Action EUIPO remportée : comment obtenir le paiement des condamnations ?

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À l’issue d’une procédure engagée devant l’Office européen de la propriété intellectuelle (« EUIPO ») la partie défaillante est souvent condamnée à payer à l’autre des frais de procédure. Si cette dernière ne s’exécute pas volontairement, le moyen de procéder à l’exécution forcée de la décision est d’obtenir l’exequatur de la décision auprès de l’INPI et de faire procéder à une saisie-attribution classique, par huissier de justice.

Lorsqu’une partie remporte une procédure devant l’EUIPO – qu’il s’agisse d’une opposition, d’une action en déchéance ou d’une action en nullité dont la décision est devenue définitive au stade de la première instance, ou de recours contre ces décisions devant la Chambre des recours – et que la décision ne fait plus l’objet de recours et devient définitive, la partie défaillante peut avoir à payer des frais de procédure.

Les règles relatives aux frais sont prévues à l’article 109 du Règlement sur la Marque de l’Union européenne (« RMUE ») : la partie perdante supporte les taxes acquittées par l’autre partie ainsi que les frais indispensables exposés, y compris les frais de représentant, de déplacement et de séjour.

Quelques remarques (pour plus de détails, se reporter à l’article intégral) :

  • En cas de pluralité de parties ayant remporté l’action ou le recours, la partie défaillante ne devra en indemniser qu’une seule (alinéa 2) sauf répartition expressément prévue par l’EUIPO (alinéa 3) ;
  • La partie qui retire son action ou sa demande de marque, ou qui ne renouvelle pas la marque contestée ou y renonce, supporte les frais (alinéa 4) ;
  • Les parties sont libres de s’entendre entre elles sur une répartition différente des coûts (alinéa 6) ; 
  • Dans le cas où les parties succombent chacune sur un ou plusieurs chefs, , il est d’usage que chaque partie supporte ses propres coûts.

Malheureusement (ou heureusement, selon le côté duquel penche la balance), le deuxième alinéa prévoit la fixation de montants maximaux. On les retrouve dans la Règle 94 du Règlement (CE) n° 2868/95 de la Commission du 13 décembre 1995 (modifié par des textes postérieurs) : dans le cadre d’une opposition, ils sont arrêtés à 300 euros ; dans le cadre d’une action en nullité ou en déchéance, à 450 euros ; et dans le cadre d’un recours, à 550 euros.

Les praticiens savent à quel point ces montants sont très symboliques. Cela a en tout cas pour effet d’empêcher les « chasseurs de prime » de créer un business autour d’actions en déchéance intentées contre des marques clairement non utilisées et de demander ensuite l’indemnisation de frais de représentation considérables. 

On notera que des règles similaires existent devant l’INPI (arrêté du 4 décembre 2020) et prévoient des montants maximaux de 700 euros pour la phase écrite, 100 euros pour la phase orale et 500 euros pour les frais de représentation, quelle que soit la procédure concernée. Il est impératif de demander dans ses observations à ce que l’autre partie y soit condamnée.

Comment obtenir le paiement de ces sommes ?

Si les avocats connaissent bien la manière dont on enclenche l’exécution forcée d’une décision de justice, afin notamment de récupérer les condamnations au titre de l’article 700, l’articulation entre une condamnation prononcée par un organisme européen non judiciaire (donc ni une juridiction étrangère à proprement parler, ni une juridiction judiciaire), rend nécessaires les lumières conjointes d’un Conseil en propriété industrielle et d’un avocat.

Tout d’abord, l’article 110 du RMUE prévoit que « toute décision définitive de l'Office qui fixe le montant des frais forme titre exécutoire ». On pourrait considérer que ce serait suffisant pour rendre applicable l’article L. 111-2 du Code des procédures civiles d’exécution selon lequel « le créancier muni d’un titre exécutoire constatant une créance liquide et exigible peut en poursuivre l’exécution forcée sur les biens de son débiteur, dans les conditions propres à chaque mesure d’exécution », d’autant plus que l’article 110 ajoute que « l'exécution forcée est régie par les règles de la procédure civile en vigueur dans l'État sur le territoire duquel elle a lieu. »

Mais la suite de l’article du RMUE prévoit des dispositions plus précises pour s’assurer du caractère exécutoire de la décision de l’EUIPO : « Chaque État membre désigne une autorité unique chargée de la vérification de l'authenticité de la décision visée au paragraphe 1 et communique ses coordonnées à l'Office, à la Cour de justice et à la Commission. La formule exécutoire est annexée à la décision par cette autorité, sans autre formalité de contrôle que la vérification de l'authenticité de la décision. »

En d’autres termes, il existerait en France une autorité dont la fonction serait de confirmer le caractère exécutoire des décisions de l’EUIPO en leur octroyant par conséquent l’exequatur.

L’article L. 717-7 du Code de la propriété intellectuelle désigne l’INPI à ces fins : « la formule exécutoire mentionnée à l'article 82 [devenu l’article 110 du RMUE] du règlement communautaire mentionné à l'article L. 717-1 est apposée par l'Institut national de la propriété industrielle »

La première étape consiste donc à demander à l’INPI de rendre exécutoire la décision de l’EUIPO. La demande se fait via le portail e-Procédures de l’INPI.

Une fois la mention exécutoire apposée par l’INPI, c’est donc le droit national qui s’applique,  à savoir les articles 502 et 503 du Code de procédure civile qui exigent une notification préalable à la personne contre laquelle la décision va être exécutée.

L’huissier de justice mandaté par la partie victorieuse devra ainsi procéder à la signification à partie de la décision de l’EUIPO contrôlée par l’INPI. Il pourra ensuite procéder aux actes d’exécution forcée si la partie défaillante ne s’acquitte pas volontairement. La plupart du temps on procédera à une saisie-attribution sur les comptes bancaires du débiteur.

Il reste bien sûr à évaluer, au cas par cas, l’opportunité de démarches si complexes pour seulement quelques centaines d’euros : récupérer ces condamnations peut s’avérer une opération économique défavorable, à moins d’avoir plusieurs décisions à faire exécuter contre la même personne, ou à moins que la partie victorieuse ne fasse du paiement des condamnations une question de principe.

Blandine Lemoine, Conseil en propriété industrielle et Jérémie Leroy-Ringuet, Avocat à la Cour, TAoMA Partners, Cabinet d’Avocats et de CPI