Le coût de dépollution supplémentaire d’un changement d’usage d’un site ICPE est à la charge de l’acquéreur

Décryptages
Outils
TAILLE DU TEXTE

Adrien Fourmon, Counsel, Jeantet revient sur le coût de dépollution supplémentaire d’un changement d’usage d’un site ICPE est à la charge de l’acquéreur à l'aune d'un arrêt de la Cour de cassation du 29 juin 2022.

Dans un arrêt récent (Cass. 3e civ. 29 juin 2022 n°21-17.502), la Cour de cassation considère que le coût de dépollution supplémentaire d’un changement d’usage d’un site ICPE est à la charge de l’acquéreur.

Dans cette affaire, la société X, propriétaire, a vendu le fonds de commerce de fabrication de peintures et de savons industriels qu’elle exploitait.

Elle a obtenu, en octobre 2009, un permis de construire afin de réhabiliter les bâtiments existants et d’en faire des espaces de bureaux et de stockage. A cette fin, elle a chargé un bureau d’études d’effectuer une évaluation quantitative des risques sanitaires (EQRS).

Notons que le plan d’occupation des sols affectait la zone à l’activité industrielle et commerciale.

Le 28 février 2011, la société X a vendu les immeubles à un acquéreur Y.

Un nouveau plan local d’urbanisme a par la suite été adopté, rendant possible l’usage exclusif de la zone en logements.

Le 4 août 2011, l’acquéreur Y a revendu les biens à une SCI, sous acquéreur, qui avait effectué une nouvelle demande de permis de construire en juin 2011, afin de démolir les immeubles existants et de construire un immeuble destiné au logement, modifiant ainsi l’usage du site.

Dans ce cadre, la SCI a assigné le propriétaire initial, la société X, en paiement de dommages-intérêts pour refus de dépolluer le site (au titre de son obligation de remise en état), ainsi que la société Y lui ayant vendu les immeubles (sur le fondement de l’obligation de délivrance conforme et de la garantie des vices cachés).

Précisons d’ores et déjà qu’il existe deux types d’obligations de remise en état pour l’exploitant d’un site : l’une administrative, soumise au contrôle de la police des ICPE, l’autre pouvant être imposée par le juge civil, au titre de sa responsabilité civile contractuelle ou délictuelle.

À l’arrêt définitif de l’installation classée, le dernier exploitant a, au moment de la cessation de son activité et en vertu de l’article L.512-6-1 du Code de l’environnement, l’obligation de remettre le site en état, de telle manière qu’il permette un usage futur du site déterminé conjointement avec le maire (article L.512-17 du Code de l’urbanisme, tel qu’en vigueur au moment des faits).

Rappelons à ce titre que le manquement à une telle obligation est constitutif d’une faute ouvrant droit à réparation du préjudice en résultant (Cass, civ.3e, 9 septembre 2009, n°08-13-050).

L’article R.512-39-4 du Code de l’environnement pose néanmoins une limite à cette obligation administrative de remise en état. Ainsi, le dernier exploitant ICPE du site, débiteur de cette obligation, n’a pas à prendre à sa charge le coût des mesures nécessaires à la modification ultérieure de l’usage du site, sauf s’il est à l’origine de ce changement d’usage.

C’est cette limite à l’obligation de remise en état que l’arrêt du 29 juin 2022 est venu préciser. La Cour de cassation refuse ici d’étendre l’obligation de remise en état du dernier exploitant au coût de dépollution supplémentaire induit par un changement d’usage du site décidé par un tiers, ultérieurement à la mise à l’arrêt définitif.

En effet, la Cour, se fondant sur le permis de construire accordé à la société X en 2009 lors de la cessation d’activité (portant sur la réhabilitation des bâtiments existants pour les transformer en bureaux, ateliers et stockage), considère que :

  • Le dernier exploitant ICPE est débiteur d’une obligation de remise en état du site de manière à permettre son usage futur, apprécié au regard de l’usage prévu par le permis de construire de 2009 ;
  • Cependant, il n’est pas tenu de financer les coûts de dépollution supplémentaires engendrés par un changement d’usage ultérieur, décidé par le sous-acquéreur et faisant l’objet d’un nouveau permis de construire de 2011 (portant sur la démolition de l’existant et la construction de logements).

Ainsi, l’obligation de remise en état s’apprécie en l’espèce en fonction d’une part de l’usage futur du site tel qu’initialement validé par la mairie en 2009, et d’autre part du projet de réhabilitation alors envisagé.

Cette précision semble la bienvenue puisque l’on voit mal en quoi le changement d’usage décidé par un tiers ayant obtenu à cet effet un nouveau permis de construire pourrait venir impacter l’ancien exploitant et ce, alors même que ce dernier avait effectué l’ensemble des diligences nécessaires au regard de l’usage futur du site, tel que précisé au sein du permis de construire dont il était alors titulaire.

La solution aurait bien évidemment été différente si la Société X avait elle-même été à l’origine d’un tel changement d’usage.

Enfin, la Cour revient sur les conditions de mise en œuvre de la garantie des vices cachés et le point de départ du délai de prescription applicable en cas de découverte de pollution. Elle précise à ce titre que le point de départ du délai d’action en garantie des vices cachés s’apprécie à compter de la date de découverte du vice (à l’occasion du diagnostic de pollution demandé par le sous-acquéreur à l’occasion de la vente), et non à compter de la date de découverte de l’ampleur réelle du vice, liée au coût des travaux de dépollution nécessaires pour y remédier.

Adrien Fourmon, Counsel, Jeantet