Le sort des loyers en matière de bail commercial à l'épreuve du COVID-19

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Philippe Bensussan, avocat associé au sein du cabinet Dolla-Vial, revient pour Le Monde du Droit sur la question des loyers des baux commerciaux vis-à-vis de la situation sanitaire actuelle.

L’épidémie du COVID-19, outre la crise sanitaire sans précédent, engendre également des conséquences particulièrement graves au niveau économique.

Les mesures successives annoncées par le Gouvernement, par arrêtés des 15 et 16 mars 2020 mais également le décret 17 mars 2020, impactent directement de nombreuses entreprises qui font face, sinon à une chute brutale de leur clientèle, à une interdiction pure et simple d’exercer leur activité.

Ces mesures impliquent une problématique d’ordre juridique en droit des contrats, et plus spécifiquement pour les baux commerciaux, compte tenu des difficultés voire de l’impossibilité pour les acteurs économiques d’honorer notamment le paiement des loyers.

Quelles sont les conséquences de cette épidémie sur l’obligation principale du preneur relative au paiement des loyers et des charges ?

Le preneur peut-il opposer à son bailleur la suspension voire l’exonération du paiement des loyers, sur quel fondement, dans quelle hypothèse au regard de la situation actuelle ?

Le gouvernement a publié, le 25 Mars 2020 l’ordonnance relative au sort des loyers pour les petites entreprises (n°2020-316 du 25 Mars 2020).

La présente note a pour objectif de présenter un état du droit positif, sous le prisme du droit des contrats et de celui applicable aux baux commerciaux, sous réserve des évolutions normatives encore probables, à la suite à l’état d’urgence sanitaire décidé par le gouvernement.

La force majeure cause de suspension ou d'exonération du paiement des loyers ?

➢ La force majeure en droit positif.

La force majeure, notion prétorienne, est désormais codifiée par l’article 1218 du Code civil.

Elle est constituée par un évènement correspondant aux caractéristiques fixées par les parties ou, à défaut, par la loi et a pour conséquence d’exonérer l’une ou l’autre des parties de l’exécution de son obligation.

Dès lors, l’examen des clauses et conditions de chaque contrat et plus particulièrement des clauses afférentes aux conditions et conséquences de la force majeure s’imposera nécessairement.

Sous l'empire de l'ancien 1148 du Code civil, les Tribunaux avaient déterminé les caractéristiques de celle-ci, à savoir l’existence de trois critères cumulatifs : l’extériorité, l’imprévisibilité et l’irrésistibilité.

Le nouvel article 1218 du Code civil reprend substantiellement ces derniers et détermine la qualification de la force majeure sous ces trois critères cumulatifs :

→ L’événement doit nécessairement échapper au contrôle du débiteur ;

→ L’événement ne pouvait pas être raisonnablement prévu au moment de la conclusion du contrat ;

→ L’événement doit produire des effets qui ne peuvent être évités par des mesures appropriées ;

Dans ces conditions, les applications jurisprudentielles des caractéristiques antérieures de la force majeure apparaissent parfaitement transposables sous l'empire du nouvel article 1218 du Code civil.

Dès lors, seul un fait qui présente un caractère imprévisible lors de la conclusion du contrat et irrésistible dans son exécution est constitutif de force majeure, l’imprévisibilité étant appréciée par le juge, en fonction des circonstances de l'espèce. (Cass. ass. plén. 14-4-2006 n° 538 ; Cass. com. 8-3-2011 n° 10- 12.807 ; Cass. 1e civ. 30-10-2008 n° 07-17.134)

Pour que le débiteur soit libéré, la jurisprudence impose que l'événement invoqué ait « rendu absolument impossible » l'exécution de son obligation ou ait imposé la violation d'une obligation lui incombant. (Cass. 1e civ. 19-12-2000 n° 98-14.141)

➢ L’épidémie du COVID-19 constitue-t-elle un cas de force majeure ?

Suivant la doctrine, la qualification de force majeure est retenue lorsque l’événement remplit les conditions susvisées, mais également, en cas de « fait du prince ».

En l’espèce et au regard de la pandémie du COVID-19, les décrets relatifs à la fermeture des commerces non indispensables ainsi que les mesures de confinement ordonnées peuvent raisonnablement s’apparenter à un « fait du prince », et donc à un cas de force majeure.

Plusieurs précisions doivent être néanmoins apportées, puisque tous les cas d’épidémies ne sont pas nécessairement constitutifs d’un cas de force majeure.

