La « vieillesse » n’atteint pas la validité de la procédure

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Dans un arrêt du 9 novembre 2022, la Cour de cassation confirme sa jurisprudence antérieure et juge que le dépassement du délai raisonnable n’est pas une cause de nullité.

Charles Aznavour chantait « je vous parle d’un temps que les moins de vingt ans ne peuvent pas connaître », force est de constater que la chambre criminelle de la Cour de cassation n’a pas repris à son compte ce refrain. La cour d’appel de Versailles, saisie pour des faits datant de plus de 20 ans, avait, plus bohème, décidé d’annuler la procédure, estimant que le délai raisonnable pour être jugé avait été dépassé. Certaines juridictions de fond avaient adopté ce raisonnement.

Pour la Cour d’appel de Versailles, l’ensemble des principes de fonctionnement de la justice pénale, notamment le respect des droits de la défense, les règles d’administration de la preuve et le caractère équitable, commandaient d’annuler une procédure dépassant un délai raisonnable malgré sa complexité.

La chambre criminelle de la Cour de cassation, dans son arrêt du 9 novembre 2022, a refroidi les ardeurs et les espoirs suscités par cette décision.

La Haute juridiction judiciaire n’a pas souhaité revenir sur sa jurisprudence antérieure et juge que le dépassement du délai raisonnable n’est pas une cause de nullité.

La Cour aurait pu s’en tenir à ce constat, mais il est intéressant de constater que si elle a rejeté la nullité de la procédure, elle dresse une liste des moyens pouvant être déployés par la défense au cours de l’instruction et au stade du procès pour quand même tirer des conséquences de ce dépassement du délai raisonnable.

La Cour rappelle qu’il est possible aux parties lors d’une instruction de demander soit au président de la chambre de l’instruction, soit au juge d’instruction lui-même, de clôturer l’information judiciaire. Certes, mais qu’en est-il s’ils s’y refusent ?

La Cour souligne la possibilité d’engager la responsabilité de l’Etat à raison d’un fonctionnement défectueux de la justice lié à ce dépassement de délai raisonnable. La procédure est donc défectueuse au point de permettre une indemnisation… mais elle n’est pas nulle…

La Cour commande toutefois au juge du fond de ternir compte de cette situation. Ainsi, le Juge du fond devra être particulièrement vigilant sur la valeur probante des éléments de preuve et l’impossibilité des parties d’en discuter la véracité du fait du temps passé.

La Cour donne ainsi un certain espoir en écrivant que « le dépérissement des preuves peut, le cas échéant, conduire à une décision de relaxe ». Nullité, non. Relaxe… peut-être.

Outre la relaxe, la Cour évoque même la possibilité d’obtenir une dispense de peine qui pourrait découler de ce dépassement de délai raisonnable. Nullité non. Dispense de peine probablement.

Enfin, au regard de la situation physique du prévenu, une suspension de l’action publique pourra être ordonnée, seuls les intérêts civils étant alors jugés. Pour mettre fin à un délai non raisonnable… Suspendons le délai… Le raisonnement, avouons-le, ne manque pas de saveur même s’il est conforme au droit.

Pas de nullité donc, mais une possibilité pour le juge de suspendre, relaxer ou dispenser le prévenu de peine… Un espoir donc pour que cette situation anormale entraîne quand même des conséquences.

Comment pourtant ne pas souligner que la nouvelle loi 2021-1729 a précisé à l’article 75-3 du code de procédure pénale instituant un délai maximum pour une enquête préliminaire que « tout acte d’enquête intervenant après l’expiration de ce délai est nul ».

Etrange cohabitation de cette jurisprudence avec cette nouvelle disposition légale, qui si elle est procéduralement possible, semble répondre à des logiques pour le moins divergentes, pour ne pas dire opposées, sur les conséquences à tirer de la violation du délai raisonnable.

Si des interprétations différentes opposent les acteurs du monde judiciaire sur cette question, ils sont cependant tous unis pour dénoncer le manque de moyens dont dispose notre justice pour lui permettre de juger dans un temps raisonnable.

Raisonnable, c’est-à-dire pas trop court, sauf à sombrer dans une justice expéditive, ni trop long car portant alors atteinte à certains principes importants.

Permettons à nos juridictions de juger dans un délai raisonnable… Nous ferons alors l’économie de ce débat.

Philippe Goossens, Associé, Advant Altana