquer à l’investissement les principes du développement durable. Ainsi, le choix d’un investissement ne sera pas uniquement dicté par des considérations financières de court terme mais prendra également en compte des critères extra-financiers, comme le respect de l’environnement, le bien-être des salariés dans l’entreprise ou la bonne gouvernance au sein de cette dernière »4

Grâce à l’ISR, les investisseurs ont ainsi la capacité de contribuer, à travers leur investissement, à la construction d’une économie plus vertueuse et responsable.

Désormais, de plus en plus d’investisseurs s’intéressent aux critères Environnementaux, Sociaux et de bonne Gouvernance (ESG) et s'appuient sur la grille des Objectifs de Développement Durable (ODD) ci-dessous. 

L’intention du dirigeant, la cohérence du business model avec la mission, le suivi ainsi que la mesure de la contribution étant devenus des critères de sélection fondamentaux pour les investisseurs, la grille des ODD leur permet notamment d’évaluer l’alignement des actions de l’entreprise avec les défis environnementaux et sociaux. 

En effet, à l’instar des entreprises, les investisseurs définissent, eux aussi, les principaux objectifs de développement durable sur lesquels il est essentiel d’agir selon eux. 

Cependant, bien que 71% des entreprises affirment utiliser les ODD pour se conformer aux exigences des investisseurs ou des agences de notation, la majorité des investisseurs institutionnels qui suivent ces mêmes ODD, considère ne pas avoir assez d’informations de la part des entreprises pour évaluer efficacement leur contribution aux ODD.5

Les enjeux des sociétés à mission   

Les entreprises à mission affichent désormais leur volonté de prendre part aux nouveaux défis mondiaux. Ainsi, 36% des entreprises expliquent avoir choisi ce statut pour « adresser des enjeux de transition (social, écologique, économique) ». Les raisons d’être incluent une dimension sociale pour 75% des entreprises et une dimension environnementale pour 67% d’entre elles6.

Si la qualité de « société à mission » accorde à l’entreprise des avantages, elle l’expose également à des risques qu’il est important de prendre en compte en amont.  

Les avantages et intérêts des sociétés à mission

Les avantages d’une société à mission sont nombreux. 

Cette qualification permet notamment de donner du sens au projet de l’entreprise en fédérant les équipes autour d’une ambition commune, collaborer avec une multitude d’acteurs dans le domaine de la mission de l’entreprise, intégrer les engagements RSE de l’entreprise dans sa stratégie globale. 

En principe, la qualité de la société à mission a vocation à réaffirmer les engagements formulés par les entreprises et à les pérenniser. Définir une mission peut également permettre d’améliorer la performance économique et l’image de l’entreprise. 

Toutefois, si cette qualité n’implique pas, a priori, de coût financier significatif particulier, il convient de souligner qu’elle ne procure pas non plus d’avantage financier ou fiscal pour l’entreprise. En revanche, elle contribue à l’amélioration de la marque employeur, en attirant des candidats en quête de sens et recherchant des entreprises engagées. 

Même si inscrire une mission dans ses statuts ne doit pas être un « argument marketing », être une société à mission possède un avantage publicitaire non négligeable pour l’entreprise en ce qu’il offre à cette dernière la possibilité d’améliorer son image de marque en affirmant sa raison d’être auprès de l’ensemble des parties prenantes. 

Attention cependant aux entreprises qui décideraient de devenir une société à mission dans cet unique objectif, car ce choix n’est pas sans risque... 

Les risques en cas de non-respect de la qualification de « société à mission »

L’article L.210-10, 4° du Code de commerce instaure une obligation particulière à laquelle la société à mission, qualifiée comme telle, doit se conformer. A défaut, toute société dite « à mission » peut se voir retirer cette qualité dès lors que le comité de mission et/ou l’organisme tiers indépendant considèrent que l’entreprise n’a pas atteint les objectifs qu’elle s’était fixés. 

En effet, conformément aux dispositions de l’article L.210-10, 3° du Code de commerce, toutes les entreprises sont tenues de mettre en place un « comité de mission » (ou un « référent de mission »). Ce comité, « distinct des organes sociaux », composé d’au moins un salarié de l’entreprise, a vocation à suivre l’exécution de la mission que s’est donnée la société à mission par le biais, par exemple, de vérifications. 

Afin de suivre cette exécution, le comité de mission peut exiger de la société la communication de tout document que ce dernier estime nécessaire dans l’exercice de sa mission. Chaque année, le comité présente à l’assemblée chargée de l'approbation des comptes de la société, un rapport joint au rapport de gestion de la société. Les modalités afférentes à ce rapport de gestion sont prévues à l’article L.232-1 du Code de commerce.

En ce qui concerne l’organisme tiers indépendant, ce dernier est, à l’instar du comité de mission, chargé de vérifier l’exécution des objectifs sociaux et environnementaux choisis par la société. L’expression « organisme tiers indépendant » vise tout organisme désigné parmi les organismes accrédités à cet effet par le Comité français d’accréditation (Cofrac) ou par tout autre organisme d’accréditation signataire de l’accord de reconnaissance établi par la coordination européenne des organismes d’accréditation.

Ainsi, l’article L.210-10, 4° du Code de commerce prévoit que la vérification par l’organisme tiers indépendant de l’exécution de sa mission par la société « donne lieu à un avis joint au rapport [du comité de mission] ». 

Dans le cas où ces objectifs n’auraient pas été atteints au cours de l’année précédent, l’organisme tiers indépendant devra également contrôler les raisons de cet échec et pourra, le cas échéant, demander le retrait de la qualification de « société à mission ». 

Donc, en plus des conditions liées à l’obtention de la qualité de société à mission, toute entreprise doit être consciente du risque lié à la perte de ladite qualité si ses objectifs ne sont pas atteints. La qualification de société à mission n’est pas seulement un « label », elle fait naître de réelles obligations.  

En conclusion, il apparaît qu’obtenir la qualification de « société à mission » est une chose relativement aisée qui présente, de surcroît, des avantages certains en matière de conscience écologique et d’image sociétale. 

Cependant, il appartient à chaque entreprise d’agir de manière responsable et d’apprécier pleinement les enjeux d’une utilisation « fautive » de la qualification de société à mission. En effet, dans un tel cas, la qualification sera retirée à la société et la réputation de l’entreprise pourra potentiellement se voir entachée vis-à-vis des tiers. 

L’avenir des sociétés à mission semble être assuré pour l’association de la Communauté des Entreprises à Mission qui projetait, dans son premier observatoire de janvier 2020, un objectif de 10 000 sociétés à mission à l'horizon 2025. Ce chiffre serait, selon elle, atteignable « compte tenu des aspirations de la société et de l'urgence de certains enjeux, qu'ils soient climatiques ou sociaux »… Reste à savoir si toutes les entreprises souhaitant se lancer dans cette aventure parviendront à en satisfaire les exigences sur le long terme. 

Gérard Cohen, Associé, Julie Lopès, Elève-avocat et Marie Simon, Chargée de communication. 

__________________________________

1  À la date du 06/05/2021, selon l’Observatoire des Sociétés à Mission

2 Article L.210-10, 5° du Code de commerce

3  https://youmatter.world/fr/definition/entreprise-contributive-definition-synthese-des-propositions-contexte-legislatif/

4  Label ISR “https://www.lelabelisr.fr/quest-ce-que-lisr/

5 Etude publiée en 2019 par Novethic en partenariat avec B&L évolution

6  Selon l’Observatoire de la Communauté des Entreprises