En premier lieu, comme il l’a été évoqué, l’imprévisibilité de l’événement qualifié de force majeure s’apprécie au jour de la conclusion du contrat (CA Saint-Denis de la Réunion, ch. sociale, 29.12.2009, n° 08/12114 )

Dans le cas du COVID-19, il peut être raisonnablement retenu, soit l’annonce, soit tout au plus l’entrée en vigueur des mesures d’interdiction afférentes aux commerces et publiées par arrêtés dans les nuits des 15 et 16 mars 2020.

En second lieu, lorsque l’épidémie est connue, endémique et non létale, la force majeure ne semble pas systématiquement acquise (CA Basse-Terre, 17 déc. 2018, n° 17/00739 analyse à contrario), ce qui n’est certainement pas le cas pour le COVID-19, au regard du taux de mortalité ainsi que des mesures prises par le gouvernement :

→ La létalité du coronavirus est avérée ;

→ Aucun traitement n’existe en l’état,

En dernier lieu, quels que soient les effets juridiques de l’épidémie ou des restrictions de circulation ou du confinement, encore faut-il se ménager la preuve de ses effets pratiques (CA Toulouse, 3 oct. 2019, n° 19/01579).

La démonstration de la baisse significative du chiffre d’affaires, à la lueur de la situation actuelle ainsi qu’au regard des mesures de confinement, de fermeture des commerces non indispensables ainsi que des centres commerciaux, ne paraît pas poser de difficulté.

Il convient d’ailleurs de rappeler que le gouvernement, dans certains types de contrats, a d’ores et déjà qualifié l’épidémie de COVID-19 de cas de force majeure, une décision étant également intervenue en ce sens (CA DOUAI 4 Mars 2020 20/00395).

Dès lors, au regard de ce qui précède, il peut raisonnablement être retenu que l’épidémie du COVID-19, et plus particulièrement les décisions du gouvernement liées à celle-ci constituent, un cas de force majeure, ce que semble confirmer la rédaction de l’ordonnance du 25 Mars 2020, instaurant des régimes à géométrie variable.

S’agissant plus spécifiquement des baux commerciaux et compte tenu du caractère inédit de la situation actuelle, la question de la suspension ou de l’exonération totale du paiement du loyer mérite d’être examinée.

➢ Les effets de la force majeure : suspension ou exonération du paiement du loyer ?

La question est bien évidemment d’une actualité brûlante, tant au regard des récentes annonces des pouvoirs publics.

Juridiquement, la qualification de force majeure, qui peut être raisonnablement conférée à l’épidémie du COVID-19, constitue une cause étrangère dans le cadre de l’exécution du bail, empêchant le bailleur, d’une part, de délivrer le local commercial objet du bail, et le preneur, d’autre part, de jouir paisiblement dudit local.

Ce cas de force majeure s’apparentant à un « fait du prince » (interdiction d’ouverture des commerces non indispensables décrétée par les pouvoirs publics), implique donc, nécessairement, une impossibilité absolue d’exploiter le local durant cette période.

Or, il est de jurisprudence parfaitement constante qu’une impossibilité absolue d’exploiter autorise le preneur, dès lors que celle-ci est causée par un manquement du bailleur, à opposer une exception d’inexécution autorisant le preneur à obtenir, judiciairement, une annulation de sa dette locative durant cette période (Cass. 3e civ., 19 nov. 2015, n° 14-24.612 : JurisData n° 2015-025826 ; Loyers et copr. 2016, comm. 2, note B. Vial-Pedroletti, préc. n° 48)

Dans le cas de l’épidémie du COVID-19, le preneur ne serait pas fondé à exciper d’une inexécution du paiement du loyer au regard des manquements du bailleur, mais au regard du cas de force majeure empêchant ledit bailleur, en l’absence de tout manquement, de remplir ses obligations fondamentales de délivrance et de jouissance paisible (article 1719 du Code civil).

La jurisprudence a en effet reconnu l’impossibilité, pour le bailleur, de satisfaire à l’obligation de délivrance (Cass. 3e civ. 7 mars 2006 n°04-19.639) ainsi que de jouissance paisible, dans le cas spécifique de force majeure (Bourges, Chambre sociale, 21 Mai 2010 – n° 09/0129)

Dès lors, les effets de la force majeure, en ce qu’elle conduit à une impossibilité absolue d’exploiter, durant une certaine période, devraient ou pourraient, en toute logique, être similaires à ceux d’une exception d’inexécution et ainsi conduire à une annulation de la dette locative durant la période d’impossibilité absolue d’exploiter.

