E-réputation - Faux avis sur Google Business Profile : dénigrement et indemnisation

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Décryptage par Lucie Chênebeau, avocate, Aston Avocats de la décision du Tribunal judiciaire de Paris, 17ème chambre civile, 22 juin 2022.

De nombreux outils facilitent aujourd’hui l’échange entre consommateurs en permettant de faire un retour d’expérience sur les produits ou services que l’on peut tous être amenés à utiliser.

Google My Business, devenu depuis le printemps Google Business Profile, est l’un de ces outils à destination des entreprises. Il a été mis en place par le géant américain pour faciliter leur référencement sur Google grâce à l’expérience consommateur, en permettant aux utilisateurs de laisser un avis sur l’entreprise et au propriétaire d’y répondre.

Cependant, encore faut-il que les avis publiés le soient par de vrais consommateurs, qui ont réellement expérimenté les prestations ou produits proposés.

Alors qu’un bon référencement sur internet et une e-réputation positive sont aujourd’hui essentiels à la vie des entreprises, l’absence de vérification des avis, qui n’est pas un service proposé par Google Business Profile, impacte lourdement certaines enseignes.

La société Raimondi Immobilier, qui propose des services de restauration et d’architecture d’intérieure sous le signe ‘Second Souffle’, en a fait les frais.

Elle dispose d’une page Google my Business intitulée ‘Second souffle – Rénovation & Architecture D’intérieur’.

Entre les mois d’octobre et novembre 2020, six avis négatifs sont mis en ligne sur cette page depuis différents comptes Google, tous unanimes sur l’absence de qualité des prestations proposées :

- « manque sincèrement de professionnalisme » ;

- « une expérience client plus que moyenne » ou encore,

- « pleins de défauts, travaux pas finis, qualité du matériel posé bien plus que médiocre […] Arnaque totale à éviter absolument ».

Grâce aux informations fournies par l’hébergeur et le fournisseur d’accès internet, Raimondi Immobilier a la surprise de découvrir que les six avis ont tous été rédigés par une seule et même personne, avec qui le gérant a connu des difficultés personnelles.

Raimondi Immobilier décide alors d’assigner l’auteur des avis pour dénigrement et obtenir réparation du préjudice qu’il affirme subir.

Dans une décision rendue le 22 juin 2022, la chambre de la presse du Tribunal judiciaire de Paris fait un rappel des grands principes en la matière.

Elle rappelle tout d’abord, dans la droite ligne de l’arrêt de la Cour de cassation du 4 mars 2020 (n°18-15.651), que même en l’absence d’une situation de concurrence directe entre les personnes concernées, la divulgation d’une information de nature à jeter le discrédit sur des produits ou services proposées par l’une d’entre elles peut constituer un acte de dénigrement.

Ces propos, souligne la juridiction, ne relèvent pas de la diffamation ou de l’injure dès lors qu’ils concernent des produits ou services et non directement la personne physique ou morale qui les propose.

Pour autant, la responsabilité de l’auteur des propos constitue une restriction au principe fondamental de la liberté d’expression, qui s’apprécie strictement.

Lorsque les propos se rapportent à un sujet d’intérêt général, reposent sur une base factuelle suffisante et sont exprimés avec une certaine mesure, ils relèvent donc du droit de libre critique et ne sauraient être condamnables.

Après un rappel extrêmement pédagogique sur la liberté d’expression et ses contours et les fondements de la poursuite, qui divergent selon que les produits ou services sont attaqués ou la personne qui les proposent, la juridiction rappelle que la faute n’est pas punissable en soi sans démonstration du préjudice qu’elle aurait occasionné à celui qui s’en dit victime.

Dans cette affaire, le tribunal relève que les avis publiés sur la page ‘Second Souffle’ sont les seuls à émettre une critique négative, quand tous les autres font l’éloge des prestations proposées par Raimondi Immobilier.

Par ailleurs, si certains avis mentionnent l’entrepreneur, gérant de Raimondi Immobilier, et non plus les seuls services de l’entreprise, le tribunal constate que les propos ne visent aucun fait précis de nature à porter atteinte à son honneur ou sa considération, excluant ainsi le délit de diffamation.

Ces avis, attribuant à la page la note d’une étoile sur cinq, s’attèlent plutôt à marteler le manque de « professionnalisme » et de « sérieux » dans la réalisation des prestations et le traitement des clients.

Ces avis se sont par ailleurs avérés mensongers. Leur auteur, qui a en effet reconnu ne jamais avoir eu recours aux services proposés, a justifié leur publication par le conflit personnel l’opposant au gérant de Raimondi Immobilier.

Le tribunal en a conclu que ces avis négatifs, qui ne reposaient sur aucune base factuelle, procédaient bien d’une intention de nuire constitutive de dénigrement.

Mais c’est là que parfois, le bât blesse. Si les propos dénigrants induisent un préjudice de principe, il appartient à celui qui s’en dit victime de démontrer son étendue, en fonction, par exemple, de l’atteinte à sa notoriété ou à son image. A défaut, sans preuve d’un impact concret sur la victime des avis négatifs, le tribunal pourrait peut-être reconnaître le dénigrement, mais son auteur échapper à une véritable condamnation.

Dans cette affaire, le gérant de Raimondi Immobilier a constaté un affaiblissement notable de son activité durant les sept mois où les avis ont été en ligne.

Ces avis ont en effet diminué la note qui lui est automatiquement attribuée sur la page Google My Business, obligeant le gérant à investir notamment dans des services de vérification des avis.

De même, grâce à l’outil Google Analytics, le gérant de Raimondi Immobilier a démontré que le trafic des visites sur son site avait significativement augmenté après la suppression des avis litigieux, et les demandes de contact pratiquement doublé.

Le tribunal en déduit que ces avis avaient pour but d’inciter une clientèle potentielle à se détourner de ‘Second souffle’ et condamne, en conséquence, l’auteur des propos à indemniser Raimondi Immobilier.

La frontière entre critique, dénigrement et sanction est toujours ténue.

Les entreprises doivent rester vigilantes et veiller en permanence à leur e-réputation. Le retrait de faux avis portant atteinte à leur réputation est naturellement possible et vivement conseillé, mais pour obtenir réparation des conséquences qu’elles subiraient, elles doivent veiller impérativement à s’en ménager la preuve, comme par exemple à démontrer une perte anormale de leur chiffre d’affaires.

Lucie Chênebeau, avocate, Aston Avocats