Néanmoins, s’il est acquis que la force majeure permet de paralyser l'application de la clause résolutoire en pareille hypothèse (Cass. 3e civ., 24 juin 1971, no 70-12.017, Bull. civ. III, no 404), la question de l’exonération pure et simple du paiement du loyer, en lieu et place d’une simple suspension, paraît plus nuancée, au regard de l’état du droit positif.

Tant pour les baux conclus à compter du 1er octobre 2016, date d’entrée en vigueur des nouvelles dispositions du droit des contrats, que pour ceux conclus antérieurement, il convient de distinguer :

➢ La force majeure, en tant que cause de suspension temporaire de l’exécution d’une obligation, emportant suspension provisoire de celle-ci : la force majeure suspend l’exigibilité d’une obligation pour en reporter les effets

➢ La même force majeure, en tant que cause de libération totale, ferme et définitive du débiteur dans l’exécution de son obligation de paiement, procéderait à une purge définitive de la dette, dont le paiement ne pourrait plus être demandé. Il a été jugé, ainsi, que la force majeure n’exonère le débiteur que pendant le temps où elle l’empêche de donner ou de faire ce à quoi il est obligé (Cass. 3ème Civ. 13 juin 2007, n°06.12283), le terme d’exonération étant donc expressément visé par la Cour de cassation. De même, le mécanisme de la force majeure avait pu exonérer le débiteur du paiement des loyers dans des circonstances à tout le moins comparables à l’épidémie du COVID-19 (Bombardements, .Cass. req., 3 juill. 1918 : S. 1918- 1919, 1, p. 160, voir également Cass. 1re civ., 24 févr. 1959 : Bull. civ. 1959, I, n° 115 ; D. 1959, jurispr. p. 311 Cass. 3e civ., 30 avr. 1997, n° 94-17.941)

Néanmoins, la Cour de cassation a pu juger, relativement récemment et aux termes d’un arrêt publié, que « le débiteur d'une obligation contractuelle de somme d'argent inexécutée ne peut s'exonérer de ce cette obligation en invoquant un cas de force majeure » (Cass. Com., 16 septembre 2014), restreignant le champ d’application de la force majeure aux obligations de faire et de donner, en excluant l’obligation de payer une somme d’argent.

La jurisprudence, plus ancienne, a également considérée que la force majeure ne pouvait être invoquée lorsque l’exécution était seulement rendue plus difficile, mais pas impossible (Cass. Comm. 31 mai 1976, n° 75-14625)

Ainsi, en l’état, il serait autorisé de penser que le preneur serait mal fondé à s’exonérer du paiement de son loyer, en ce compris en cas de force majeure.

Cette décision, si elle a le mérite d’être claire dans sa portée, doit être néanmoins tempérée à la lumière des circonstances justifiant la force majeure et impliquant l’impossibilité absolue de délivrer le local et donc, en corollaire, pour le preneur de ne pas jouir, également de manière absolue et irrévocable, dudit local, pendant la période d’interdiction ou de restriction décidée par le Gouvernement.

Ainsi, ne peut-on pas considérer, nonobstant la décision de la Cour de Cassation, que de ladite impossibilité soit qualifiée « d’irrévocable », de sorte que le preneur serait fondé à opposer cette exception au bailleur afin de s’exonérer du paiement dudit loyer, la situation de privation étant, pour ce dernier, au sens littéral du terme « définitive » pendant cette période.

Selon nous, les circonstances particulières de la situation actuelle (fermeture administrative des locaux commerciaux non indispensables rendant impossible l’exploitation du local), ne peuvent qu’inviter, à tout le moins, à la réflexion et ce même à l’examen de l’ordonnance du 25 Mars 2020, laquelle prévoit pour les petites entreprises, en cas de fermeture administrative, au mieux la faculté de suspendre le paiement de leur loyer.

Le droit positif tend à donner un caractère suspensif et non exonératoire à un évènement de force majeure empêchant de régler le loyer commercial.

Néanmoins, les critiques, notamment doctrinales à cette règle et le contexte actuel tout aussi inédit que particulier pourraient justifier des actions cherchant un retour à la jurisprudence antérieure, les textes adoptés par le gouvernement ne répondant pas à l’ensemble des questions posées par cette crise.

Sur le champ d'application de l'ordonnance du 25 mars 2020

Le gouvernement, dans le cadre de l’état d’urgence a, enfin, pris une ordonnance afférente aux loyers et charges qui, notamment dans son article 4, prévoit un certain nombre de mesures.

Ce texte est, certes, déterminant quant au sort du paiement par le preneur mais demeure, en l’état imprécis.

L’article 1er de ladite ordonnance indique :

« Il est institué, pour une durée de trois mois, un fonds de solidarité ayant pour objet le versement d’aides aux personnes physiques ou morales de droit privé exerçant une activité économique, particulièrement touchées par les conséquences économiques, financières et sociales de la propagation du COVID 19 »

Par ailleurs, l’article 4 de ladite ordonnance précise :

« Les personnes mentionnées à l’article 1er ne peuvent encourir de pénalités financières ou intérêts de retard, d’astreinte, d’exécution de la clause résolutoire....nonobstant toute stipulation contractuelle ...Les dispositions ci-dessus s’appliquent aux loyers et charges dont l’échéance de paiement intervient entre le 12 Mars 2020 et l’expiration d’un délai de deux mois après la date de cessation de l’état d’urgence.... »

Ces textes ont été complétés par un décret en date du 30 Mars 2020, les critères d’éligibilité étant, principalement, les suivants

Il est fort probable que seront concernées les TPE, professions libérales, artisans, commerçants, qui répondraient, selon les informations non confirmées, aux critères suivants :

- Début d’activité avant le 1er février 2020, - Effectif inférieur à 11 salariés et, - CA inférieur à 1 M € , et - Bénéfice imposable inférieur à 60.000 €.

En outre, ces activités devront justifier soit d’une baisse du chiffre d’affaires de 70 % entre le chiffre réalisé entre mars 2019 et mars 2020, soit d’une fermeture administrative.

Dès lors, pour ces entreprises que nous qualifieront de TPE, la lecture de ce texte permet d’indiquer :

- Qu’aucune pénalités, acquisition de la clause résolutoire, mise en jeu des garanties… ne pourront être appliquées par le Bailleur

- La période est étendue au-delà du 15 Avril, et ce jusqu’à 2 mois après la levée de l’état d’urgence sanitaire.

Pour autant, ce texte ne permet pas, juridiquement, de conclure à une suspension, pure et simple du paiement des loyers et charges pendant cette période.

Au contraire, la lecture de l’article 3 de ladite ordonnance, relatif aux fournitures de gaz, électricité vise, quant à lui, expressément le report du paiement de ces prestations.

S’agissant, en l’état, d’un simple report, un bailleur bénéficiant d’un bail notarié qui vaut titre

Dès lors, sur un plan strictement juridique, pour ce type d’entreprises, à notre sens, le loyer reste exigible à date, étant précisé que le bailleur ne pourra pas se prévaloir de pénalités ou sanctions en cas de non- paiement pendant la période déterminée

Sur un plan strictement pratique, pour ces entreprises, ce texte permet de suspendre les loyers, d’autant que les juridictions sont actuellement fermées et qu’il est très probable que les Tribunaux seront enclins à accorder des délais de paiement.

L'arrêté du 15 mars 2020 et l'ordonnance du 25 mars 2020 sont-ils constitutifs d'une limite pour certains secteurs d'activité à se prévaloir du COVID-19 comme cause exonératoire ou de suspension de loyer ?

Le Gouvernement, afin de garantir à la population une continuité de certains services, suite aux mesures de « confinement » prise le 15 Mars 2020, a décidé de procéder à une distinction, en l’état jusqu’au 15 Avril 2020, entre :

- 1e catégorie : les établissements recevant du public ou commerces, non indispensables à la vie de la nation, (restaurants, cinémas, salles de spectacles...),

- 2ème catégorie : Ceux, au contraire, qui peuvent rester ouverts, en fonction du régime applicable en fonction de leurs spécificités (Alimentaire, Pharmacie, ...)

Cette dichotomie au regard de la force majeure et du COVID 19 ne peut être appréhendée avec neutralité, notamment pour les commerces ou activités ne rentrant pas dans le champ d’application de l’article 4 de l’ordonnance du 25 Mars 2020

Dès lors, au regard de l’arrêté du 15 Mars 2020 et de l’ordonnance du 25 Mars 2020, il pourrait en résulter les conséquences suivantes, au regard des développements précédents.

➢ COVID-19 et commerces autorisés en ville.

Pour les commerces en centre-ville, l’ouverture est autorisée, mais non obligatoire de sorte que l’on peut légitiment s’interroger sur la faculté, pour le preneur d’exciper des dispositions relatives à la force majeure, et donc du fait du prince, lié à l’épidémie du COVID-19.

L’autorisation conférée par l’État limite la portée des développements précités sur le fait du Prince, ce qui, d’ailleurs, semble s’intégrer dans le sens des dispositions gouvernementales, évitant un arrêt brutal de l’économie.

Dans cette hypothèse, le Preneur, pourra probablement, tout au plus, se prévaloir uniquement d’une simple suspension bien que celle-ci, juridiquement ne s’appliquerait qu’au TPE, mais dont le fondement sera lié, cette fois, notamment à la baisse drastique du chiffre d’affaires liée aux mesures de confinement et donc à la perte temporaire de commercialité, le cas échéant à l’impossibilité tout aussi temporaire (la durée sera plus courte) d’assurer aux salariés des conditions sécures de travail.

Les pénalités financières en cas de non-paiement ainsi que la mise en jeu des garanties ont vocation à s’appliquer, sur un plan strictement contractuel, sauf pour les activités visées par l’ordonnance du 25 Mars 2020.

Pour ces activités, la suspension ou précisément le report, devrait s’appliquer mais dans un cadre de négociations entre les parties.

➢ COVID-19 et commerces non autorisés en ville.

S’agissant de cette typologie de commerces, en l’absence d’usage de leurs locaux du fait des décisions du gouvernement, ceux-ci pourraient, se prévaloir, tant amiablement que le cas échéant judiciairement, d’une suspension, voire d’une exonération du paiement des loyers et charges, pour les raisons évoquées, et en tout état de cause, amiablement ou judiciairement à un report de ces échéances.

Pour autant, la prudence s’impose, à l’examen de l’ordonnance du 25 mars 2020 et de ses conséquences pour les TPE à savoir, pratiquement un simple report ou une suspension des loyers et charges, celui-ci s’inscrivant dans une logique de paiement.

Si cette tendance devait être confirmée, elle s’opposerait à la notion, pourtant affirmée, de force majeure et de fait du prince.

➢ COVID-19 et activités de bureaux

Les activités de bureaux ne sont pas visées par l’arrêté du 15 Mars 2020 (à l’exception des entreprises répondant aux critères des articles 1 et 4 de l’ordonnance du 25 Mars 2020).

Dans la mesure où cette activité n’entre pas dans les établissements recevant du public, aucun élément ne permet de conclure à une exonération du loyer, ni même à une suspension des loyers.

Tout au plus des aménagements contractuels pourraient être négociés entre Preneurs et Bailleurs, au regard des conséquences financières importantes sur l’activité, de cette épidémie.

Les pénalités et autres clauses pénales visées dans les baux devraient recevoir, en droit, application, sous réserve des contestations, aménagements ou appréciation des situations par les juridictions.

➢ COVID-19 et commerces autorisés en centre commercial

L’arrêté du 15 mars 2020 précise que les commerces de la catégorie M, à savoir « Magasins de vente et Centre Commerciaux », voient leur ouverture interdite, à l’exception des activités de livraison et de retraits de commandes.

Dès lors, qu’en est-il des commerces, dont l’activité au titre de la 2ème catégorie, est autorisée mais se trouvant dans un Centre Commercial, ces derniers devant être fermés ?

Certains bailleurs institutionnels ont, d’ores et déjà, annoncé des mesures de suspension voire d’annulation, pour la période courue du 15 Mars 2020 au 15 Avril 2020.

Les réponses apportées ne sont pas uniformes et pourraient dépendre, d’une part des stipulations contractuelles, mais également de la configuration du centre commercial.

Au demeurant, quid des conditions d’exploitation de ces activités, notamment quant aux conditions sanitaires et de protection des salariés, en l’absence de moyens de matériels disponibles....

A la lecture de l’ordonnance du 25 Mars 2020, sur un plan strictement juridique, l’ensemble des clauses et conditions du contrat s’applique.

A défaut d’aménagement par les bailleurs, il est également raisonnable de s’interroger, à l’instar des autres activités, sur les conditions d’application des pénalités, dont le sort sera déterminé, à défaut, par le Tribunaux. ➢ COVID-19 et commerces non autorisés en centre commercial

Il serait, également, légitime de tirer les mêmes conséquences que pour les commerces dont l’activité a été interdite par le gouvernement.

COVID-19 et imprévision : motif de renégociation ?

A titre liminaire, il convient d’indiquer que le mécanisme de l’imprévision existe uniquement pour les contrats conclus ou renouvelés postérieurement au 1er Octobre à 2016 et que celui-ci, en l’état, n’est pas d’ordre public, de sorte que les parties peuvent y déroger.

L’article 1195 du Code civil permet d'imposer à la partie récalcitrante, si les parties n’y ont pas renoncé, l'adaptation du contrat en cas de changement imprévisible de circonstances.

Sous ces réserves, la révision du bail est soumise à une double condition : il s'agit d'un « changement de circonstances » qui, d'une part, était « imprévisible lors de la conclusion du contrat » et, d'autre part, « rend l'exécution » du bail « excessivement onéreuse » pour les parties au contrat.

L’application de la théorie de l’imprévision, en l’absence de renonciation contractuelle, à l’épidémie du COVID 19 sera nécessairement sujette à interprétation celle-ci devant s’apprécier au regard des conséquences économiques consécutives aux mesures prises par le gouvernement.

Cependant ce mécanisme, dans le cadre du COVID 19 ne paraît pas approprié, compte tenu du caractère temporaire de l’épidémie, sauf à ce que celle-ci puisse avoir une durée bien supérieure au prévision actuelle, et qu’elle puisse aboutir, stricto sensu, à une renégociation du bail et plus particulièrement du loyer.

Au demeurant, qu’il s’agisse d’une suspension ou d’une exonération de loyer pendant la période de force majeure, nonobstant le caractère imprévisible du COVID 19, une fois cette épidémie passée, la condition du caractère « excessivement » onéreux ne sera pas, à notre sens, remplie, sauf à ce que, suivant l’application qui sera faite de l’ordonnance du 25 Mars 2020 et/ou de l’absence d’accord avec le bailleur, il soit considéré que l’exigibilité des loyers, de facto et non juridiquement suspendus (notamment pour les TPE), rende l’exécution du contrat excessivement onéreuse.

Tout au plus, le montant des loyers et charges uniquement suspendu ferait l’objet d’une négociation ou, à défaut, de délais de paiement accordés par le juge des référés à l’examen de la situation financière du débiteur et des conditions de reprise de son activité.

Ces développements sont, en toutes hypothèses, à relativiser dès lors que, par un arrêt récent en date du 12 décembre 2019, la Cour d’Appel de VERSAILLES vient de juger les mécanismes particuliers en matière de baux commerciaux (CA VERSAILLES 12ème 12 décembre 2019) :

La nouveauté du mécanisme de l’imprévision et son articulation avec le droit des baux commerciaux invitent donc à la plus grande prudence.

Conclusion

Les circonstances actuelles tendent nécessairement vers une insécurité juridique.

Au regard du statut des baux commerciaux, les seuls éléments sur lesquels il parait possible de se prononcer, dans le cadre du COVID 19, concernant les loyers sont les suivantes :

- Le non-paiement des loyers, depuis le 15 Mars 2020 et en l’état jusqu’au jusqu’à la fin de l’état d’urgence, ne devrait pas être considéré, judiciairement, comme un motif de résiliation du bail, par le Bailleur : l’ordonnance du 25 Mars 2020 a confirmé ce point dans certains cas,

- A l’exception des activités visées par l’ordonnance du 25 Mars 2020 ou des cas de fermetures administratives, le contrat devra s’appliquer, étant précisé qu’à défaut d’accord, le juge devra se prononcer pour les commerces dont l’activité reste autorisée, sur l’application des pénalités diverses et variées, attachées au défaut de paiement.

Pour le surplus, les développements précédents pourraient trouver application.

Il est très largement conseillé, outre la lecture attentive de chacun des baux et, plus généralement, des contrats litigieux, de respecter scrupuleusement le mécanisme contractuel.

Ainsi, si les outils précités permettent aux débiteurs d’une obligation contractuelle de se soustraire, au moins temporairement, à celle-ci, il n’en demeure pas moins que l’appréciation du juge, au cas par cas, restera un élément clé de leur efficacité.

Au regard de la situation inédite mais également des décisions prises par le gouvernement, il existera, de toute évidence, des contentieux et des divergences d’appréciation des textes applicables au regard, tant des dispositions de l’article 1218 du Code Civil que de la portée de l’arrêté du 15 Mars 2020 et de l’ordonnance du 25 Mars 2020.

Philippe Bensussan, avocat associé au sein du cabinet Dolla-Vial